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Nouvelles confirmées : Des restes de civilisation
Publié par Donaldo75 le 16-06-2018 19:40:00 ( 1083 lectures ) Articles du même auteur



Le soleil commence à descendre. Le ciel se charge de nuages sales. Tom marche sans but dans la grande rue de Marysville ; il ne se souvient pas de ses dernières heures ni d’où il est sorti pour se retrouver en ces lieux. Quelques images éclairent son cerveau comme autant de polaroids éparpillés sur une table : il se trouve dans une fête, avec des visages inconnus, de l’alcool proposé avec le sourire par de superbes hôtesses habillées d’or, une musique aux accents de fin du monde et au refrain lancinant magnifié par un air de saxophone.

« Boys, Boys, it's a sweet thing
Boys, Boys, it's a sweet thing, sweet thing
If you want it, boys, get it here, thing
For hope, boys, is a cheap thing, cheap thing »

Les trottoirs sont poussiéreux. Les lampadaires s’allument progressivement, les façades reflètent la lumière des vitrines. Tom s’arrête devant un magasin de confection féminine ; le mannequin exposé lui rappelle quelqu’un, avec ses longues jambes, sa robe rouge, ses cheveux blonds et ses grands yeux tristes. Le jeune homme lui sourit ; il n’attend pas de réponse ou de signe, juste un semblant d’humanité dans un décor vidé de ses habitants. Les yeux bleus de la poupée de plastique le fixent avec un air de poisson mort, comme si la solitude avait depuis trop longtemps envahi l’espace.

Tom reprend sa marche. Il avance mécaniquement un pied devant l’autre. Au bout de la rue se dessine l’horizon encore hanté par un soleil orangé, une sorte de géant fatigué et bientôt débarrassé de ses oripeaux. Après une éternité, il aperçoit l’entrée d’un bar. Le jeune homme tressaille ; une silhouette semble bouger derrière le zinc. Il décide d’entrer pour en avoir le cœur net.

***

— Bonjour mon ami, lui lance le barman. Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ? Nous avons les meilleures bières de Marysville, le nec plus ultra dans le Nevada et au-delà.
— Ça me va.

Le barman démarre son rituel bien huilé. Tom le regarde, trop heureux de constater que la ville n’est pas complètement déserte, qu’il subsiste des traces de civilisation. Il tente d’en savoir plus sur Marysville.

— Je m’appelle Tom. Je viens de Los Angeles.
— Moi, c’est Joe. Je viens de Marysville.
— Vous êtes né ici ?
— Oui. Mes parents aussi, leurs parents également. Avant nous, il n’y avait que les crotales, les cactus et les Indiens.
— C’est toujours aussi désert, à cette heure ?
— Ne vous arrêtez pas à la première impression, Tom. Dans quelques heures, la grande rue va se remplir de monde, les magasins seront bondés et vous pourrez même sentir une bonne odeur de cacahuète grillée.
— Il fera nuit. Marysville vit la nuit ? C’est ça, Joe ? Comme à Las Vegas ?
— Vous connaissez l’histoire du Français, de l’Allemand, de l’Américain et du Mexicain, Tom ?

Tom ne voit pas le rapport avec sa question. Il sent que Joe veut à tout prix lui raconter son histoire, même si visiblement il n’est jamais sorti de son trou perdu.

