la peine perdue du pendu
Date 10-02-2020 21:20:00 | Catégorie : Poèmes confirmés
| La peine perdue du pendu
Portant cravate de lin tressé Et dans sa poche une érection, Un pendu de frais se pressait D'aller à une comparution. C'est au grand palais de justice, Où le Dieu du ciel présidait, Que le nouveau-mort, le novice, En trainant sa corde se rendait.
Lui qui craignait d'être en retard, Découvrit devant le palais Toute une foule de morts hagards Qui s'entassaient dans les allées.
Les cataclysmes et les guerres, Qui dansaient sur la peine humaine, Avaient sapé la vie sur terre En semant la peur et la haine.
C'est pour cela que tant de morts Forcés de rester sur le quai, Attendaient, anxieux, vers quel sort Leurs âmes seraient embarquées.
Il y avait un tel panaché De corps brisés ou faméliques, Que la figure violacée Du pendu parut esthétique. Faisant escorte, lui aussi, A cet immobile contingent, Avec la corde qui l'occis Il se mit à tuer le temps...
Dans la vie qu'il avait perdue, Il rêvait de voile et de mer, C’est pour ça qu’il s'était rompu A toutes les techniques nodulaires.
Mais sa passion coula à pic La première fois qu'il prit une barque, Il déglutit tout son pique-nique Sur le petit étang d'un parc.
Comme il n'avait pas oublié Dans la mort tous ces nœuds marins Il les faisait, les déliait En un habile tournemain,
Suscitant même l'admiration D'un compagnon de file d'attente, Un féru de navigation Noyé dans la baie de Sorente. La faux effilée de la mort Avait tant sifflé en fendant, Que la justice divine, encore Pris un retard sans précédent . Lassé de lasser, délasser, Tous ces nœuds faits avec aisance, Une idée vint au trépassé Pour reprendre son mal en patience. Lui qui mourut l'âme malade, Un sourire vint à son visage Car il repartait en balade Vers ce qui fut son plus bel âge... Comme un enfant part à l'assaut Du donjon qui ravit sa belle il fit de sa corde un lasso Qui touillait le bleu dans le ciel.
De là , la corde eut mille usages Fort utiles à leur évasion: La belle s'y tint avec courage Pour dévaler de sa prison.
Des douves entouraient le château, Comme elle ne savait pas nager, Il fit une liane de son cordeau Pour voler sur l'eau ombragée. Pour stopper net la chevauchée Des hommes en armes qui les traquaient, Entre un grand arbre et un rocher Il tendit la corde embusquée. Exténués, ils virent enfin Un cheval sauvage qui errait, Ainsi leur marathon pris fin: Au lasso il fut capturé.
Absorbé par son bout de rêve, La main du pendu envoyait La corde valdinguer sans trêve Parmi les morts qui l'esquivaient.
Bien qu'on lui hurla de cesser Ces intempestifs moulinets, Certains macchabées furent blessés - Façon de dire, vous comprenez!-
On vit voler des bras, des têtes, Et tout ça forma un monceau, Qui provoqua un vrai casse-tête Pour chacun trouver son morceau.
Quand la confusion retomba, Que s'éteignirent jurons et cris, Le pendu piteux, profil bas, Se fit discret comme un proscris.
Ne voulant pas faire empirer L'état de son funeste sort, Il n'osa même plus respirer Oubliant même qu'il était mort.
A force de regarder contrit Le bout de la ficelle en lin Qui trainait à ses pieds flétris, Un air de comptine lui revint...
Au cœur de la chanson candide, Entre un marabout et la selle D'un grand cheval de bois perfide, Se trouvait son bout de ficelle.
D'une voix qui reprenait courage Il s'entendit même égrener Sans fin le chapelet de l'ouvrage Où son bout d'ficelle revenait. Alors qu'il chantait en sourdine Un bruit de fond s'amplifiait, Il reconnut là sa comptine Que tous les morts psalmodiaient.
Le soin qu'ils mettaient à scander, A bien déclamer les couplets, Céda lorsqu'un d'eux eu l'idée Sur "tintamarre" de beugler. Ça amorça une belle pagaille, Un vrai concours de polissons, Et juste avant "chapeaux de paille" D'aucuns miaulèrent à l'unisson.
