Dans la nuit du vingt-neuf au trente octobre 2016, il n’y a pas eu que le passage à l’heure d’hiver. Chaque être humain se mit à parler une langue différente, une langue propre, étrangère à toute autre sur Terre et compréhensible que par lui-même. Imaginez la panique ! Plus personne ne se comprenait. Avant, on pouvait dire que des gens ne s’entendaient plus car en fait ils ne prenaient plus la peine ou le temps de s’écouter ! Mais là , toute écoute devenait stérile et frustrante. Les relations virtuelles, tant appréciées pour leur facilité à y mettre fin d’un simple clic, devinrent impossibles. Sur les divers écrans, de toutes tailles, les messages des uns restaient du charabia pour les autres. Il n’était plus possible de partager des faits essentiels comme la consistance du dernier caca de bébé, du nombre de kilomètres parcourus autour du pâté de maison ou autre coup de gueule sur le tapage des voisins. Chacun ressentit un vif sentiment de solitude, d’isolement et de frustration. Les gestes remplacèrent donc la parole. Les insultes devinrent des grognements et des cris. Les yeux, n’étant plus fixés sur les écrans, purent ainsi retrouver le besoin de croiser le regard des autres, pour se sentir exister. Des scientifiques, philosophes et autres théologiens se penchèrent sur l’origine de ce phénomène soudain et en cherchèrent la cause. Epreuve divine pour les uns, conséquence de la profusion des ondes en tous genres sur le cerveau pour les autres. Mais l’urgence était de rétablir un moyen de communication entre les hommes. Il fallait créer une nouvelle langue, cette fois universelle. Tâche ardue au possible sachant qu’il y avait désormais autant de langues que d’êtres humains. C’est alors que l’on ressortit l’œuvre du Docteur Zamenhof sur l’Esperanto, cette langue créée de toute pièce, sans difficulté orthographique ou grammaticale, sans origine. D’un grognement, tous marquèrent leur accord pour adopter ce langage commun. En quelques mois, les êtres humains retrouvèrent la joie de communiquer. La vie en société reprit son cours normal. La langue ne fut plus jamais une barrière. Cette crise qui éloigna les hommes pendant un temps finit par les rapprocher et les unir. Depuis l’espace, deux vénusiens dans leur soucoupe se tapèrent dans les quatre mains, heureux de leur petit effet sur leurs éternels cobayes.
|