Une suite possible pour « lma ou la mère dépossédée » de Serge Kaufmann.
Date 24-03-2023 10:40:00 | Catégorie : Nouvelles
| Une suite possible pour « lma ou la mère dépossédée » de Serge Kaufmann.
Récitant:
Ceux qui ont pour mission de tenir intact le l ieu, où tous, vont bientôt cesser de respirer , semblent jouir en écoutant le Psaume monter au ciel comme une clameur, en écoutant simultanément les mots désespérés et en sang de la mère adressés à son enfant. Soudain, un des bourreaux hurle à un autre homme armé quelque chose qui doit être horrible si l'on en croit le ton: a.lors que la mère se prépare à entrer , cet autre homme à la matraq ue l'empoigne violemment pour l ui laisser visiblement la vie sauve, afin qu'un « travail à petit feu persiste jusqu'à la fin de ses jours ... » La mère, qui tente de mordre le bourreau, h urle comme une bête traquée en suivant des yeux la cheminée voisine qui laisse s'échapper dans les cieux tout gris la lourde fumée épaisse ...
Cinquante ans plus tard ... (« La femme du ramoneur »)
Récitant:
Elle était mère au foyer, elle s'occupait de sa maison et de son enfant nouveau-né tandis que son époux allait de cheminée en cheminée nettoyer la suie des conduits, dissimulés au fond d'un panier, de la nourriture pour les ravisseurs de son mari (?), quelques photographies de l'enfant et puis comme toujours un nou veau « Téhilim de la délivrance » d'après Je Méiri, le marque-page renvoyait à chaque fois au PEREK 127', le chant des degrés de David pour Chlomo Haméleh, son fils, pour que le nouveau-né soit le mieux protégé possible, les maigres économies de la petite famille servaient à acheter chaque semaine un nouveau Téhilim disponible dans la ville morte aux autodafés obscurs, elle était poétesse ( ?) que l'oubli avait saisie et elle n'avait d'yeux que pour l'enfant (cf . « Le poème du suicide »2 d'Elhonen Vogler et ainsi que pour l'Espérance (cf. « Automne tzigane »3 d'Avrom Sutzkever, elle avait décroché en vrac des cours de chant aussi, avait été mezzo-soprano solo pour remplacer Christine Labadens 4 tant elle s'était prise au rôle, elle aurait même eu une courte liaison, avant de rencontrer son époux bien sûr, avec Serge Kaufmann, juste après la première représentation d'« lma ou la mère dépossédée » (?). Elle était mère au foyer et avait fait des études musicales au Conservatoire et à la faculté de musicologie de Toulouse, aujourd'hui elle n'est plus concernée par le ramonage des cheminées, elle est sur son balcon d'u n mètre carré et elle attend.
11-Chant des degrés, pou r Chlomo. Si l'Eternel ne construit pas une maison, c'est en vain que ses constructeurs ont peiné. Si l'Eternel ne garde pas une ville, c'est en vain que la sentinelle a été assidue (à veiller). 2- C'est une chose vaine pour vous d'être matinal au lever (pour aller travaill er), (et) de s'attarder à rester (à veiller tard au travail) (pour) ne manger qu'un pain de peine, car (le même gain, D. le) donnera sans peine à celui qu'II aime. 3- Voici, les enfants sont l'héritage (le meilleur) de l'Eternel. La (véritable) récompense, c'est le fruit des entrailles. 4- Tels des flèches dans la main de l'homme vaillant, ainsi sont les enfants de la jeunesse. 5- Heureux l'homme qui en a rempli son carquois. ns n'auront pas honte, lorsqu'ils parleront avec des ennemis (au seuil de) la porte, (devant la place publique). \, Je suis pendu. Sur moi la lumière est de cire/ Et le soir btûle aux candélabres de la terre./ Ma corde fut un chant de chanvre/ Un prunier ma potence bleue. » \, Sur ses sabots d'or galope l'automne et bat son tambour,/ Et palpe le vent , doigts ensanglantés, la plaine alentour,/ Chante à travers champs sa vieille ballade -elle est ivre morte. » 4Cf. le livret de « !ma ou la mère dépossédée ». Elle attend son fils qui n'est pl us, elle attend son ramoneur défunt en scrutant de son carré tout un monde dont les bruits, aigus et stridents en bas, ne parviennent que sourdement à ses oreilles en hauteur. Il lu i reste une petite fille de son unique enfant (?) mais elle a vieilli et il n'y a plus rien à en tirer. Cette fillette n 'est aujourd'hui qu'une grand-mère gâteuse qui va du