réponse au défi d'Istenozot :
http://www.loree-des-reves.com/module ... hp?topic_id=4657&forum=21
Je m’appelle Jean-Paul Kuffe, fils spirituel de Jean-Pierre Coffe. Comme mon mentor, je lutte contre la malbouffe. Et je m’insurge lorsque je vois ses américains se bâfrer de hamburgers et de pizzas, plats originaires de la vieille Europe et exportés avec grand succès chez l’Oncle Sam. Ils feraient mieux de se fier à l’Oncle Ben’s et son riz collant qui ne colle pas…
À l’instar du débarquement du 6 juin 1944, il y a un peuple à sauver. Il faut savoir renvoyer l’ascenseur à ceux qui nous ont délivrés et nous ont fait découvrir la clope et le chewing-gum. Alors je suis parvenu à débaucher des participants de concours culinaires. Ils acceptèrent de me suivre dans mon combat. Armés de fouets et couteaux, toques en guise de casques et tablier blanc comme uniforme, nous nous donnâmes rendez-vous à Oostende. Là , je larguai les amarres du Mercator, magnifique trois mâts qui n’en pouvait plus des touristes et rêvait de grand large.
La traversée fut longue, beaucoup plus longue que prévu. Nous eûmes le temps d’élaborer des recettes à base d’ingrédients simples comme l’œuf mimolette (œuf mollet au fromage), pizza maraîchère. Nous pensâmes revoir la carbonnade à la flamande mais notre fût de bière d’abbaye fut sifflé par le poivrot de la bande. On inventa donc une carbonnade à la normande à base de lait. Les plats étaient testés par Maïkeul, américain du côté de la belle-sœur de sa cousine germaine. Cela permettait de déterminer ce qui pouvait séduire des palais étasuniens.
Mon bouquin « Naviguer pour les nuls » me fut d’une grande utilité mais n’évoquait que le cabotage, pas de chapitre sur la traversée d’un Océan. Et l’Atlantique n’est pas des plus commodes. Nous affrontâmes vents, vagues à en perdre le nord. Ma boussole électronique n’ayant plus de batterie, nous nous dirigeâmes grâce au soleil. Un homme se blessa au pied et la plaie s’infecta. Je décidai donc de l’amputer. On fit un bouillon avec sa guibole car nous venions d’ingurgiter le dernier morceau de bidoche. Une rampe fut taillée pour lui servir de béquille. Un autre perdit un œil en passant sa journée derrière sa longue vue en espérant trouver un signe d’arrivée prochaine sur le plancher des vaches, ou plutôt des bisons. J’avais emporté le soutien-gorge de ma femme comme grigri. J’en arrachai la moitié pour offrir un cache-œil à mon camarade d’infortune.
Les vivres finirent par manquer sur le bateau. Je voyais mon équipage affamé alors je pris les choses en main en demandant qu’un volontaire se désigne pour sauver ses camarades. Ils baissèrent tous les yeux, les lâches ! Alors, je procédai à un tirage au sort. C’est Robert qui dut se sacrifier. Il implora ma clémence mais un capitaine de navire, comme un chef de cuisine, doit savoir imposer sa volonté. Il sauta dans l’eau pour échapper à son sort. Un lancer de couteau habile mit fin à ses jours. Une fois sa bidoche récupérée dans l’eau salée, il nous fit le reste de la traversée.
Un matin, nous aperçûmes le flambeau de la Statue de la Liberté à l’horizon. Notre mission allait enfin pouvoir commencer. Nous nous débarrassâmes discrètement des derniers os de Robert. Une vedette de police (non pas une star policière) vint à notre rencontre en nous imposant de la suivre. Je jetai un œil à mon équipage. On ressemblait plus à une bande de pirates d’eau douce que d’ambassadeurs culinaires. Quel bonheur de retrouver la terre ferme ! Nous fûmes emmenés au commissariat de New-York. Là , ils nous interrogèrent. En effet, j’avais complètement oublié d’introduire les demandes de visa avant le départ. On nous prit pour des réfugiés avec nos barbes, notre teint bruni par le soleil et nos corps mutilés et amaigris, malgré le sacrifice de Robert.
J’expliquai avec enthousiasme mon projet et toutes les raisons qui nous avaient amenés à venir débarquer sur le nouveau continent. Nous fûmes ouvertement raillés. Un psy fut chargé de vérifier notre équilibre mental. Son rapport fit état d’un idéalisme accru mais sans dangerosité pour la société.
C’est ainsi que nous fûmes renvoyés par le premier avion pour Bruxelles et que notre débarquement tomba à l’eau. Le Mercator fit la traversée inverse, avec de vrais marins cette fois. L’unijambiste dut rendre la rampe en échange d’une vraie béquille.
Si nous avions accueillis les ricains de la sorte en 44, aujourd’hui nous parlerions la langue de Goethe, mangerions des gâteaux Forêt Noire en regardant à la télévision nos soldats défiler devant le petit-fils d’Hitler.
|