J'avais rassemblé les sacs, éteint la radio, Matthieu et Clhoé étaient encore dans leur chambre, et les trois petits assis sur la terrasse, avaient le nez sur leurs tongs, ils attendaient le verdict paternel. Je ne leur avais pas adressé, un mot, pas une phrase depuis une dizaine de minutes, pas une remarque depuis les coups de pieds aux fesses. Je connaissais l'effet paralysant du silence menaçant. Les explications étaient superflues, mais le malaise était perceptible. " Bon il y a eu un meurtre, une guerre déclarée ici ?" JF regardait la famille, nous regardait tous les uns après les autres. Puis il se tourna vers les garçons. "Qu'est-ce que vous avez fait " "Demande à virginie aussi" Je gardais en mémoire, ses savants conseils à ses frères, sur la manière d'éviter de se faire punir. "Bon j'attends !!!, vous voulez qu'on rate le bateau ?" "On est allé chez Rodolphe .... euh ... on a regardé la télé .." " On avait pas le droit de regarder des K7 ..." Les deux garçons se lançaient hésitants, timidement, mais Nathalie se taisait toujours, si par hasard on n'avait pu l'oublier. " Mais vous êtes pénibles !! vous savez bien qu'on ne veut pas que vous regardiez des films violents, pourquoi vous désobéi...." " Tu n'y es pas tout à fait, ce n'était pas des films de guerre, cette fois" JF, n'avait pas compris, il me regardait, regardait les enfants, des enfants inquiets, mal à l'aise, le regard fuyant. "C'était pas des films de guerre ?! ah bon, c'est quoi alors ...? euh ! qu'est-ce que ? ...c'est pas des films pornos quand même ? ?" Sa voix était montée dans les aiguës. Je ne répondis pas, je fixais les enfants attendant qu'ils répondent, mais rien ne vint. "Mais répondez, je vais pas attendre, vous voulez qu'on reste ici ? merde alors !!" JF maintenant criait il était exaspéré et choqué. Virginie éclata en sanglot, et JF se tourna vers les garçons pour les menacer. "JF, Virginie y était aussi et elle ne pleurait pas " "D'accord, des films de cul maintenant!! bravo ! bon, ben personne n'a d'argent de poche cette semaine, et pas de télé ! vous avez bien compris ??" "Et donnez moi tous vos jeux Nintendo, dépêchez vous, je veux trois game-boy tout de suite " "Et maintenant en route et vite fait, le premier qui parle je lui botte le cul, c'est clair ?" . Je voyais que JF était contrarié. Punir les enfants n'est jamais une tâche agréable et nous n'aimions cela ni l'un ni l'autre mais être parent c'est aussi ça. Malgré tout, aucun de nous deux n'oublia de prendre Gaston pour le mettre dans la voiture. Je lui avais acheté un collier et nous le tenions avec une corde qu'il aurait pu casser à sa guise si l'envie lui en avait pris. Mais ce chien montait en voiture sans appréhension, et même je crois qu'il aimait ça. Ce qui me portait à croire que c'était là l'explication de ces retours rapides, je pense, oui, qu'il devait monter sur des pick-up et faire, à sa manière, de l'auto-stop. Ce chien était un grand voyageur. Matthieu et Clhoé n'avaient pas assisté à l’engueulade des petits et s'étonnaient du silence profond dans la voiture. " Qu'est-ce qu'il y a ? pourquoi personne ne parle ?" Mais devant les trois regards noirs des petits ils comprirent qu'il y avait des choses à taire, et ils ne dirent plus rien. La descente sur Papeete et l'arrivée au port, se fit à grande vitesse. Nous étions très juste en temps et si nous rations ce bateau, nous serions condamnés à attendre demain. Moorea était une île proche mais complètement isolée, le soir venu. Il n'y avait plus aucun trafic, la nuit, ni par air, ni par mer. Nous traversâmes Papeete rapidement, puis nous passâmes le pont du motu à toute vitesse, nous arrivâmes sur le quai et JF passa la passerelle du bateau sans ralentir. "J'ai pas pris les billets" "Tant pis, on verra ça sur le bateau." Le moteur de la voiture tournait encore, nous n'étions pas garé que le bateau s'était mis à trembler de toutes part et à bouger. Déjà nous