On ne voulait pas être en reste Au jeu des animaux criards Et quand vint "le cheval", du reste, On hennit sur un ton braillard.
Quand divaguait le "somnambule" Entre "paillasson" et "bulletin", Des corps putrides, plein de pustules Comme des zombis levaient les mains. Le ton vint à la bonhomie Et l'on vit même un plaisantin, Un gars bandé comme une momie Faire de ses bandes des serpentins.
Le clou de la récréation, Ce fut quand avant le mot "selle", Le pendu sous des ovations Agitait radieux sa ficelle.
D'après sa mort on devinait Que la vie lui avait ôté Depuis de trop longues années Ces instants de félicité.
Et cependant que dans la liesse, Le cœur léger il consommait Le gout perdu de l'allégresse, Surgit un ange pour ordonner: "Veuillez cesser ce tintamarre!" Et tous clamèrent d'une seule voix Des "mar!" des "marabout!" hilares Qui laissèrent l'ange, surpris, sans voix. Ils s’esclaffaient à qui mieux-mieux Ravis de voir l'effet produit Et il fallut entendre Dieu Gronder pour que cessa le bruit.
Dans le silence revenu Chacun prenait sa mine de rien: Qui, sifflotait le nez aux nues, Qui, se curait le bout des mains.
En arrivant désespéré A la centrale de tri des âmes, Notre bon pendu se fichait D'aller vers un sort plus infâme,
Car cœur serré, gorge nouée - Par la corde et par le dépit- Le pauvre hère abattu voulait Trouver dans la mort le répit.
En toute bonne foi de mécréant Il ne se doutait pas alors Quand quittant le monde des vivants Il n'était pas complètement mort.
Mais le bout de jeunesse reçu Dans les allées de l'outre-mort Lui redonna le goût perdu De vivre des aventures encore.
Alors qu'il méditait ainsi Et que la file se fût réduite, Son nom sur le perron jaillit, Suivit d'un : "venez tout de suite!"
On l'emmena dans une salle Obscure qui cachait ses limites, Jusqu'à la barre du tribunal: Une colonne de lumière bénite. Venant de nulle part retentit Une voix troublante qu’il reconnut, La voix même qui interrompit Un peu plus tôt le grand chahut.
"Puisque la mort tu t'es donné, Commettant là : péché « mortel », Je décide de te condamner A la peine des flammes éternelles.
Qu'à tu à dire pour ta défense!" " Je n'ai jamais menti, volé, Et permettez, votre excellence, Encore moins tué ou violé… !". "Il suffit! Car tu as tué! Oui ! Tu as tué l'existence Que je t'avais attribuée, Et sans appel est ma sentence!"
"J'ai voulu tué les tourments, Les malheurs et les préjudices, Tué les sadismes déments Qui firent de ma vie un supplice !" "Par la foi et par la prière Et dans le respect de mes lois, Tu pouvais faire de ces misères Un fabuleux chemin de croix
Qui t'aurait ouvert grand les portes D'une éternelle félicité. En quittant la vie de la sorte N'attend de moi aucune pitié.
Il ajouta même, facétieux, " Tu comprendras, c'est évident, Que je ne te dis pas adieu!", Puis coupa court par: "au suivant!"
Sur une grande trappe il fut conduit A l'aplomb des feux de l'enfer, Et quand elle s'écarta sous lui Il disparut vers Lucifer. La loi divine était rendue, I l allait brûler à jamais, L'affaire paraissait entendue, Mais… dans l'histoire il y eu un "mais!" Allez savoir par quel hasard La corde se prit a une saillie, Un éperon somme toute bizarre Aux parois du funeste puits. Ainsi son corps fut retenu Par la corde providentielle, Le pendu se vit rependu Mais entre l'enfer et le ciel. En se hissant à son cordage, Du trou ressortit le pendu. Et nul gardien dans les parages Ne vit ce coup inattendu. L'air innocent, en bien feignant, Il glissa en catimini Au milieu des heureux gagnants D'un ticket pour le paradis. Si l’épilogue vient confirmer La croyance souvent répandue Qui fait un gri-gri estimé D'un bout de corde de pendu,
A une question universelle Ce récit n’a pas répondu : Mais qui manie donc les ficelles, Celles du destin, celle du pendu ?
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