Paul Dikkenek tape le point final de son roman. Un sentiment de profonde fierté l’envahit et un sourire niais naît sur son visage. Il clique sur la commande de l’imprimante de son ordinateur et les pages se mettent à sortir de l’appareil. C’est alors que sa tendre épouse Mélanie passe sa tête dans l’entrebâillement de la porte du bureau. – Tu as fini ? J’ai besoin de toi. – Pour sûr que j’ai fini ! Je viens de terminer mon chef d’œuvre. – Ah oui, ta nouvelle… – Cent cinquante-deux pages et demie, c’est une grosse nouvelle ! – Et j’espère que, comme celle de Jésus, elle est bonne… ta nouvelle… – Arrête avec tes blagues à deux francs. – On est passé à l’euro depuis longtemps. – Tu ne te rends pas compte comment ça va changer notre vie ! – Ah non, en effet, je ne vois pas bien comment. – Ecoute, là je vais envoyer mon manuscrit ou plutôt mon tapuscrit à un éditeur. Je suis persuadé qu’il sera emballé. – Dans de l’aluminium ou du papier cadeau ? – Tu n’es qu’une jalouse. Je te dis qu’il sera publié et que les lecteurs se l’arracheront dans les librairies. – Ils devront s’arranger pour se partager les morceaux s’ils veulent comprendre l’histoire ! – Je serai invité au JT de Jean-Pierre Pernaut, j’enchaînerai les émissions de télévision. On m’appellera le nouvel Hugo ! – Rien que cela ! Tu pourras tenter d’approcher Arthur ? J’aimerais un autographe. – Et comme mon œuvre sera traduite dans plusieurs langues, je toucherai le pactole en droits d’auteur. – Je suis contente d’être mariée en régime de communauté. – Besson me demandera pour en faire un film. – Je veux bien un autographe de lui aussi. – Je deviendrai millionnaire en quelques années. – Ah, tout de même… le Lotto c’est parfois plus rapide. – On pourra se payer des vacances dans les îles. – Ben, on a déjà visité la Corse, Majorque et même l’Angleterre. – Non, des îles tropicales ! – Avec des moustiques-tigres ? Trop picales pour moi ces îles… – On fera construire une villa en Espagne pour profiter du soleil toute l’année et quitter la grisaille belge. – Et pourquoi pas un château… en Espagne ? – Mais bien sûr ! Tu as raison. Nous réaliserons nos rêves les plus fous comme aller dans l’espace. – Oh oh ! Ne t’emballe pas. À ce train-là , ou plutôt à cette fusée-là , notre château, tu vas le construire sur Mars ! Tu sais… j’ai lu ton texte. – Et alors ? – Tu veux vraiment mon avis ? – Oui, bien sûr. – Tu fais en moyenne deux fautes par ligne, tu n’as aucun style, tes personnages sont insipides et ton intrigue sent le « déjà -lu ». Donc, si tu peux redescendre un peu sur terre, dégonfler ton cou au bord de l’explosion pour venir sortir les poubelles, Môsieur le nouvel Hugo…
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