le Manoir des Ombres, Deuxième Chapitre, Troisième Partie :
Date 11-01-2013 14:38:40 | Catégorie : Nouvelles
| Vÿvien s’évertue sans cesse à maintenir le Manoir à peu près à flots. Mais ce n’est ni simple ni aisé. La tache est immense. Et il faudrait beaucoup d’argent pour remettre en état ce qui est susceptible d’être sauvé. Au mieux, elle veille à ce que nous puissions y coexister avec le plus d’aisance possible. Or, rien que cela, c’est un challenge de tous les instants. Beaucoup de pièces sont à ce point endommagées que nous ne pouvons y accéder ; à moins qu’une urgence nous oblige à en franchir le périmètre ; a moins, aussi, que nous désirions nous rendre dans une autre aile du bâtiment uniquement accessible par ce lieu. Mais c’est toujours à nos risques et périls. Nous en sommes tous conscients, et personnellement, ça m’attriste de voir mon Père se complaire au milieu de ces vieilleries.
De toute manière, il faut savoir que nous n’aurions pas les moyens financiers de rénover le Domaine. Anthëus et Vÿvien, s’ils ont été riches à l’époque de ma « Renaissance », ne le sont plus. Et ce n’est pas Hÿlaire et ses opérations boursières qui sont capables d’y remédier, quand on sait que lui-même est au bord du gouffre dans ce domaine. Il essaye de nous montrer, bien entendu, qu’il n’en n’est rien. Il nous offre des cadeaux à chaque fois qu’il nous rend visite. Il s’habille chez les plus grands stylistes de la capitale, séjourne dans les plus grands hôtels quand il se rend à New-York, Madrid ou Tokyo. Il voyage toujours en première classe. Il déjeune ou dine dans les restaurants les plus chics de la planète. Mais ici, personne n’est dupe. Nous savons parfaitement que ses investissements ne lui permettent que de surnager ; et l’heure est proche, à mon avis, où son empire s’écroulera.
De leur coté, mes Parents ont tout juste de quoi payer à peu près régulièrement nos Domestiques. Et encore, parfois, ceux-ci doivent attendre plusieurs mois pour recevoir leurs gages. Heureusement qu’ils sont dévoués à notre Maison depuis plus de cinq décennies, qu’ils sont âgés et qu’ils n’ont nulle part où aller autrement. Je suis certain que des Serviteurs plus jeunes nous auraient quittés il y a longtemps. Et puis, il faut dire que cette demeure est, au fil du temps, devenu un peu la leur, et que, comme les membres de notre Lignée, ils se sont laissé séduire par son charme. Ils ont succombé à l’influence qu’elle exerce sur nous, avec d’autant plus de facilité qu’eux, contrairement à nous, ne sont que des Humains. Donc, pareillement à Vÿvien, ils tentent de lui donner un aspect présentable, de repousser derrière les dorures ternies et les tentures défraichies les traces de saleté les plus flagrantes. Ils essayent de faire en sorte que le parc qui l’entoure soit propre, que nous ayons tous à manger dans nos assiettes. Et ils acceptent que leurs Maitres les admonestent quand ils ont omis de ranger correctement une assiette ébréchée ou un drap rapiécé. Parce que, je le sais, le plus important à leurs yeux, est que ces derniers, ainsi que leurs Enfants, soient capables de poursuivre leur lutte contre ce Don qui les corromps chaque jour davantage.
Je suis le seul, donc, qui ait en partie réaménagé mes Appartements. Je me souviens qu’aux premiers jours de mon installation en ces lieux, le Vestibule et le Bureau que j’occupe actuellement n’avaient pas exactement la même configuration. Si ce n’est la toile représentant mon Père sous les murs de Saint-Jean d’Acre, si ce n’est les étagères presque totalement vides qui apparaissent non loin de moi tandis que j’écris ces lignes, j’ai en grande partie ré-agencé les lieux. Ainsi, la première fois que j’ai traversé le Vestibule envahi par la pénombre, c’était en compagnie de Vÿvien. Ce qui a tout de suite attiré mon attention, c’est le drap plein de mites qui recouvrait le tableau. Puis, j’ai constaté que d’autres, ailleurs, dissimulaient fauteuils et tables basses éparpillées aux quatre coins de la salle. Certains étaient entassés et formaient des tas surement poussés contre les murs depuis des années ; quelques uns étaient dispersés, comme si une tornade les avaient emporté au loin et qu’un filet de cendres s’était ensuite déposé sur eux. Plus loin encore, j’ai vu que les parois étaient fissurées de haut en bas ; des crevasses qui n’avaient jamais été comblées les constellaient. Le plafond était, par endroits, effondré, et ses gravats parsemaient ici et là le parterre défoncé Les tapis sur lequel j’ai progressé sentaient le moisi. Une atmosphère poussiéreuse inondait les lieux. Je dois avouer que j’ai tout de suite eu l’impression de traverser un épais brouillard hivernal ; et atteindre la porte d’entrée a été assez compliqué. J’ai dû me cogner aux meubles obstruant le passage à deux ou trois reprises. Et heureusement que Vÿvien a guidé mes pas, sinon, j’aurai certainement mis plus de temps pour atteindre l’autre coté du vestibule.
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