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Nouvelles confirmées : La forêt
Publié par Donaldo75 le 09-08-2016 05:15:47 ( 1107 lectures ) Articles du même auteur



La forêt

Rupert marchait dans la forêt, sans but ni raison. Le doux bruit des feuilles, le vent frais, l’odeur des fougères, tout l’attirait dans ce monde apaisant. Nottingham était désormais loin derrière lui, dernier symbole d’une civilisation fatiguée. Le jeune homme pensa à son mariage raté, à ses rêves écornés par la réalité, aux reproches de sa famille et à sa fuite en avant. « Suis-je un monstre, un inadapté, une chimère perdue dans une dimension improbable ? ». Cette question le tarauda pendant des minutes, des heures, sans afficher d’éléments de réponse, même fragmentaires, juste des points d’interrogation dans son cerveau dérouté.

Rupert se souvint de sa rencontre avec Mélanie, une jolie étudiante en arts plastiques. Il se rappela chacun de ses mots, quand il lui expliquait l’univers probabilistes, la matière dans tous ses états, l’ignorance des hommes sur l’avant et l’après, le chemin à parcourir avant de toucher la signification ultime. Mélanie le regardait attentivement, ponctuant son discours de sourires charmeurs et d’une gestuelle presque chorégraphiée. Pour elle, Rupert se triturait les neurones pour donner du sens à l’infiniment grand et l’expliquer au définitivement commun. Mélanie voyait le monde dans ses formes changeantes, ses couleurs entrelacées et ses volumes bombés. Elle aimait Rupert parce qu’il représentait une forme de surréalisme, dans sa pensée, son mode de réflexion et son éternel questionnement. Chez lui, la théorie du chaos côtoyait les mathématiques traditionnelles, la mécanique quantique et la philosophie kantienne. Pour elle, ce mélange des genres tangentait l’approche religieuse, une façon artistique d’approcher la folie. Au-delà des carrés et des ronds.

Quand la sonde américaine avait enfin atteint l’orbite de Pluton, Rupert avait sauté de joie, sablé l’événement au champagne puis demandé la main de Mélanie. D’un couple atypique, ils étaient passés à des époux officiels, légitimes, à la surprise générale, même pour leurs parents respectifs. Jeune peintre en devenir, Mélanie avait alors accepté de suivre son mari sur le continent, de rejoindre le centre d’études spatiales et de reléguer sa propre carrière au second plan. Elle s’était ainsi fondue dans la masse des expatriées de Noordwijk, ces femmes de scientifiques perdus la tête dans les étoiles à la recherche d’un Graal hypothétique. D’un naturel positif, Mélanie avait tiré le meilleur de la petite ville balnéaire, de l’humour batave, des curiosités locales, par des tableaux inspirés et des croquis sur le vif. L’artiste dessinait le monde tel qu’elle le voyait, tandis que le physicien cherchait à le définir en équations et en hypothèses, avec une bonne part d’inconnu et beaucoup de fumée. Un équilibre instable.

Le visage de Mélanie s’effaça progressivement des souvenirs de Rupert. Elle l’avait quitté pour toujours, sans préavis ni scandale, juste sur la pointe des pieds. Rupert n’avait pas vu le coup venir, trop occupé à compiler les données surprenantes de la sonde américaine et à en tirer de nouvelles théories sur la genèse du système solaire. Il ne s’était pas aperçu de ses absences prolongées, de ses voyages répétés à Amsterdam, sous prétexte d’un vernissage important ou d’une exposition inédite. Rupert avait progressivement remplacé la vie de couple par un travail acharné, des nuits sans sommeil, des heures de calcul et d’analyse, loin du foyer marital, perdu dans son laboratoire. Ses collègues, son responsable hiérarchique, son père et sa belle-mère, tous l’avaient alerté des risques de surmenage, de faillite familiale et de perte de l’essentiel au profit d’une quête d’absolu. Une variable vite écartée par Rupert.

La forêt accueillait Rupert dans ses mailles confortables. Les arbres l’invitaient à poursuivre sa route, à oublier les fantômes du passé. Le vent lui soufflait de nouvelles équations, plus simples que les postulats poussiéreux de ses collègues aveuglés par le conformisme et le modèle général. L’odeur des fougères le ramenait au début, à l’essence même de la matière, une perception finalement dépendante de l’observateur et non de l’observation.

La nuit tombait lentement, laissant le ciel nuageux découvrir une Lune presque pleine. Rupert chassa ses derniers souvenirs pénibles, ceux de sa mise en congés pour d’obscures raisons, de son départ précipité pour Nottingham où l’attendaient les experts médicaux spécialisés dans la surchauffe de neurones. Il occulta son arrivée à la gare, le sentiment étrange de se retrouver perdu dans le troupeau aveugle, au milieu des consommateurs d’idées digérées à l’avance et de croyances délivrées en boucle par la télévision ou la publicité. Rupert préféra conserver l’image de ce chauffeur de taxi, un vieil Hindou, qui l’avait amené sans poser de questions, à trente kilomètres de la civilisation, au bord de la forêt. « Bonne chance dans votre quête, vous trouverez la voie » lui avait seulement dit l’homme d’un autre âge, en lui prenant les mains dans les siennes.

