Tu m'avais dit un jour, passant devant ce lieu :
"C'est le dernier arrêt, pour le dernier voyage,
La porte des mourants.."...J'en franchis le passage,
Voulant douter encore de ce dernier adieu.

Ami...
Nous avons navigué tous deux, dans les embruns,
Nous passant, en riant, la bouteille ou la barre
Et nous allions, après avoir mis les amarres,
Au ' bar de la Marine ', retrouver monsieur Brun.
Quand, partant du Pharo, en sortant de son anse,
L'accent de nos amis, au hasard du chemin,
Faisait chanter nos coeurs, en leur serrant la main,
Toi, tu prenais, comme eux, le parler de Provence.
Le petit restaurant où nous allions, parfois,
Doit encore résonner de nos derniers fous rires
Quand les plus renfrognés se mettant à sourire,
Partageaient la gaieté en y mêlant leurs voix.

Le hall de marbre blanc vibre, dans le silence.
Qui m'aurait dit qu'un jour j'y viendrai pour te voir,
Pour un dernier adieu, un timide au revoir
Dont je pèse les mots, pendant que je m'avance...

Je songe, en souriant,à bien des souvenirs.
Tu partis, un matin, calmer une fringale
Et tu dus, en mangeant, penser au Portugal.
J'attendis quinze jours pour te voir revenir.
Ton désarmant sourire et ta désinvolture
M'ont parfois sidéré, lorsque tu entraînais
Un créancier grincheux, pour le faire promener,
Et qu'il s'en revenait, riant, dans ta voiture.
Mes filles t'accueillaient en t'appelant ' Tonton '.
Tu criais " A manger ! " en frappant sur la table
Et prenais, avec elles, un petit air coupable,
Quand leur mère,exigeait que vous changiez de ton.

Je ne sais quoi te dire, debout, à ton chevet.
Tu me fixes en silence, et puis le temps s'écoule
Et tous les souvenirs, un à un, se déroulent
Comme ceux du matin, après avoir rêvé.
D'un geste résigné, tu montres ton martyr.
Je crois devoir bien faire en te parlant d'espoir
Et te dire que, bientôt, on allait te revoir.
Tu as eu l'air déçu en m'entendant mentir.