l'arrivant XXXVI

Date 23-09-2012 13:00:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées


La soirée, si chaleureuse, pendant le repas, se révéla en plus spirituelle lorsque tous assis dehors, confortablement dans les banquettes de la grande terrasse, nous formèrent un cercle autour de Aroarii.
Dans la nuit chaude, nous étions réunis sous la petite lampe chargée de chasser le tupapa'u.
Les enfants fascinés écoutaient les histoires étranges des îles.
Notre narrateur tenait son auditoire sous sa voix et les images apparaissaient dans les esprits, ses silences disaient les peurs, ses intonations grondaient et disaient les combats, ou son souffle tout doux, retenu, dessinait une femme, une fleur, une source, sa musique peignait ce qui ne se voit jamais.
La magie nous entourait comme un cocon doux, nous étions en vol.
Vaiatea, participait aussi au récit en donnant de ci, de là quelques précisions que notre conteur oubliait.
Les yeux des enfants ignoraient le sommeil et perçaient les mystères que la voix nous tendait.
Marie-Claire, émerveillée, regardait les enfants comme si elle les découvrait, quand à Marthe, elle avait la tête qui pendait sur sa poitrine. Dés qu'elle se mit à ronfler suffisamment fort je lui suggérai d'aller se coucher.
"Marthe va te coucher"
"Pourquoi ? mais non je ne dors pas, j'écoute !"
Bon d'accord ! les ronfleurs, assis devant la télé sur leurs chaises ou leurs fauteuils, écoutent toujours, j'avais connu ça avec mon père.
A chaque reprise du ronflement, Nathalie assise à ses côtés, lui donnait des coups de coude dans les côtes.
"Pépette arrête !"
Mais Pépette ne renonçât pas tout de suite et lorsqu'elle se résolue enfin, à se lever pour aller dans son lit, le soulagement fut silencieux mais général.
Longtemps encore, sans que le sommeil ne nous visite nous restâmes ensemble vivant dans les fables.
Rodolphe capitula le premier, je le gardai sur mes genoux, je mis mon nez dans son cou, dans ses cheveux, je le reniflai avec délices, avec gourmandise, j'ajoutai ce plaisir animal au plaisir des récits, et de la beauté de l'instant.
Lorsque plus tard je le déshabillai et que je le déposai doucement dans son lit, il ouvrit les yeux, me regarda avec un sourire magnifique, il chuchota,
"Maman, je t'aime pour toute la vie maman chérie, quand je serais grand je serais Tahitien"
"Oui mon trésor d'amour, je t'aime fort fort et tu seras tahitien"
Cette nuit là, je dormis si profondément, comme je ne le faisais d'ailleurs jamais, que ce furent les enfants qui durent me secouer au réveil.
"maman, maman.. on part, on va tous marier les vanilles et après on ira à la pêche sur la pirogue"
"Marthe et Mari..."
"Non maman, elles, elles restent avec toi et Vaiatea"
Nous étions donc restées entre filles, je m'inquiétais un peu pour Rodolphe mais je le savais entre bonnes mains.
Je passais ma journée à lire, à flemmarder, à écouter les chansons de la radio, à écrire, à examiner les fleurs inconnues du jardin.
Je retournais m'allonger sur le lit, face à la fenêtre et je jouai avec le soleil.
Une feuille de cocotier de ses longs doigts de verdure divisait le cercle éblouissant en mille éclats, puis l'alizé joueur soufflait la feuille et découvrait soudain l'astre tout entier, ce facétieux brusquement remplissait alors l'espace d'une lumière violente, il plongeait dans mes pupilles affolées, il me faisait cligner des yeux, puis l'astre coquin et farceur disparaissait à nouveau dissimulé derrière la feuille, laissant dans mes yeux, des ronds jaunes qui brillaient, sautaient, tremblaient, disparaissaient, puis encore la feuille, revenait, puis esquivait les rayons, repartait... ...
Une journée rare, faite de tout et de rien, je picorais un plaisir, puis un autre ...
J'entendais dans le jardin voisin Vaiatea, bavarder avec ses deux filles mariées, sa cousine et des voisines, elles étaient assises sur le sol sous un immense Tou (cordia subcordata).|
L'arbre portait ses cent ans et offrait avec grâce sa rotondité végétale, plus loin deux Maras immenses, exposaient leurs fleurs oranges comme des lumignons sous les feuilles vernissées, derrière le grand fare de bois entouré de sa terrasse, une rangée de aïtos tamisait à l'aide de leurs hauts feuillages légers les rayons lumineux du ciel.
Tout autour de la terrasse, les longues feuilles sanguines et vert des Autis éclairaient comme des flammes, elles se mariaient aux crottons orangés, jaunes et rouges pour illuminer le bois sombre de la rambarde qui fermait la véranda.
Au pied de l'escalier, de chaque côtés les deux gerbes hautes et touffues de roses de porcelaine donnaient un aspect royal à l'entrée dans la maison. Au milieu du vert de la pelouse des bouquets de opuhis rose et rouge, rompaient l'unité.
Les femmes, assises, certaines les jambes repliées sous elles, d'autres à-demies couchées, les fleurs à l'oreille, bavardaient et éclataient de rire sans arrêt.
"Qu'est-ce qui pue ce motoï ! il empeste, il m'écoeurrre"