— Non, Joe, je ne la connais pas.
— Je la tiens de mon grand-père ; elle date du début du siècle dernier. Bon, je vous la raconte. Un avion survole les Montagnes Rocheuses, avec à son bord, en plus de l’équipe de pilotage, quatre personnes : un Français, un Allemand, un Américain et un Mexicain. Soudain, le pilote annonce que le moteur a subi une grave avarie ; il n’y a pas assez de puissance pour arriver à destination. Le seul moyen est d’alléger le chargement. Les quatre passagers décident de délester l’habitacle de leurs bagages. Malheureusement, cet effort ne suffit pas. Le pilote leur demande alors un sacrifice. L’un d’eux doit se jeter dans le vide, et il n’y a pas de parachute de secours.
— Elle est glauque votre histoire, Joe.
— Je n’ai pas fini, Tom. Les quatre passagers se regardent, puis l’Allemand s’approche de la porte, l’ouvre, crie « Vive le Kaiser ! », puis se jette dans le vide. Le silence règne alors dans la pièce, puis le pilote annonce qu’il y a un mieux mais que ce n’est toutefois pas suffisant. Le Français, après le geste grandiloquent de l’Allemand, s’approche à son tour de la porte, regarde les deux autres, crie « Vive la République ! » puis saute.
— Je suppose que le pilote leur annonce ensuite qu’il faut encore un sacrifice.
— C’est exactement ça, Tom. Les deux derniers passagers se regardent, puis l’Américain crie « Vive Alamo » et pousse le Mexicain dans le vide.

Sur ces derniers mots, Joe se met à rire bruyamment, avec des petits cris de cochons. Tom ne trouve pas l’histoire drôle. Elle ressemble aux blagues du président, pour qui tous les étrangers sont des Mexicains. Le jeune homme esquisse un sourire de façade. Il sait désormais qu’il n’obtiendra aucune réponse de Joe, trop occupé à faire briller ses verres tout en le regardant d’un air égrillard.

Tom vide sa bière, paie Joe puis quitte les lieux.

***

Le vent se lève. L’air se réchauffe tandis que le soleil se décharne. Marysville ressemble à une ville fantôme abandonnée par ses habitants partis chercher la fortune dans les casinos de Las Vegas, peut-être pour éviter les blagues de Joe. Tom ne peut les blâmer.

Le jeune homme continue de marcher. L’horizon rougeâtre lui rappelle une légende que lui racontait son grand-père. Dans ses souvenirs, elle parlait d’un village dont la population avait disparu un soir, sans prévenir. On en avait parlé dans les journaux, à la radio, à la télévision, de New York à Los Angeles et même en Europe. Personne n’avait découvert la raison d’une telle disparition. Quand Tom avait demandé à son grand-père ce qu’il en pensait, ce dernier lui avait répondu, d’un air facétieux : « la vengeance des Indiens ou un truc comme ça ». Puis il avait cligné de l’œil, comme il le faisait chaque fois qu’il fallait garder un secret. Depuis, Tom n’en avait jamais parlé à personne.

« Boys, Boys, it's a sweet thing
Boys, Boys, it's a sweet thing, sweet thing
If you want it, boys, get it here, thing
For hope, boys, is a cheap thing, cheap thing »

Marysville semble loin désormais. Aucune voiture n’a croisé la route de Tom. La route s’étend jusqu’à l’horizon, bordée par le désert du Nevada avec ses crotales et ses cactus. « Putain d’Indiens ! » s’écrie le jeune homme en marchant vers l’infini.

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Auteur Commentaire en débat
Loriane
Posté le: 17-06-2018 13:45  Mis à jour: 17-06-2018 13:46
Administrateur
Inscrit le: 14-12-2011
De: Montpellier
Contributions: 9505
 Re: Des restes de civilisation
Merci coin coin pour le voyage.
Je t'ai suivi loin, loin avant et maintenant, dans ce rêve "américain" je t'ai accompagné avec beaucoup de plaisir;
Tu écris vraiment bien et tu sais saupoudrer ton récit de réflexion et poésie.
Merci de me réveiller de cette torpeur physique et intellectuelle qui suit mon opération.

Cliquez pour afficher l

L'indien arrive.
Donaldo75
Posté le: 17-06-2018 20:17  Mis à jour: 17-06-2018 20:17
Plume d'Or
Inscrit le: 14-03-2014
De: Paris
Contributions: 1111
 Re: Des restes de civilisation
Merci Loriane,

J'espère que tu vas bien et que l'opération est désormais derrière toi.

A bientôt,

Donald
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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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