avancions, nous avions tout de suite quitté le quai, la passerelle, l'arrière du bateau restait ouvert. Je restais assise dans la voiture, le regard fixé sur la partie ouverte, je voyais le petit rectangle d'eau du port qui s'agrandissait sous mes yeux, je me sentais mal à l'aise et ce fut un sacré soulagement de voir l'immense porte se relever enfin et se refermer doucement. "On laisse Gaston dans la voiture, j'ai pas confiance en ce chien" "Tu as raison, je ferme la porte, des fois qu'il rentre à la nage " "On risque pas de l'oublier celui là " Aux secousses du bateau et aux ratées des moteurs, je sus que nous avions quitté l'abri douillet du lagon, et que nous étions en pleine mer. Nous nous éloignons de Tahiti, la traversée durerait environ 45 minutes pour faire les 18 kilomètres qui séparaient les deux îles sœurs. Sur le pont supérieur tout le monde boudait la partie abritée et à peu près confortable qui se trouvait au milieu du bateau et tous venaient s'entasser à la poupe, sur le pont arrière, pour regarder Tahiti s'éloigner. L'accent tahitien résonnait à part égale avec l'accent des français présents et tous avaient le même but, le même beau projet d'aller se détendre pour le week-end, "aux vacances". Le soleil allait commencer sa descente sur l'horizon, l'océan se berçait calmement. Je m'étais retournée pour chercher JF des yeux, ce bonheur là je voulais le déguster avec lui. Il vint me rejoindre et épaule contre épaule nous nous appuyions au bastingage, les enfants à côté de nous. La grande île verte et haute si belle, ce joyau qui nous abritait depuis plusieurs années s'éloignait, l'océan me troublait, il atteignait jusqu'à mille cinq cent mètres de profondeur à cet endroit et comme, à chaque voyage, le faisait régulièrement remarquer Clhoé, ici, si on tombait à l'eau, on n'avait pas pieds. "Maman, des martiens, des martiens, maman y'a plein de martiens!! " "Chut Rodéric, ne crie pas comme ça ! des marsouins, ça s'appelle des marsouins" " Ben c'est même pas des marsouins !, c'est des dauphins" "Non Sacha, les dauphins sont plus grands que les marsouins, ça c'est bien des marsouins". Comme tous, je regardais la troupe qui s'amusait en suivant le bateau, souples et pleins de vie, ils plongeaient avec un ensemble étonnant, ils nous entouraient, ils faisaient un superbe show, en cadence et avec entrain. La lumière encore dorée, brillait sur les flots et les bonitiers ici et là dansaient lentement en tournant sur eux-mêmes. "Hoé ana, Hoé ana ..." La musique tahitienne qui venait des haut-parleurs du ferry, jouait un chant tahitien ancien, un chant traditionnel si connu qu'il me semblait bien que le monde entier le connaissait : le chant des piroguiers. Une mélodie que j'aimais plus que tout, et qui épousait avec harmonie, avec amour, dans un bel élan d'ensemble, le vent, les vagues, la brillance des flots sous la clarté du soleil polynésien. " Hoé ana" je frissonnais de plaisir, et me serrais contre JF. Il mit son bras autour de mon épaule, je vis le sourire épanoui de nos enfants. Je regardais avec fascination le mouvement des vagues ouvertes par la proue du bateau, de ce mouvement sans fin, comme un miracle marin, un poisson brillant comme l'argent s'envola, il sortit du flot, il volait avec grâce, un très long moment il survola le bercement pour disparaître en plongeant soudain dans l'océan, puis plus loin, un autre s'éleva plus près et plus longtemps encore, comme un salut au soleil. J'étais depuis un long moment en contemplation, silencieuse, les yeux, les oreilles, le nez, l'âme en fête, juste heureuse, quand je sentis, que le vide se faisait autour de nous. Le pont se vidait Moorea s'approchait et les passagers étaient tous partis à l'avant. Lentement j'allais les rejoindre. La beauté du lagon était un miracle, les verts-bleus, la limpide clarté de l'eau donnait l'impression que les bateaux glissaient sur un miroir transparent. La montagne majestueuse et pentue