Mes chers amis IV

Date 02-10-2012 11:10:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Nous revenions de l'enterrement de notre copain Michel.
Un enterrement émouvant, dans la petite église de Tavaco, cette mème église où j'aime aller parfois m'asseoir sur le banc adossé au mur orienté vers toute la vallée de la Gravone. Ce banc où le petit âne de Tavaco vient me rendre visite et se laisse caresser, après avoir reniflé ma main.
La messe, et surtout les chants polyphoniques, avaient éte émouvants.
Nous avons ensuite suivi notre ami vers sa dernière demeure : le cimetière privé, dans le jardin de la maison familiale.

Le soir venu, tous ses amis s'étaient donné rendez-vous sur la terrasse du bar, à côté duquel Michel avait installé sa petite baraque de clés- minute, au beau milieu du cours Napoléon.. Il nous avait toujours semblé que Michel pouvait suffire à assurer la recette de ce bar: installé dès le matin devant sa première bière, il changeait très souvent de table pour mettre de l'animation parmi les clients. Je ne pense pas que quelqu'un ait arpenté le cours sans avoir bu à la santé de Michel.
C'était un garçon qui passait son temps à monter des canulars qu'il menait jusqu'au bout, avec tant de persuasion que j' en connais bien peu qui n'ont pas marché à fond dans ses plus invraisemblables blagues.
Tous réunis sur la terrasse, autour de son kiosque désormais fermé pour toujours, notre très réelle grande peine de l'avoir perdu fit, comme de coutume, place aux souvenirs du défunt.
Les " tu te souviens quand ? ..." ont commençé...

- Une de ses blagues favorites était de dissimuler un talkie-walkie sous son comptoir et, installé à une table éloignée , en coin, il attendait le client qui s' approchait de son comptoir : " Voux ètes dans une station clés-minute totalement automatisée. Veuiilez poser votre clé sur le comptoir et douze francs à côté. Non! pas si près du bord ! on va vous les faucher ! merci, repassez dans dix minutes, votre clé sera faite. Merci."

A la saison des touristes, il avait toujours quelques gags à leur intention.Par exemple, il accrochait des bananes dans les branches de l'arbre se trouvant près de son kiosque. Aux touristes, intrigués, il racontait les choses les plus éberluantes sur des coutumes locales ayant résisté aux siècles, que chaque vieille femme passait en adressant une prière à l'arbre et que, étrangement, ces bananes ne pourrissaient pas, tant qu'elles étaient accrochées.

Il connaissait tous ceux qui auraient bien aimer avoir un port d'arme. De temps en temps, il se faisait un petit plaisir et envoyait un amateur de port d'arme au commissariat centrale, pour demander un certain officier de police et de lui dire qu'il était envoyé par Michel pour l'obtention de ce qu'il savait. L'officier en question était bien un ami de Michel,mais ne partageait pas du tout son avis sur la distribution des ports d' arme !

Il envoyait aussi des touristes dans des restaurants tout à fait spéciaux : tu manges à volonté tout ce qui te fait envie : poissons, langoutes, fruits de mer, et au moment de la note, il te suffit de dire que tu viens de la part de Michel pour n'avoir à régler qu'un menu à 7,50 F !
Il avait des retours de clients en colère et il se mettait lui-même en colêre en leur disant qu'ils n'avaient rien compris, que c'était le restaurant d'à côté, celui dont il avait parlé. Ils n'avaient plus qu'à y aller le soir même, et ils se feraient un vrai gueuleton pour presque rien .

Les touristes étaient ses cibles préférés. Michel s'était fait fabriquer une vieille affiche de programme de Corridas à Barcelone avec, en tête de programme, en énormes lettres, son nom, avec un rappel de ceux des taureaux qui firent sa gloire. L'affiche était collée, bien en évidence, sur son kiosque.
Nous étions assis près de l'affiche et nous n'avions pas à attendre longtemps avant que des touristes s'installent près de nous pour prendre un bain d'authenticité régionale. Ils allaient être servis. Bien entendu, nous parlions très fort et ils n'avaient pas besoin de tendre beaucoup l'oreille.
- " Dis-moi, Michel, ça ne te manque pas trop toute cette gloire passée, les acclamations de la foule en délire, la vie luxueuse ?" et je lisais ostensiblement ce qui le concernait sur l'affiche. Michel prenait les touristes à témoin:
-" le naïf...Il croit qu' une vie peut se résumer avec ça ! on se lasse vite de ce genre de vie "
Les touristes étaient ferrés. Michel leur offrait à boire et sortait sa carte d'identité pour leur prouver qu'il s'agissait bien de lui, sur l'affiche. S'ensuivait alors un long sketch improvisé entre nous deux sur ses combats. Il contestait avec véhémence mes appréciations sur certains taureaux, comme si nous avions oublié la présence des touristes. Ceux-ci ne perdaient pas une miette de nos échanges et ont repris le bateau, surs d'avoir côtoyer une ancienne gloire de la corrida.


