Réponse au défi de Kjtiti
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Ce matin-là , rien ne présageait ce qui allait se passer. Dans le beau pays français, chacun vaquait à ses occupations quotidiennes ; la secrétaire tapait son courrier, le pensionné lisait la rubrique sportive de son journal, l’écolier recopiait le texte écrit au tableau noir par son professeur et l’amoureux envoyait un texto à la fille de ses pensées : « JTM ». Soudain, les mots se mirent à s’animer, se mélanger sur les pages, les affiches, les cadrans, les écrans avant de sauter hors de leurs supports. Ils se rassemblèrent sur les places publiques, en silence. Ils étaient plus nombreux que les rats des villes et les insectes réunis. Ils bloquèrent les routes et se dirigèrent d’un seul corps vers Paris. Les français furent désorientés. Dans un supermarché, une femme, en retard à son entretien d’embauche, acheta de la crème dépilatoire pensant prendre un tube de dentifrice. Elle, qui avait du poil aux dents, se retrouva avec les ratiches glabres ! Les amateurs de vins ne savaient plus s’ils dégustaient un Bourgogne, un Bordeaux ou une bibine d’importation. Les journalistes, les écrivains, les secrétaires, les notaires, les huissiers se retrouvèrent au chômage technique. Il n’était désormais plus possible d’envoyer ou de recevoir un courrier postal ou électronique. Les livres n’étaient plus qu’un assemblage de pages blanches. Google et ses acolytes restaient muets aux demandes des internautes. Dans les gares et les aéroports, les panneaux d’affichage ne délivraient plus les précieuses informations aux voyageurs. Les mots, dont le porte-parole était « syndicat », réclamèrent audience auprès des grandes instances. « Syndicat », « Grève » et « Manifestation » furent invités au Conseil des Ministres afin d’entendre leurs revendications. Ils expliquèrent que les mots se sentaient exploités et n’étaient pas reconnus alors qu’ils étaient devenus indispensables au fonctionnement de la société. Qui aurait cru que leurs ancêtres gravés dans la pierre il y a près de cinq mille ans allaient générer une descendance aussi nombreuse et variée ? Certains mots se plaignaient d’avoir subi un lifting forcé par la réforme de l’orthographe. D’autres souffraient d’être devenus SUR, Sans Usage Récurrent, comme rodomont, postéromanie, happelourde, s’acagnarder, valétudinaire, croque-lardon*, etc. D’autres encore ne pouvaient bouger et souffraient de crampes et de dépression. Ainsi, « hommes » et « dames » sur les portes des toilettes publiques ne pouvaient s’éclipser ou s’échanger, au risque de générer un certain trouble. Ils évoquaient la difficulté de cohabiter avec des mots qui venaient de partout et qui leur volaient leur place parfois. Pourquoi préférer manger un « hamburger » qu’un « sandwich » ? Pourquoi envoyer un « mail » et non un « courriel » ? Ils étaient de plus en plus nombreux dans les dictionnaires, serrés comme des sardines. Mais les mots n’avaient pas envie de chanter l’air de Patrick Sébastien. Les têtes blanches de l’Académie Française avaient le pouvoir de vie ou de mort sur eux sans aucune forme de procès. N’était-ce pas ce qui s’apparentait à de l’esclavage, pratique interdite depuis le dix-huitième siècle ? Sachant pertinemment que cette grève paralysait tout le pays, les ministres ne purent qu’acquiescer aux exigences des mots. C’est ainsi qu’un monument aux mots fut érigé dans chaque ville de plus de dix mille âmes. On leur accorda un jour de congé par an où ils purent alors quitter leurs supports ou s’effacer afin de rappeler à tous leur caractère indispensable. Les maux des mots dont on avait entendu l’écrit furent ainsi mieux pensés.
*Fanfaron qui vante sa bravoure pour se faire valoir et se faire craindre, envie d’avoir des descendants, fausse pierre qui a l’apparence d’une pierre précieuse, paresser, qui est souvent malade, personne qui cherche des invitations à dîner
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