Je suis assis sur un grand coffre métallique. Son métal est recouvert d’une épaisse couche de peinture… un épais feuilleté de peintures blanches. Les embruns salés, les intempéries et le soleil s’obstinent à maltraiter cette protection temporaire. Je suis assis sur un grand caisson blanc. A sa partie frontale, un écriteau exprime deux langues, l’italien et l’anglais. Ces deux langues indiquent qu’il est interdit de se coucher sur le coffre. Mais peut être disent elles autrement? Je m’aperçois que tous les coffres appuyés sur le bastingage, identiques à celui-ci, sont numérotés. L’un d’eux nous porte, moi, et le numéro 17. Le numéro 17 m’est attribué par un tirage au sort… effectué sans doute par une main sans corps ni matière, en un lieu inexistant. Le coffre est un plot vertigineux, une aire de balbuzard accrochée à flanc de navire. Je sais, sans savoir l’expliquer, que le plot numéro 17 m’est assigné pour l’ultime voltige, l’apothéose. En usant de précaution pour ne pas transgresser, même subrepticement, l’interdit du panneau; depuis ma position assise je me mets debout sur le caisson. Je regarde droit devant moi et j’inspire une grande bouffée d’horizon lointain. Mes yeux et mes bras graduellement s’élèvent et je dois monter sur les pointes de pieds pour tremper mes doigts au ciel. Lentement ils redescendent, devant moi, jusqu’à mes hanches. Ils déposent au passage de la poudre subtile, à mon visage, mon torse. J’incline avec précaution ma tête sur les côtés, puis, les yeux redéposés dans mes paupières, je la fais tourner doucement. J’échauffe ainsi les muscles de mon cou. Ensuite, comme je l’ai vu faire, je secoue énergiquement mes bras amollis. Cela produit des ondulations de bouts de corde.
Le plongeon déroule une longue tirade ébouriffante. Des figures de toutes sortes… des pirouettes tirebouchonnées, des enroulements, vers l’avant, vers l’arrière. J’y incorpore même quelques gestes d’ornement avec les bras, la tête. Tout ce chamboulement produit une vision stroboscopique qui m’offre, par bribes, les couleurs ambiantes: le noir effiloché de la mer, la coque blanche, la peau opalescente de l’univers… Etonnamment, malgré l’esthétisme du plongeon, les balcons des ponts superposés me donnent des visages effarés avec des yeux, des bouches à oh! … les visages effarés de ceux qui, l’instant d’avant, rêvassaient en confiant leurs pensées au fil de l’horizon ou aux éclaboussures d’étrave, et de ceux qui voyagent en spéculant déjà sur leurs prochains voyages… Quelques autres pourtant ne paraissent pas sidérés par mon saut incongru. Parmi eux, les deux membres d’un couple qui consacrent leurs gestes, leurs mimiques et des cris refrénés, à démontrer que l’autre a tord. Il y a aussi cet homme tenant à une laisse rigide un chien labrador. Une fillette, d’environ six ans, me suit du doigt. Subjuguée, ravie. Elle lance son doigt sur moi pour ne pas me perdre et pour indiquer à sa mère ma présence fuyante. Elle fait cela comme font les enfants enthousiasmés, par un numéro de cirque, un oiselet dans le jardin… Mes virevoltes retardent la rencontre de mon corps avec la surface de l’eau. Juste avant le contact, je tourne en boule, comme si je me tenais dans un pneu de voiture qui dévale une colline. L’impact est inouï. J’ai l’impression de percuter un récif embusqué à fleurs d’eau. C’est la coque arrondie de mon dos qui touche tout d’abord l’eau. Cela répand dans ma tête une odeur de poudre brulée. Mes os craquent et mes viscères éclatent. Le choc pourtant ne me tue pas. Mon corps, pris dans ses moulinets véloces, tourne et tourne encore. En boule. Une boule comprimée qui retient la fuite de mes organes, de mes fluides et de mes sens extasiés. La force d’inertie de cette rotation parait inextinguible. Elle perfore la mer profonde jusqu’à la nuit de l’eau. Mais peu à peu elle ralenti. Mon corps alors se rend au balan des profondeurs. Par instants, mollement, j’entrevois, très haut, le ventre clair d’une escouade de cétacés qui frôle en planant une petite corolle de lumière dépolie. Je sens des présences s’approcher de mon corps qui divague. Des bras d’eau, avec précaution et infinie douceur, tournent et retournent mon corps en suspension, ils impriment à mon corps une dérive suave. Je suis brisé, grisé. C’est un heureux numéro que le 17.
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