Deux hommes se trouvent dans la salle d’attente chez le psy : un jeune d’une vingtaine d’années et un autre d’âge mûr à la barbe grisonnante. Un troisième patient, cheveux rasés et fine moustache, entre dans la pièce et s’installe en saluant les autres. Le plus âgé lui demande.
– Vous venez souvent ici ? Je vous ai déjà croisé. – Cela fera la quatrième fois en deux mois. – Et vous ? – Je ne les compte plus mais je crois être à plus de cent consultations. J’assure la retraite de ce bon vieux psy. – Ah oui, tout de même ! Et vous venez pour quoi ? – Burnout. Et vous ? – Soucis dans mon boulot et dans mon couple. Je travaille comme chef cuisinier au restaurant « La joie de vivre », vous connaissez ? – Oui. Ils servent un délicieux waterzooi. – C’est ma recette. Le resto portait bien son nom jusqu’au divorce de mon patron. Il a commencé à devenir très irritable. Il était tout le temps sur mon dos, chicanant pour des queues de cerises alors que jusque-là j’étais très libre dans la gestion de ma cuisine. Cette tension, je l’ai ramenée chez moi et les disputes ont débuté avec ma femme. C’est elle qui a demandé un certificat médical à notre médecin de famille et qui a pris les rendez-vous ici pour que je vide mon sac. Ça me fait du bien. Et vous, quelle est votre histoire ? – Je suis employé dans un service de contrôle fiscal. Un collège a attrapé une sale maladie. Il dit que c’est une contribuable qu’il a redressé fiscalement qui lui aurait jeté un mauvais sort. Les risques du métier ! Mais personne n’a été engagé pour le remplacer. Vous savez, on fait rentrer des sous dans les caisses mais on reste le parent pauvre de l’administration. Vous verriez la vétusté de nos locaux et l’état de notre matériel. Un pied de ma chaise de bureau est un bout de bois récupéré sur un chambranle de porte. Mon écran d’ordinateur est en noir et blanc et nos latrines sont des toilettes à la turque. Je ne vous raconte pas dans quel état elles sont quand l’unique femme de ménage est en vacances. Bref, il a fallu reprendre ses dossiers. Ma collègue étant en repos de maternité, sa remplaçante n’était pas apte à en gérer plus. Donc j’ai tout récupéré. Mais effectuer deux fois plus de travail dans un même temps donné, on accumule assez vite les retards avec à la clé les réprimandes des supérieurs, le mécontentement des citoyens contrôlés et pour finir les erreurs que l’on commet. Un jour, j’ai pété un câble et lancé mon ordinateur par la fenêtre, évitant de peu la tête de ma collègue. On m’a tout de suite mis en arrêt, c’était il y a six mois. – Et bien ! Je constate que je n’ai pas trop à me plaindre finalement.
Les deux hommes se tournent vers le troisième patient dans la salle d’attente.
– Et vous Monsieur ? Vous venez ici pour un ras-le-bol professionnel aussi ? – Pas exactement. Je suis chômeur de longue durée, donc de pas prise de tête avec mon patron. Je suis plutôt déprimé de ne pas trouver d’emploi. Mais vos histoires m’ont réconforté. Je pense que je vais annuler mon rendez-vous, je ferai l’économie d’une consultation. – Vous êtes heureux finalement de ne pas être sous pression au boulot et vous allez vous contenter de votre statut de sans emploi ? – Pas du tout ! Je sais juste maintenant où postuler. Bonne journée, Messieurs. Et je ne vous dis pas bon rétablissement.
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