Macadam

Je ne sens plus mes pieds, le trottoir est plombé,
Est-ce bien en Enfer que je suis retombé ?
Le bitume est si mou, vrai chemin de calvaire,
Une route sans fin pour qui n'a rien à faire.

Le bar est devenu ma seconde maison,
Le seul endroit au monde où nier la raison.
Quand Véra la barmaid écoute mon histoire,
Je ne suis plus un gueux, le perdant de la foire.

J'aime quand elle rit, mouille ses très beaux yeux,
Applaudit des deux mains, remplit d'or tous mes creux.
Je deviens Arlequin et elle Colombine,
Au théâtre de zinc, loin de toute combine.

Il est temps de rentrer, m'a-telle encore dit,
Je ne peux te servir, tu connais l'interdit.
C'est la même chanson, une triste rengaine,
Qui juge le client sur sa simple dégaine.

Je marche dans la nuit vers le grand nulle part,
Un petit bout de rien, moins que le tiers d'un quart.
Mon reflet me répond, fantôme de vitrine,
Montre ma nullité dans la grande machine.

Demain me tend les bras au bout du macadam,
Quand je devrai pointer tel un simple quidam,
Matricule de plus, au chômage technique,
Passé de citoyen à honte statistique.