J’avance, seule, sur cette allée de pavés rouges. La maison semble m’observer avec bienveillance de ses deux fenêtres blanches aux persiennes mi-closes. Nous sommes de vieilles connaissances. Je pénètre dans le couloir au miroir imposant. Une odeur particulière a toujours régné dans les lieux. Même les yeux fermés, je saurais où je suis, rien qu’en humant l’atmosphère. Mes pas me mènent à l’étage. Le seul changement qui a été opéré ici est un échange entre la chambre d’amis et le bureau. Je me souviens que le samedi soir, je me couchais à l’envers dans mon lit afin de pouvoir regarder le programme de Disney sur la vieille télé en noir et blanc à l’image peu nette. Je regarde sous le lit : il ne serait plus possible que je m’y glisse pour une partie de cache-cache. Dans la chambre principale, je caresse l’oreiller de droite. Ma chère petite mamie, tu me manques tant ! Tu ne seras restée que quelques mois loin de ton mari chéri. Je descends et entre dans la cuisine. Là , ce sont des souvenirs de croque-monsieur, de pâtes bolognaise ou au jambon que mon papy mangeait avec de la cassonade. Même en reproduisant les recettes ancestrales, je n’ai jamais pu retrouver les mêmes saveurs. Je traverse le garage pour arriver sur la terrasse qui surplombe le jardin en pente. J’attendais chaque hiver que la neige tombe afin de pouvoir sortir la luge aux patins rouillés. Pendant des heures, je me laissais glisser avec joie. Le tracé devenant tamisé, ma vitesse augmentait. Quelles sensations ! Difficile de pouvoir en profiter maintenant, la neige se fait trop rare depuis plusieurs années. Je sors du jardin pour pénétrer dans le petit bois qui jouxte la maison. Au détour d’un sentier, je tombe sur une petite fille semblant sortir tout droit des années quatre-vingt avec son pull flashy et son pantalon large. Nos regards se croisent et nos sourires éclatent :
– Lucie ! C’est bien toi ? – Bien sûr ! Tu ne me reconnais pas ? – Mais… je te croyais toute droite sortie de mon imagination. – Oui et c’est toujours le cas. – Mon amie imaginaire. On en a passé des heures à s’amuser. –Tu te souviens des coccinelles ? – Oui, on les traquait pour compter leurs points noirs. On en avait même trouvé une avec dix ! Un record absolu ! – Et nos parties de cache-cache à l’étage. – Bien sûr ! Impossible maintenant de me glisser sous le lit ou dans une garde-robe. – Et nos concours… – … de corde à sauter ! Tu étais imbattable ! – Comment se fait-il que je ne t’ai pas revue avant ? Je suis déjà revenue plusieurs fois dans ce bois. – Ton état d’esprit est particulier aujourd’hui. Ton âme est tournée vers le passé. – Oui, le décès de ma grand-mère m’a touchée et j’avais envie de faire un bond en arrière. – Ta nostalgie m’a fait réapparaître. – J’aime me remémorer mes souvenirs d’enfance. Ça rassure. Tu sais, ce n’est pas toujours facile d’être adulte ; les responsabilités, les obligations. – Je ne connais pas. J’ai huit ans depuis toujours. – Quelle chance, j’aimerais tant redevenir petite. J’ai l’impression d’avoir perdu mon âme d’enfant. – L’âme d’enfant d’un adulte ne disparaît jamais. Juste, il l’oublie… Je serai toujours là ! Lucie m’adresse un sourire lumineux avant que s’évaporer dans le feuillage des arbres. Un sentiment de profonde quiétude m’envahit. L’insouciance, voilà le propre de l’enfance que regrettons tous de perdre en grandissant.
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