canapé à la fenêtre et puis qui après ira du lit au lit si cela ne va pas mieux. Il demeure toutefois la fillette de la voisine de palier qui, de façon transitoire, parvient à égayer un tout petit peu la vie fantomatique de « la femme du ramoneur ». Parfois, la vieille l ui dit d'aller jouer sur le parking de son garage ou dans les dédales de sa cave. Matilde 5, c'est là son prénom, descend alors les mornes escaliers étroits en colimaçon et ramasse un reliq uat noir de suie à la cave pour maquiller sa poupée chérie, puis elle retourne au parking du garage, ne fait rien à part ne pas apercevoir les Téhilims poussiéreux aux feuilles jaunies, les quatrains surannés et raturés de dix sous, et les vieilles partitions pour chœur de la cantate dramatique rongées par l'humidité des larmes. Matilde s'amuse à tourner en rond autour de la marelle dessinée à la craie puis remonte voir si la « femme du ramoneur » n'est pas encore morte et si elle a enfin tout oublié. Elle remonte, la vieille est toujours là , lui avoue que le docteur est passé, qu'il lui a dit q u'elle était en insuffisance respiratoire depuis deux jours pour avoir trop inhalé de suie (?), elle lui dit depuis son carré blanc, où elle est assise, qu'elle fera mieux demain, qu'elle développera une toute autre maladie à force d'être vécue d'en haut et jusqu'à l'usure par la vie de ceux qui s'asseyent sur des bancs publics, qu i y donnent du pain aux oiseaux puis qui se lèvent puis qui regardent leurs vêtements délavés pour vérifier qu'il n'y a pas de taches puis qui se rasseyent... « La femme du ramoneur » se lève péniblement jusqu'à la cuisine, saisit nonchalamment la photographie de son enfant qui lui a été ravi, accrochée au plafond de la cuisine, la contemple longuement et en silence en fouillant chaque détail de l'image par u n balayage laborieux de ses yeux abîmés de gauche à droite et de bas en haut. ( ?) C'est à présent et à peu près tout ce qui l ui est resté dans sa mémoire disloquée... Elle appelle Matilde, lui dit qu'elle est âgée et qu'il faut remettre à sa place, au millimètre près, ce qui reste de la photographie fragmentée, et ce, sans poser un regard dessus car elle pourrait s'altérer encore plus. Matilde, qui a obtenu la permission de monter dans les combles de l'immeu ble, décide d 'aller jouer avec les vieux outils du ramoneur mort tout en allant à l'attention de ne pas s'écorcher au milieu de cette poussière empoussiérée (?), au milieu des candélabres hors d'usage et sans bougies, au mi lieu des synagogues en miniature mises à sac promptement par des profanateur s extrêmes, des bourreaux pleins de vie qui ont osé passer à l'action et bousculer d'un coup sec le marasme ambiant comme un éclair. Matilde retourne chez sa mère pour faire enfin sa vie. Elle est maintenant chez sa mère mais elle n'est pas encore débarrassée de cette foutue boue qu'elle associera toujours à cette vieille, encore vieille « par intermittence », ou par miracle... Elle a lu la définition de cette expression dans le dictionnaire pourtant périmé de « la femme du ramoneur », elle a compris le sens si bien que maintenant , elle connaît la définition et qu'elle est sûre de ce qu'elle avance .. . La vieille est sur son balcon lilliputien . Elle a toujours lu beaucoup de littérature juive. Depuis le début, elle dévore tout particulièrement tous les écrits de Kafka: une intellectuelle de premier rang, ça c'est sûr. Pourtant, cette femme a toujours été riche aussi d'une parole porteuse d'une vérité qui ne tire pas son origine de la réflexibilité , comme son amour « bavard en tendresses » pour son unique enfant, comme cet amour « savant de noblesse et d'hu milité » pour celui qui lui a été ravi, comme son mutisme très profond très prisé en littérature, mutisme enveloppé de superbes absurdités à développer par écrit. C'est en cela qu'elle s'est toujours sentie proche de l'univers de Singer. D'ailleurs, elle a lu au moins cinquante fois « Shosha »6 tant ce personnage inoubliable lui correspond d'une certaine manière. Même si elle a énormément l u, même si elle parle couramment
