La Maison en coquillages 13 Le mot "fin" sur l'écran noir provoqua le cri de déception habituel. "rôooh ..." Le père Hervieu se dirigea dans le noir vers l'interrupteur et la lumière éclaira la salle. Presque en même temps le père Jankovitch, ouvrit grand les portes. Les enfants se dirigèrent sans bousculade vers les baraquements des âmes et cœurs vaillants. Les filles dans leur salle retrouvèrent sœur Thérèse et sa grande cornette blanche. La religieuse venait de terminer son habituelle consultation d'infirmière. Elle faisait pour les personnes du quartier des soins et des piqûres dans la petite infirmerie aménagée par le diocèse, dans la petite salle située à l'extrémité du bâtiment juste après la salle des filles. Linette, Anita et Christiane retrouvèrent les copines, les bavardages et les rires animaient la pièce bien chaude grâce à son gros poêle Gaudin qui trônait dans son coin chapeauté de ses gros tuyaux. Deux longues tables faites de simples planches et de tréteaux, couvertes de nappes formaient un angle droit au milieu de la pièce et occupaient une grande partie de l'espace. Sur un mur était adossé les étagères confectionnées par le "père Hervieu le bricoleur", et une grande armoire large et profonde complétait le mobilier. Dans cette armoire sœur Thérèse conservait les trésors de la petite communauté : les rouleaux de papiers crépon, les boites de colle, les rubans, les morceaux de carton, les beaux papiers brillants et colorés, les morceaux de tissu, quelques vieux vêtements offerts par les mamans et les paroissiens, des vases pour les fleurs, des brins de rotin à tresser, quelques livres, les ciseaux, les règles, les images et les statuettes saintes, des grands crucifix, des boites de boutons, d'épingles, des punaises, enfin tout le matériel indispensable pour les petits artistes qui confectionnaient des trésors pour les fêtes, célébrations ou processions. Sur les murs en décoration, les petites avaient accroché les longues banderoles de grandes lettres découpées qui leur rappelaient en permanence les grands préceptes de leur foi, Leur crédo : "Une âme vaillante a toujours le sourire", "une âme vaillante aide et aime toujours son prochain", "une âme vaillante aime donner et faire des efforts" "une âme vaillante est toujours disponible" "une âme vaillante fait preuve d'abnégation" "une âme vaillante est généreuse et modeste"... Et sur le mur face à la porte, en très grosses lettres la devise, le chant des âmes vaillantes pures et conquérantes : "Les âmes vaillantes, Pures et conquérantes Le Cri de Victoire Et le chant de gloire Bravons la tristesse Comme la mollesse Ce n'était secours Que le sourire toujours..." Leur vie était simple : les sentences étaient, là, sous leurs yeux. Linette connaissait parfaitement ces consignes divines. Elle en avait photographié à son insu, chaque lettre, sa grandeur, sa forme, sa couleur. Elle avait lu, lu et relu ces maximes qui était la promesse de son bonheur futur. Elle avait sous les yeux et dans son cœur ces devises et pensées qui la guideraient vers la perfection et la grandeur. De jour en jour, s' imprégnait dans son regard la recette pour aller vers une vie qui la guiderait "sur le chemin de la joie et du bonheur", elle avait pour but les règles à appliquer qui feraient d'elle une personne digne de l'amour de Dieu et de tous ceux qui l'entouraient. Elle devait juste apprendre à aimer les autres beaucoup plus qu'elle-même. Elle devait apprendre donc, jour après jour, à lutter contre son égoïsme et son orgueil, elle devait "s'oublier", et travailler. Sœur Thérèse et sa cornette, sœur Thérèse qui, elle, travaillait chaque jour, sans répit, et avait sacrifié sa vie à Dieu était l'exemple vivant à suivre. La religieuse parlait toujours avec une grande douceur aux petites