Il avait aussi collé, à la superglue, quelques pièces de monnaie sur le couvercle en fonte d'un accés au réseau d'eau, sur le trottoir qui passait au milieu de la terrasse du bar.. Il s'installait sur une chaise, à proximité, et riait beaucoup de voir les passants se baisser discrètement et se mettre à gratter les pièces, jusqu'à ce qu'ils réalisent qu'ils venaient de se faire pièger.Leurs comportements, à cet instant, étaient toujours aussi inattendus que variés.
Michel s'en est énormément amusé, jusqu'au jour où un homme, bien habillé et distingué, s'est arrêté net devant la plaque et ses pièces et, dans un rapide mouvement, s'est penché, a enlevé la plaque et est parti avec. Je revois Michel, la bouche ouverte, le regarder s' éloigner...

Moi-même, qui, pourtant, le connaissais, je me suis fais avoir par ses discussions convaincantes. Ne m'étais-je pas retrouvé, en montagne,avec un jerrican de 20l à la main, en train de chercher une petite source bien connue ( selon Michel ) pour ses vertus amaîgrissantes ? J'ai, effectivement , trouvé une petite source, et je me suis mis à rire en la voyant: Tant que je la cherchais, je n'avais pas réfléchi à la sottise de ma démarche...

Michel était la bénédiction de tous les pochtrons, affamès, assoiffés et sans -logis qui gravitaient autour de la rue de la Barrière. Il avait toujours chez lui une bande d'inconnus qui se refilaient son adresse et le soir était le seul moment de la journée où on pouvait le rencontrer sérieux et la mine préoccupée, à l'heure où il faisait les courses pour ses squatters.
De temps en temps, ils se rencontaient, avec Huguette, l'hurluberlue qui prenait, selon moi, un énorme plaisir à être prise pour une dingue par des imbéciles. Bizarrement, quand on les voyait discuter tous les deux, ils paraissaient étonnamment sérieux et calmes. Je n'ai jamais vu Huguette glisser au creux de la main de Michel la moindre rondelle de saucisson d'Arles enveloppée de papier alu...

Un après-midi, j'ai vu Michel venir me rendre visite dans ma boutique, comme il le faisait souvent, suivi de son petit chien Béguy, qui représentait sa seule famille, et qui portait toujours des bandanas de couleurs.
Michel me dit alors qu'il se préparait à aller à l'hopital pour faire des examens, car il ne se sentait pas trés bien. Il est parti lentement , à pieds, après avoir laissé son chien aux bons soins du barman de la terrasse .
Il n'en est pas revenu : les médecins l'ont gardé .
Je me souviens que le soir du 5 mai 1992, je suis monté à l'hopital de la Misèricorde pour lui rendre visite.
Quand je l'ai vu, j'ai eu le coeur brisé: il était à genoux sur son lit, emmailloté comme un bébé, les mains tenant les barres surélevant les bords de son lit. Sa seule question a été pour savoir si je lui avais amené son chien. Je ne l'avais pas. L' infirmière m'a demandé de sortir un moment pendant qu'elle lui faisait des soins.
En patientant, dans la petite salle d'attente, je me souviens d'avoir discuter avec un homme, au sujet d'un match de foot qui allait se dérouler, dans deux ou trois heures, au stade de Furiani, près de Bastia. C'était un match important et j'avais vu la veille, à la télévision, les préparatives et l'agrandissement des travées par des gradins préfabriqués.
J'ai dit à cette homme que les calages des supports ne pourraient, à mon avis, jamais tenir toute une soirée, occupés par tant de monde, et qu'il était probable qu'une catastrophe se produise.
Dans la nuit de la catastrophe de Furiani, mon copain Michel s'éteignait, sans avoir revu Béguy.








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