50bservez bien l'orthographe. Cf. l'adjectif « mat », préfixe du prénom. 6= Le chef-d'œuvre de Singer écrit en 1978 alors que, la même année, l'auteur de H Yentl » allait recevoir le prix Nobel de littérature « pour son art de conteur enthousiaste qui prend racine dans la culture judéo-chrétienne et ressuscite l'universalité de la condition humaine. » le yiddish et le polonais, « la femme du ramoneur » sait tout ce que personne ne sait. Elle est loin de n'être qu'une « idiote » et qu'une « malade »: elle sait les mers verticales qui ne tournent pas bien rond, elle sait les cloisons qui se contractent les soirs d'angoisses aigues, elle sait les sillons profonds sur son visage qui s'ouvrent toujours plus vite, béants à v ue d'avion, elle sait les marées unipolaires redoutables où l'on se retrouve toujours à sec de larmes et de Lunes. A ce moment précis où l'on parvient à l'attaque de phrase que voici, « la femme du ramoneur » est presque sur son balcon , plus « ponctuelle » que jamais, et elle « lit » « à peu près » ce qui lui reste de « Shosha ». De temps à autre, quelques mots reviennent entre les lignes jusque dans sa pauvre tête: « Que disent les li vres? » ou bien encore « C'est elle qui me chuchotait des secrets dans le creux de l'oreille » ou encore « Arele, même si nous devons mourir, c'est bon d'être au lit avec toi ... ». Oui, cette vieille-là est encore riche de ce qui est tombé de nos jours , même au sein des lettrés, dans la « désuétude sentimentale ringarde ». Elle est riche encore de toutes ces beautés cachées qui lui vont malgré tout si bien , tout à fait comme un gant. Cette vieille-là est fort riche malgré son téléviseur rouillé, malgré les mites dans le vieux meuble, malgré les miroirs déformés, brisés et crasseux, malgré les grisailles accumulées au fil des ans... « La femme du ramoneur » est à cheval entre le balcon et le balcon et elle a réussi aujourd'hui à prendre l'ascenseur, elle a réussi à se rendre au marché d'en bas, elle a réussi à reconnaître des boucles d'oreilles qui s'entortillent en torsades elle a cherché à trouver l'appoi nt dans son portefeuille, ne l'a pas trouvé et pourtant il y était. Elle a réussi à acheter les boucles d'oreilles en torsades et elle remonte pour se rasseoir dans son carré, trois boucles d'oreilles à ses oreilles. Parfois, elle est prise d'un malaise, elle sent qu'elle est à l'étroit dans ce lieu étroit, elle sent qu'elle a peine à respirer dans son univers étroit alors la balustrad e, prise de panique , se contracte et le balcon ne fait plus à présent que cinquante centimètres carré; oui vraiment, la vieille du ramoneur se sent mal tout d'un coup. Elle rappelle Matilde en frappant de sa cane le mur dont le plâtre menace de se trouer tant les impacts se concentrent toujours en un même point de la cloison. Matilde revient , remarque qu'elle a de nouvelles boucles, mais qu'elles ne brillent déjà plus ... Matilde est en retard à l'école. En effet, elle est extrêmement lente et en plus, elle écrit à chaque fois tout un roman lorsqu'il s'agit d'être concis et de passer à autre chose. Matilde est en difficulté. Du coup, l a maman menace « la femme du ramoneur '" lui dit qu'elle contamine sa fille avec tout son folklore « étoilé » désuet. Alors la veuve se crispe: « Seule? Moi? Plus jamais de la vie! Je m'en vais vieillir plus vite que la vieillesse. Tout sera très dur mais j 'y parviendrai ... » La veuve du ramoneur décide de se pelotonner dans son sac de commissions à roulettes. Puis, après s'être décidée à ouvrir le gaz du réchaud installé comme une relique dans la salle à manger , la veuve décide de se servir d'une boîte d'allumette. Elle en saisit u ne du doigt (?) puis l'allume et c'est le drame... Désormais, la vieille, dépossédée de tout, ne peut plus rien pour faire marche arrière. La voisine du palier , la maman, entend des cris horri bles. Matilde croit à des hurlements de sorcière mais c'est bel et bien « la femme du ramoneur » qui, emmurée dans une souffrance quasi-bestiale, vocifère ces quelques mots brûlants: « Mon enfant/ Mon bel enfant/ Tu étais né/ Pour le bonheur... »
Yohann Gardon, Saint Genis Laval, avril 2014, pour « Traverses ».
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