filles qui l'écoutaient respectueusement. "les petites nous allons répéter le spectacle pour la sainte fête de Pâques, dites moi qui se rappelle de notre chanson ?" "moi, moi", moi, moi, moi aussi..." "Bien mes petites, nous allons d'abord chanter la chanson et ensuite nous répéterons la danse" "qui a commencé à faire son costume ? " "..." "personne ? bon nous commencerons tout à l'heure" Les petites, les yeux fixés sur la sœur attendaient le signe de sa main pour commencer à chanter, faux pour beaucoup, et le plus fort possible pour toutes : "Il était deux petits champignons Qui étaient mignons mignons mignons Et qui avaient vu le jour en même temps Un matin de printemps En grandissant au pied d'un sapin Comme voisin voisin voisin Ils virent qu'ils étaient deux champignons L'un fille et l'autre garçon Ils dirent pour simplifier tout Comme nous avons les mêmes goûts Que rien ne peut nous diviser On va s'épouser Et puis tout de suite Et voilà pourquoi Le muguet des bois Sonne et carillonne Et voilà pourquoi Le muguet des bois Au bois les oiseaux de tous côtés S'mirent à chanter chanter chanter Et chacun en habit de gala S'en fut cahin caha ..." Le chant résonnait dans la salle, et les fillettes répétaient la petite scène. Les petites tournaient sur elles mêmes en chantant, "les deux petits champignons" se mettaient à genoux au centre du groupe, tandis que "les brins de muguet" s'agitaient autour du petit couple en tintinnabulant, à l'arrière, le "grand sapin" perché sur un tabouret ouvrait grand ses bras, et les "petits oiseaux" tournoyaient à petit pas autour du petit groupe. Toutes chantaient et la scénette les remplissait de joie. "c'est bien, c'est très, très, très bien, mes petites" disait la sœur, n'oubliez pas de dire la date du spectacle à vos parents, pour la fête nous décorerons la salle de cinéma, avec l'aide des cœurs vaillants et de monsieur le Curé". Le père Turck venait d'ouvrir la porte et se dirigea vers Linette. "dis moi, Linette, ton tonton est toujours d'accord pour nous faire des galettes des rois ? tu sais que c'est la semaine prochaine" "Oui, il a dit que c'est lui qui les apportera avec sa voiture" "Tonton Jean et tatie Solange" étaient boulangers et avaient un beau magasin plein de merveilleux gâteaux; "Tatie Solange" était la sœur de la maman de Linette. Lorsqu'elle était plus petite, le tonton de Linette avait gagné un premier prix de décoration en pâtisserie. Pour cette occasion les oncle et tante de la fillette, l'avaient emmenée avec eux à l'immense banquet de remise des prix. Les yeux de la petite fille garderaient pour toujours ce souvenir merveilleux, d'une salle remplie de pâtissiers autour de très grandes tables chargées de gourmandises à profusion : chocalt, gâteaux, bonbons, nougatine, crème ... Ce soir là, Linette avait vomi, malade d'excès, punie par sa gourmandise irréfrénable. "waouh ! ton tonton fait des gâteaux !!, ben j'te f'rai dire que t'as d'la chance hein !" Linette était d'accord, car chaque lundi soir, veille du jour de fermeture de la boulangerie, papa ramenait de chez son oncle et de sa tante, des gâteaux qui la consolaient un peu de la tête de veau, des couennes, du gras double...et autres horreurs de la cuisine maternelle. Anita et Christiane avaient mis leurs manteaux, le cache-nez autour du cou jusqu'aux yeux, les mains dans les moufles. Dehors il faisait nuit, il faisait froid, Linette en s'habillant pensa au jardin de Papa, c'était encore l'hiver, il fallait attendre encore pour aller voir ses amies les fleurs, même leurs vélos restaient dans le cabanon par crainte du verglas ... Elle rêvait. "tu viens ? Linette...? tu viens ?..." "Oui, j'arrive..." "j'ai drôlement faim" disait Christiane. Lydia Maleville
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