Vieillir ne rend pas plus sage

Date 28-02-2012 08:00:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées


J’approche de la cinquantaine et cela doit faire quarante ans que je fréquente le genre humain. Les huit premières années comptent pour rien : je ne faisais attention à personne. Même pas à moi.

Je n’ai retiré de cette longue fréquentation qu’une seule certitude : chacun de nous est condamné à surnager comme il peut dans un océan infini de misère morale et de détresse intellectuelle.

Ce constat aurait pu me porter à l’indulgence. Des paumés qui ne seraient pas foutus de dire quel mois on est, depuis 1971 j’en ai croisés… combien ? Une chiée plus quinze ?  De quoi remplir un autobus ? Un train de banlieue ? Sais pas. Au moins autant que ceux aux yeux de qui c’était moi le paumé, peut-être.

En revanche je ne sais que trop comment il est facile de perdre contact avec la réalité. Avec quelle facilité aussi – parfois teintée de complaisance – on peut s’abuser sur son propre compte.

Il y a quarante ans j’étais très effacé et très timoré mais déjà je n’hésitais jamais à réagir avec brutalité et violence quand je m’estimais provoqué stupidement : à mon sens on n’a pas encore découvert de manière intelligente de provoquer ses semblables.

La représentation que je me fais de ce qu’est une véritable et intolérable provocation est, au diable si je passe pour un poseur, d’une grande complexité et d’une grande subtilité à la fois.

Je pourrais succomber à une mythomanie hybridée de mégalomanie et prétendre que si j’avais vécu au XVIème siècle ou même bien avant mais sûrement pas après,  j’aurais pu enseigner aux Espagnols (j’ai paraît-il quelques aïeux de ce côté) et aux Japonais (non, aucune parenté par là que je sache) que la provocation doit s’effacer au fil d’une lame bien tranchante, comme on efface un sourire sur le visage d’un niais.

Et voilà qu’à 49 ans passés je me découvre inchangé : prêt à en prendre plein la gueule, juste pour ne laisser à personne la joie d’avoir cru appuyer là où c’est censé faire mal.

On ne peut rien faire de bon avec des types comme moi : pas de bons citoyens, pas de bons soldats, pas de bons fils, pas de bons pères, pas de bons époux, et sûrement pas de bons écrivains.

Tant pis, que voulez-vous. Mais le jour où je ne serai plus capable que d’opposer un silence compassé (le mépris n’est pas une option),  il sera temps de me déclarer en état de mort cérébrale, même s’il doit se passer encore des lustres avant que j’aille habiter pour de bon Boulevard des Allongés.

Non, décidément aucune sagesse ne m’est venue avec l’âge, et aucune prudence non plus.





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