Vaiatea se plaignit avec son accent amusant, en désignant du menton le long et noueux ylang-ylang qui partageait généreusement ses effluves puissantes dans l'alizé, l'arbre prestigieux, associé depuis toujours des parfumeurs du monde avait une âme conquérante et emplissait l'atmosphère de ses émanations, de ses âromes sucrés et lourds.
Elle portait, une robe mama, sans ceinture, son ventre tendu se parait royalement des grosses fleurs d'hibiscus blancs sur fond rouge vif.
Mareva la fille aînée de Vaiatea, portait un paréo vert et jaune, noué sur son épaule, elle lissait les longs cheveux noirs de sa mère avec son huile de monoï qu'elle confectionnait elle-même en y ajoutant des fleurs et de l'écorce de motoî (ylang-ylang)et dont je recevais régulièrement un pot en cadeau.
"C'est vrrrai il est forrrt en ce moment, c'est la pluie d'hierrr qui l'a rrréveillé et puis tu es grrrosse, c'est pourrr ça que ça te gêne"
Deux voisines avait coupé des fleurs et préparaient des petits bouquets de tiarés, des colliers et des couronnes de fleurs et de feuilles de fougères.
La cousine dans son pareo peint d'un camaieu de mauve et de violet, cousait un tifaifai bleu océan qui s'étalait dans l'herbe derrière elle, pendant que la seconde fille de Vaiatea, tache de couleur rose et rouge dans sa robe-corsage ajustée et moulante qui découvrait ses jambes superbes, aidait sa mère à son ouvrage.
Les deux femmes avaient auprès d'elles des tubes courts de bambous, que les garçons avaient dû leur découper, et elles les remplissaient des gousses de vanille récoltées dans leur champs et qu'elles avaient séché avec soin. Puis elles les fermaient avec une corde de chanvre, préparée et tissée par Aroarii.
Elles nouaient le tout par de savants noeuds croisés et des noeuds plats de marins, exécutés avec art. L'ensemble parfaitement confectionné, terminé avec finesse et perfection serait ensuite porté au magasin et vendu dans les jours qui suivent aux touristes venus avec le bateau mais plus vraisemblablement avec l'avion.
Je vis la cousine de Vaiatea, attraper à pleine mains des aiguilles tombées des Aïtos et en lancer une poignée sur des merles en guerre sur le chemin, car ces énergumènes criaient comme des possédés.
" Foutez le camp, emmerrrrdeurrr !"
Au spectacle derrière ma fenêtre, je ne quittai pas un instant du regard ce tableau de femmes heureuses et insouciantes dans leurs beautés sans fards, sans façons surfaites, elles n'avaient , maquillé ni leur corps, ni leurs âmes.
je laissai glisser mes pensées quand je vis Mareva, assise trop près de la fleur du bananier, qui au bout de sa hampe, pendait, rouge, turgescente et obsène, recevoir le liquide de la plante qui goutta sur elle à plusieurs reprises et je ris quand je l'entendis se fâcher et s'exclamer;
" c'est dégueulasse, on dirrrait qu'il m'éjacule dessus, ce con de bananier "
Les rires grivois de femmes éclatèrent bruyamment.
"Tu rrrisques rrrien, j'espèrrre que ton tane bande mieux que ça, si il est comme le bananier il te ferrrra pas d'enfant, un mec n'éjacule pas avec la queue qui pend comme ça !!"
Les rires redoublèrent, elles en suffoquaient toutes, leurs fous rires s'entendaient de loin, et je vis Marie-Claire arriver de la terrasse, elle était horrifiée.
"Tu entends ?! faut peut-être leur dire qu'on entend tout, elles se rendent peut-être pas compte"
"Ne t'inquiète pas, non seulement, elles savent très bien qu'on les entends mais crois moi, elles s'en foutent complètement, et ici c'est pas grave "
"T'es sûre ?"
"Je suis sûre et même certaine "
Comme pour me donner raison, les feuilles géantes des tarots du voisin de l'autre côté s'écartèrent, le tahitien riait avec elle, et leur expliqua en tahitien que lui était comme le bananier, il ne bandait plus depuis deux ans.
Les rires, les blagues osées fusaient, le temps passait, la vie était là.
De ma fenêtre à jalousies dont j'avais ouvert les lames de verre , je regardais ce tableau de paradis, j'étais Gauguin, enfin, ne rêvons pas je voulais être Gauguin !
Mais Pourquoi ne le suis-je pas, je veux peindre ce que mon regard voit, pourquoi mes doigts sont-ils si malhabiles. Je veux offrir cette harmonie délicieuse et colorée, cette ode à la vie, sans restriction aucune, sans gêne sans pudeur inutile, simplement cette grâce, je veux transmettre à jamais cet esthétisme de toutes ces vies heureuses.
Mais mon souhait resterait voeux pieu, dans une autre vie peut-être ??
Le signal de la fin du jour vint avec le retour des "hommes" rentrés de la pèche.
Je vis Rodolphe descendre de la voiture, et immédiatement courir vers moi en tirant avec fierté, à bout de bras et traînant derrière lui, un collier de poissons enfilés sur un fil de fer.
"maman, maman regarde tout ce qu'on va manger"
Je le pris dans mes bras sans répondre, il sentait la vague, la pêche, la chaleur.
Il fallait maintenant me réveiller de mes songes.
L'inaction à laquelle je n'étais pas accoutumée, m'avait rendue lascive, ce rythme lent me faisait peu encline à m'agiter.
Les douches prirent plus de temps que d'habitude, il y avait du chahut parmi les enfants, des rires, des bousculades, beaucoup de joie et même des chansons.

Loriane Lydia Maleville


Quelque plantes de Polynésie
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