Mon cœur de bois soudain s’arrête…
Autrefois, son bois vert tendre, trop jeune et inexpérimenté, s’est plié comme un roseau aux volontés généalogiques, au Monde, à l’Autre….. Cet Autre que je pensais avoir le visage de l’Amour.
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Quelques printemps plus tard, issus de ma floraison ont poussé deux beaux fruits. Je les ai nourris de ma sève. Je les ai protégés du mieux que j’ai pu des vents contraires courbant mes branches si nécessaire et les entourant de mes feuilles et de mon savoir hêtre.
Mais mon essence était parasitée par un gui insidieux, couvert du mensonge de symbiose et d’interdépendance du masque de l’Amour.
Le poison s’infiltrant lentement, mais inexorablement, m’affaiblissait tellement que je crûs mourir.
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Je n’aimais plus mon autre moitié, Notre pot devenait trop étroit Et je pourrissais... Cette constatation cruelle me fit réaliser que je ne pouvais plus rester plantée dans cette futaie.
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La séparation de nos deux espèces Et mon rempotage autonome fut salvateur. Le poison ne coulât plus en moi, aucune radicule ne pouvait plus s’infiltrer et me vampiriser. Ma croissance et celle de mes fruits a repris de plus belle. …
Des papillons virevoltaient dans ce nouvel horizon, se posaient parfois et reprenaient leur envol.
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Un été, un Ascia Monuste fut séduit par mon parfum sucré d’arbre fruitier. J’accueillis avec bonheur ce beau lépidoptère dans un amour partagé de mélange de cultures.
Il s’est pris pour un Bombyx du mûrier, a cru pouvoir devenir papillon domestique pour y poser son ver à soie et développer une colonie… Je me suis ouverte, épanouie et ai découvert avec ravissement des épices et des saveurs exotiques.
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Seulement, mon feuillage grignoté petit à petit et la nature orageuse de l’Ascia, incompatible avec la mienne, m’ont diminuée, fragilisée saisons après saisons…
Mes réserves fondaient… Mon écorce se fissurait… Mon bois craquelait…
Alors avant de me fendre et de m’abattre tout à fait sous les coups de Tonnerre, les éclats de voix et le courroux de sa foudre, je l’ai chassé du jardin où je m’étais implantée pour préserver mon intégrité.
Il est reparti, blessé, sur son île aux Antilles. J’ai convenu à ce que notre petite chenille le suive afin de découvrir avec lui ses racines, la flore et le climat tropical de ses origines.
Un interminable automne et hiver se sont écoulés avant qu’elle ne revienne, belle femelle papillon hybride sortie de sa chrysalide. Elle réélut domicile au sein de mes fleurs, se frottant d’aise les ailes et les antennes à mes fruits, ses frères tant aimés et protecteurs.
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Lors de son absence, un Psylle m’avait repérée, m’a manipulée pour me convaincre de son amour afin de quémander refuge. Son clan l’avait condamné à l’exil.
Il s’est nourrit de ma sève et mes feuilles se sont collées et couvertes d’un feutrage noir de deuil et de douleurs, ma chenille laissant un trou béant dans mon feuillage que lui n’a bien sûr pas comblé, bien au contraire !
Il a œuvré en catimini, profitant de mon trouble, m’aveuglant de son feutre doux, m’étouffant petit à petit, donnant des coups de canif dans mon écorce, obscurcissant mon horizon…
Plus je bruissais dans le vent pour continuer à lui assurer mon soutien, pour continuer à protéger la croissance de mes fruits, plus il me dévitalisait…
Une fois assuré de sa tranquillité, après avoir beaucoup manœuvré pour bénéficier d’un domicile, de pitance et de plaisirs, le puceron ailé s’est muté en Balanin des châtaignes, un répugnant coléoptère qui perce les fruits verts !
Le scélérat est allé trop loin dans l’ignominie de ses actes. Mon voisin et ami jardinier, qui prend soin de moi et de mon verger de temps à autre, m’a aidée à me débarrasser de cette vermine.
Soigner les plaies et les stigmates qu’a laissés cette brute profiteuse derrière son passage traumatisant fut long et difficile.
Cependant, ma petite, qui était revenue papillonner dans le jardin maternel, nous y a beaucoup aidés.
Dans ce rétablissement, j’oublie injustement de citer mon premier né qui a poussé presque tout seul tellement il est volontaire, sérieux et travailleur, joyeux et responsable. Il arrive à maturation et tombera bientôt de mon arbre pour rouler un peu plus loin ses graines et créer son propre jardin.