Rupert sentit les premiers signes de fatigue assaillir son corps. La forêt commença à bruisser, une sorte d’invitation à la pause. Il se sentit rompu mais l’esprit clair. Les équations devenaient évidentes, telles une musique inspirée, un chant incantatoire. Les arbres cachaient un peu la Lune, le vent sifflait dans les feuilles, le sol bougeait en douceur, la végétation sentait la terre et le mouillé. L’univers prenait forme, loin des ronds, des carrés, des symboles grecs ou de la table des éléments chimiques. « Je ne peux pas être le seul à voir tout aussi clair » pensa Rupert dans un ultime effort. La nuit remplit l’espace forestier, une chouette commença à hululer. Rupert s’allongea sur son lit de mousse et de fougères puis laissa la forêt lui raconter l’avant et l’après.

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Auteur Commentaire en débat
Loriane
Posté le: 10-08-2016 11:00  Mis à jour: 10-08-2016 11:02
Administrateur
Inscrit le: 14-12-2011
De: Montpellier
Contributions: 9505
 Re: La forêt
Je suis partie avec Rupert, oui, cette initiation à notre union à la nature est une poésie attractive, Tu as agrandi l'univers.
" Hover " L'esprit ouvert.
Je ne savais pas que pluton était responsable d'une rupture entre Rupert et Mélanie, pauvre Pluton, planète naine, elle même déclassée pour son manque d'attractivité.
Pluton n'est plus une planète ! que nenni ! l'assemblée des astronautes est une assemblée de brigands , Vive pluton. et avec les américains sauvons le soldat Pluton
En osmose avec la nature, là dans sa forêt, Rupert reviendra-t-il de son voyage onirique avec des arguments pour la défense de Pluton ,
Lecture très poétique qui nous emporte
Merci
Istenozot
Posté le: 10-08-2016 18:59  Mis à jour: 10-08-2016 18:59
Plume d'Or
Inscrit le: 18-02-2015
De: Dijon
Contributions: 2303
 Re: La forêt
Cher Donald,

Tes nouvelles prendraient-elles une nouvelle direction? Un chemin poétique?
Comme le peintre Picasso, changerais tu de période?

Dans la poésie de ta nouvelle, je vois aussi les métiers prenants dans lesquels on s'investit, qui peuvent nuire à la vie de couple et à la vie familiale et être la source de fractures. Je vois aussi l'absolutisme d'un métier qui peut aussi conduire un être à la démesure et à la folie.

Mais la fin de ta nouvelle, très poétique, est apaisante et nous enchaîne à l'espérance d'un destin plus favorable pour Rupert.

Merci pour cette belle nouvelle empreinte de poésie.

Amitié de Beaulieu en Languedoc.

Jacques
Donaldo75
Posté le: 11-08-2016 10:13  Mis à jour: 11-08-2016 10:13
Plume d'Or
Inscrit le: 14-03-2014
De: Paris
Contributions: 1111
 Re: La forêt
Bonjour Loriane,

Je suis ravi que ce texte t'ai plu.

Pour tout t'avouer, quand j'étais petit, je ne jouais pas avec des doudous mais lisais des encyclopédies, celles de ma mère professeur de lycée, avec une forte attirance pour l'astronomie. C'est dans une de ces encyclopédies, appelée "Tout l'Univers" que j'ai découvert le cortège des neuf planètes dont Pluton était la limite.

Cette planète a toujours constitué un mystère à mes yeux, parce qu'elle est la seule tellurique perdue dans un espace de géantes gazeuses, parce qu'elle est tellement inconnue qu'elle en devient mystique. Bref, pour des tas de raisons, je trouve que ce petit monde supposé gelé mérite mieux qu'un déclassement administratif en planète naine. Je suppose que ce sont de vieux birbons rasoirs, incapables de voir autre chose que de la matière dans ce qui nous entoure, qui ont décidé d'appliquer des critères un tantinet rétrécis.

Rupert va-t-il sauver Pluton ?
En tout cas, il a trouvé sa voie.

Bises

Donald
Donaldo75
Posté le: 11-08-2016 10:22  Mis à jour: 11-08-2016 10:25
Plume d'Or
Inscrit le: 14-03-2014
De: Paris
Contributions: 1111
 Re: La forêt
Cher Jacques,

Tu l'as bien senti, je m'intéresse plus à la poésie qu'aux nouvelles, en ce moment. C'est certainement une nouvelle mue, entamée avec des textes antérieurs à mon premier poème, à l'instar de celui-ci.

Je suis un peu Rupert, dans un monde de consultants où la poésie et la beauté des choses échappent à la majorité de mes collègues et interlocuteurs, plus enclins à parler de Kim Kardashian et ses grosses fesses refaites, de la primaire à l'UMP et ses deux chevaux de retour, ou du dernier bouquin de management écrit par un gars connu seulement de son cercle mais bien marketé par un éditeur malin. Ma forêt s'appelle l'écriture et je découvre les arbres de poésie. C'est fabuleux.

Comme je l'ai dit il y a quelques semaines, c'est surtout grâce aux poètes de ce site, toi, kjtiti, Exem, Marco, Maurizio et feu Bacchus, que j'ai su apprécier cet art à sa juste valeur, parce qu'il parle aussi aux punks de mon genre. J'écris donc des poèmes, même entre midi et deux, tandis que mes collègues vont parler de leurs craques, que mes clients vont se plaindre à leurs chefs, que les cuistots vont faire cuire la soupe.

Amitiés de Pluton, aux confins du système solaire

Donald
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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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