me fascinait. "Maman, Moorea est la soeur de Tahiti, elles ont le même âge ?" "Non Flo, Moorea est plus âgée, tu vois elle a un lagon plus grand et tout fermé" "On nous a dit que ce sont des volcans, et il y a pas de feu ? " " Oui, Virginie, tu sais ma puce c'étaient bien des volcans, mais ils sont éteints, ils étaient très hauts, encore plus hauts et ils se sont enfoncés dans l'océan, la terre qu'ils ont perdue c'est mise autour d'eux, en cercle, et les coraux ont poussé dessus, c'est comme ça et c'est comme ça que l'on sait si l'île est ancienne, plus elle s'est enfoncée et plus elle à un grand lagon, plus elle est âgée, je suis claire, vous comprenez ?" ".Oh maman ! tu nous prends pour des bébés, on a compris, c'est fastoche !" "Maman, maman et les atolls, les tuamotus et Rangiroa , alors c'est quoi ? " "Ben ! ce sont des volcans qui se sont tellement enfoncés, qu'ils sont au fond de l'océan et à leurs places, il ne reste que la barrière de corail et le lagon". "Ils s'enfoncent en combien de temps ? Tahiti va s'enfoncer avant qu'on parte ?" " Mon dieu, non c'est très très, mais alors très long" J'aimais tant et tant ces jolis moments de bavardages, les enfants autour de nous, nos petits qui multipliaient les questions, les remarques. Je savais que depuis toujours les voyages en voitures, mais aussi les voyages en avions ou en bateaux, toutes ces occasions de découvertes étaient toujours de magnifiques moments de partage. Nos petits n'étaient pas avares de questionnements et je répondais du mieux que je pouvais, je les sentais proches, avides de savoir, leur jeunes esprits intéressés, heureux d'apprendre, J'avais conscience d'être une maman privilégiée de pouvoir leur communiquer le peu que je savais, j'avais ce bonheur de pouvoir les enrichir. J'ai toujours gardé ces instants de communications intenses, tous ensemble, comme des souvenirs très heureux. "Maman pourquoi, y'a un trou dans la montagne ?" " C'est une histoire, une belle légende, voilà un jour, ou plutôt une nuit, Hiro, le dieu des voleurs, à essayé de voler le mont Rotui de Tahiti, alors il l'a entourait avec une grande corde pour l'attacher à sa pirogue et l'emmener à Raiatea, mais est arrivé Pai, qui surveillait Tahiti et pour empêcher Hiro de voler la montagne, il a jeté sur lui sa lance de toutes ses forces, mais il a raté Hiro et sa lance est partie jusqu'ici et a fait un trou dans la montagne et depuis Il y a un trou dans le mont Mouaputa." "c'est complètement idiot, c't'histoire" "Comme toutes les légendes, Virginie, et c'est une légende !" "Je sais Chloe, mais c'est bête" "Parce que tu trouves, toi, que Cendrillon et sa citrouille, c'est mieux ??". "Bon ! Matthieu a raison, mais les légendes ne sont pas faites pour qu'on les croit, j'espère que vous n'allez pas vous disputer" Le petit, tout petit port de Vaiare, approchait, nous passions la passe, et le lagon nous accueillit, nous glissions sur l'eau comme une grosse araignée sur l'eau calme. Tous les enfants qui depuis notre départ de Papeete jouaient sur le pont et se couraient après en riant, commencèrent à disparaître, les passagers descendaient vers les voitures. "Non, Non, non, et non, Merde alors !! " Le cri de JF me fit l'effet d'un électro-choc, je quittai mon merveilleux état de grâce d'un seul coup, comme ça brutalement. Mais que ce passait-il ? "Mais comment il fait ? j'avais bien fermé, ça j'en suis sûr, faut que ça finisse maintenant, le plus tôt possible, il va nous rendre fou ?" Parmi les passagers, un chien était assis sur un des sièges de la cabine passager, en plein milieu de la première rangée, tout droit, tranquille, il regardais par le hublot, il regardait l'eau du lagon, il regardait la jetée qui approchait, Gaston, droit comme un I et toujours noir et frisé, était sorti de la voiture comme par magie . Oui, c'est sûr, nous allons devenir fous ! Loriane Lydia maleville
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