Autoportrait des asymétries
Date 12-03-2023 15:04:00 | Catégorie : Annonce
| Autoportrait des asymétries
J'ai un œil paresseux derrière les vitraux encrassés de mes lunettes. Je suis fait de muscles tendus à l’extrême et puis de bouts de nerfs malmenés, plantés fébrilement dans une peau délavée qui vient camoufler avec de moins en moins d'éclats toute ma monstruosité hideuse mise à nu, toute ma gueule déconseillée de vampire aux crocs vengeurs et aux oreilles rouge-sang les plus pointues. J'ai un œil, à jamais de travers, qui résume avec la plus grande économie de mots précieux toute une vie à demeurer toujours à l'envers, le plus près possible de la Rature... J'ai un œil qui se perd vilainement pour une rêverie par fête étrange, par fête étrangement mélancolique ou pour une angoisse très bien planquée dans la cruelle Fente* - ô subtilité du dosage ô vice délicatement incrusté, presque à la goutte près -, dans le muscle oculaire le plus précis qu'elle secoue dans tous les sens au point d'y bâtir toute une fêlure à l'intérieur de l'Être. J'ai hélas un iris marron cossard qui se traîne et puis se vautre éperdument dans la boue. Asymétrique, dénué d'Harmonies d'azur ou de jade, de musiques et même de simples bruits, il ose à tout moment des lâchers-prise malheureux et je sens toutes ces lézardes les soirs de grande fatigue, les matins insupportables où renaissent les sensations les plus mortifères et les plus morbides, les après-midis à se sentir moisir tel l'Humus nauséabond, à s'envisager aussi pourrissant qu'une souche de yeuse laissée au temps carnassier, aux bactéries aux larves, avides de nœuds et de sinuosités complexes mortes. J'ai un iris marron qui a déteint sur l'affreuse Fosse** fertilisante du jardin de mon père, et je sens d'étranges animaux, sans doute des ombres nocturnes, qui peinent vraiment à se mouvoir distinctement et endorment les bruits les plus subtils les soirs où s'amassent densément en un seul Globe toutes les tortures accumulées durant une journée à faire le deuil de soi-même, le deuil du moindre amour très stable car raisonnable, à suivre la Renaissance obligée du mal, mieux l'Efflorescence multicolore d'un bouquet de belles souffrances jusqu'à la Mise à l'Ecart décidée, chargée de boulets et
serties de chaînes, jusqu'à la pire aigreur écrite avec des demi-mots amers tout noirs.
|V|on œil, le droit, est dévoré dans sa substance par tous les vautours vilains de la Terre entière tant je porte la Croix d'un monde en guenilles de haillons qui saigne et agonise. |V|on œil droit est dévoré à feux doux par l'intérieur hostile de mes très chères cours de récréation du collège et même du lycée. C'était des moqueries redoutables à foison, des marches en solitaire, avec la tête sans cesse plantée vers le sol et ses jolies racines de platanes, vers un asphalte grisâtre, fertile en musiques verbales lancinantes, toujours éloigné d'un printemps béni aux couleurs chatoyantes. Un mal à feu doux vous dis-je, avec un cartable sur le dos, bien plus gros que moi-même et très bien tenu, avec des lunettes aussi rondes que deux cercles parfaits sur du papier Clairefontaine ( ?), des cercles imparfaitement dessinés à l'aide d'un compas et qui ressemblent au final plutôt à des ellipses tordues à résoudre le plus joliment possible pour La Biche frêle remise sur pied et ce, au milieu de tous ces prédateurs sadiques. Un mal à feu doux à se rendre compte douloureusement de sa malchance, de ses chances les plus nulles pour séduire la belle Céline C., tant ma coiffure brillait intellectuellement comme un œil à la jean-Paul Sartre ô raie impeccable de côté 6 cheveux très bien plaqués sans le moindre épi. Rigueur maternelle et timidité maladive intimement mêlées. Tissage lent d'un vague mal-être, terreau adéquat pour la folie à venir. Lors, c'était des coups, des journées entières de pluies diluviennes et puis des sanglots dans le giron de ma propre solitude, de mon propre retrait, entre les mamelles manquantes dans une chambre où je collectionnais déjà les vers en fleurs les plus morbides de Spleen et ldéal. j'ai un Etang au fond de l'œil, un Etang plutôt vaseux, refuge éternel des crapauds et des salamandres. La vase y est mouvante sur les berges parsemées de joncs frémissants et de frêles roseaux: elle happe quiconque ose approcher imprudemment. lci, c'est mon Âme très colorée que je tente d'essuyer, de poncer, de lustrer aux tissus verts des nymphéas et des nénuphars. J'ai de l'eau trouble au fond de l'œil droit; le Ruisseau n'est pourtant pas loin avec ses nai'ades les plus brunes et ses structures rococo en cascades étonnantes mais je n'ai pas le privilège de pouvoir l'approcher. Je dois me contenter de ce qui manque, de cette eau moisie où se vautre toute une infirmité que je pioche aujourd'hui (toujours le plus loin de moi-même) dans les livres illustrés de cartes d'identité ravagées et
qui en disent long sur le génocide du peuple tzigane durant la seconde guerre mondiale. |V|on œil droit vous parle très loin de l'lmmaculé et au plus près des apparences qui ne trompent pas; mon œil droit vous parle par des sécrétions verbales jaunâtres, grossières et ensanglantées. Il y a là affaire de rafistolages en tous genres, couteaux de bouchers rouillés et puis fumées brunes échappées des trous d'un Emphysème précoce et jaillies d'un muscle hyper- sollicité, juste pour l'Harmonie d'un Tout. La Quintessence picturale de la Déraison la plus visible chez les loucheurs se love tout autour du tableau, en guise de Fille peinte parmi les trois arts graphiques enfants***...
j'écris mes ridules oculaires, ma fausse vieillesse derrière ma peau d'Enfant. j'écris les mots de l'Erreur insurmontable et des strabismes parfaits, ces plaies béantes que l'adolescence a trouvées pour s'en rendre immortelle, fumante, ivre, cancérigène. j'écris pour ne pas taire ce qui demeure encore un peu souffrant et rose en moi. j'écris pour rendre les Affres aussi belles que des charognes en état de putréfaction. j'écris pour redresser le strabisme le temps d'une Envolée éthylique lyrique. j'écris pour Vous plaire, Mesdames, malgré la Panne qui finira par pourrir à l'intérieur de l'homme-machine que je suis. j'écris pour faire éclore << la Beauté cachée des laids, des laids, >>, pour qu'Elle soit visible << sans délais, délais*****. »
*= la fente synaptique
** = la fosse septique
*** : Cf. le Dessin, Père des (trois) Arts graphiques (peinture/ sculpture/architecture)
**** : << Des laids des laids » de Gainsbourg.
Yohann GARDON, Brignais, mai/juin 2015, atelier << Autobiographie, écriture de soi >>.
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