Son frère, véritable pomme d’amour, a traversé trois saisons terribles durant le séjour du Psylle. Il a failli se décrocher de sa tige. Un ver l’a dévoré de l’intérieur, il s’est affaibli, a failli se faire cueillir, s’approcher trop près du feu interdit et finir en compote !
Maman arbre, je l’ai retenu dans mes branches et lui ai tapissé un doux mais ferme nid de feuilles pour s’aguerrir. Il y est parvenu et rejoint désormais son ainé en maturité bien rassurante.
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J’ai livré beaucoup de sève dans ce, ces combats successifs.
Ce qui fait que mon bois s’est fendu en son cœur, s’est plié en deux et a failli craquer jusqu’à m’abattre au sol l’automne suivant.
Pourtant, mon tronc a tenu bon pendant les périodes critiques de gel, de sécheresse ou de grêle.
Mais l’accalmie venue, j’ai baissé ma garde. Mon écorce, tendue, devenue dure comme l’ébène afin de faire face, s’est brisée comme du verre aux premières gelées de la saison suivant ces intempéries.
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Les lueurs de l’automne, ma saison préférée, aux couleurs chatoyantes ont été tour à tour envoûtantes, charmantes, belles, berçantes, décevantes, douloureuses, rédemptrices, passages à une autre étape de développement végétal…
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Une nuit de l’automne dernier, j’ai répondu à l’appel d’une étincelle… Un paysagiste clairvoyant et appréciateur de toute beauté de Dame Nature m’a chuchoté de belles choses…
Séduit par ma candeur, que j’ai entretenue coûte que coûte malgré mon passé, il m’a charmée.
De plus en plus rougissante, je me suis effeuillée et ai laissé mes feuilles multicolores s’envoler jusqu’à lui.
Je lui ai signé de belles nervures, dédicacé des buissons ardents de sentiments. Je suis tellement amoureuse de lui que j’en désire créer un nouvel Eden enchanteur.
Nous pourrions y déguster les délices de la Terre, Le nectar de l’Eau rafraichissante, Et le vent de l’Air qui nous fait frissonner à nouveau…
Mais il a tant de paysages à peindre, à faire découvrir au monde, à entretenir… Lui aussi a son verger ! Donc il ne vient me visiter que peu.
C’est un artiste doué, qui travaille énormément, lucide et poète à la fois. Il défend de grandes valeurs écologiques et de grandes idées.
Aussi, je l’attends… Et je ne peux faire autrement de toute façon !
Ce virtuose exigeant emplit mes pensées et je ne cesse d’occuper les siennes.
Il ose me dire des vérités sur ma qualité biologique quitte à me blesser, tout en étant conscient de ses propres failles et s’avouant incapable de changer sa propre nature. Il me conseille pour mieux me cultiver, éliminant les nuisibles possibles. Il m’indique comment enrichir mon terreau et croitre plus forte guidée par un tuteur.
Je n’aimerais pas me façonner en jardin à l’italienne ou à la française trop disciplinés. Il le sait… Et il ne m’aimerait pas ainsi non plus d’ailleurs…
Mais il observe….. Réfléchit longuement…. Dit ces sentiments après parfois de longs silences…. Il coupe…. taille…. mes poussées anarchiques et par trop débordantes.
Concentrée à nouveau sur l’essentiel, je draine mieux mes forces et le gaz carbonique pour le transformer en oxygène.
Il pratique aussi des incisions curatives sur mes tiges qui donnent des boutures magnifiques.
Ainsi de ces coupures renaît notre histoire même si la sève s’est écoulée.
Ces rejets décuplent ma vie en dehors de moi et me développe encore plus loin que je n’ai jamais rêvé.
Je rêve de grandeur depuis Lui. J’essaie de me dépasser pour le satisfaire… Je pousse encore plus vite mais dans de meilleures conditions grâce à Lui.
Ma liberté s’accroît par bourgeons chauffée au soleil de mon cœur vibrant ou bercée par la lune éclairant nos nuits voluptueuses de partages spirituels, créatifs, tactiles et brûlants…
Nous nous permettons de rêver parfois de n’être qu’à Nous……. Et d’un jour futur atteindre le Ciel et les étoiles…
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Voyager ensemble à l’infini…
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Oui. Mon cœur de bois soudain s’arrête…
Car il n’est plus fait de bois,
il est Amour et Vie purs !
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