Cheminant par le champ, nonchalant va le chat, S’approche du point de chute où s’échouera son pas. Que fait le chat posté au beau milieu du champ?
Des criquets croustillants caracolent à ses crocs, Le chat, c’est croquignole, pourtant ne craque pas. La tête d’une alouette, distraite comme un poète - Car tous deux quêtent les vers: vers de terre ou d’éther, Vers lombric ou lyriques- la tête de l’alouette Dépasse de sa cachette, aux aguets le chat guette Mais point il ne se jette pour lui plumer le bec. Une famille de mulots affairés se fourvoie Prés des griffes effilées du félin, rien ni fait! Un tertre de terre tremble tandis que le transperce L’extrémité ténue d’un périscope de taupe. Une taupe oppressée par l’étreinte de la terre Dans son tunnel étroit. Et malgré la présence De l’effrayant félin parer à l’étriper, La taupe entrouvre la trappe du terrier étriqué Pour s’octroyer de l’air par le trou salutaire. Là , le fauve intrigué par le frêle tremblement De terre de cette motte, dédaigne de l’attraper Pour s’en distraire avant d’infliger le trépas.
Pendant que le printemps, à ses papilles placides, Profusément remue tous ces charmants menus, Que fait le chat posté au beau milieu du champ? A quel jeu joue le chat en jeûnant en ce jour? Est il repu, gavé, d’agapes aggravées? Ses chers penchants chasseurs sont-ils gâchés, chassés Par la vie de pacha que lui soumet mémé? A-t-il pris un pari avec l’un de ses pairs? A-t-il pris le parti de tester ses pulsions… Saliver sans céder aux instincts ancestraux, Rester de stuc, stoïque, sans croquer ces corps crus? On peut conjecturer, c’est curieux je l’accorde, Que le chat a viré sa cuti carnassière.
Que fait le chat posté au beau milieu du champ? Les gargouillis qui grouillent dans sa panse sans graille Se désagrègent quand un grillon d’allégresse Lui grattouille à la gorge des grains de gratitude. Si le chat sage délaisse ces pitances innocentes C’est qu’il leur substitue de plus subtiles substances… Assis sur son séant, il sent les souffles d’air, Y savoure les saveurs lascives et suaves Servies par les sous-bois et les sommets sauvages. Ses yeux soyeux se noient dans l’océan des cieux, C’est que songeur il sonde les abysses du cosmos. Et quand, calme, il les clos, ce n’est que pour capter Avec plus d’acuité, les cantiques capiteux Et les caresses câlines que colporte le vent.
Quel est ce chat posté au beau milieu du champ? La pelisse safranée, du pers dans la pupille, C’est un chat tibétain, une bête habitée Par l’âme d’un lama, un bonze du Bhoutan. Une belle âme embouquée dans la voix du bouddha. Laissons méditer, chut! le bon chat tibétain.
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