Détective Trask – Épisode 10 – L'œuf ou la poule?
Il faisait noir. Le seul bruit qu'on entendit était un léger vent. On ressentit une certaine flottaison. Celle-ci sembla nous amener vers le haut. On entendit un murmure. À mesure que l'on s'approcha, le murmure devint une chanson. Toujours la même phrase. Comme si une cassette était brisée. Une voix d'homme. Il avait un accent. Français probablement. C'était un air connu. Cette phrase. On la répéta. Sans cesse. Un point au loin. Lumineux. On s'approcha, approcha. C'était la lune. Les paroles étaient claires maintenant. « Au clair de la lune… » Toujours cette phrase… On s'approcha de la Lune comme si l'on allait y alunir. La voix était de plus en plus forte. C'était la voix de cet homme. Le « maître ». L'élafiste. On pouvait maintenant le voir, il berçait quelque chose. C'était ovale et blanc. Il regardait cette chose tendrement. Et il chantait sans cesse : « Au clair de la lune… » Ne savait-il pas le reste de la berceuse? On faisait maintenant face à l'homme. La chose était un œuf. Grand comme ceux des autruches. L'homme portait un regard presque amoureux à l'œuf. Et il chantait tout le temps. Et puis, l'œuf craqua. L'homme arrêta de chanter. Il semblait avoir l'œil plein d'admiration. Quand l'œuf finit de craquer. Il n'y avait rien. L'œuf était vide. Le visage de l'homme se transforma. Il était en colère. Il regarda droit devant lui et cria : « Mais où es-tu? ». On entendit une voix familière. On se sentit projeter vers l'arrière. Une main retenait le cou. Dans l'autre, il y avait un couteau de boucher. On vit le visage, c'était « R », le sourire aux lèvres. Il leva le couteau dans les airs et dit : « C'est moi qui l'aie! » Et frappa le cou avec le couteau.
… Trask se réveilla en hurlant. Quelqu'un le secouait. Trask le repoussa. Il entendit une voix : « Calm down! T'as faite un cauchemar! » C'était Steve qui le regardait perplexe. « C'avait pas l'air cool ton affaire! » dit-il à Trask. Trask se sentait désorienté. Il était détrempé de sueur. Un peu essoufflé, il répondit à Steve : « Pas vraiment en effet. » « C'était quoi? » demanda l'anglais. « J'ai pas trop envie d'en parler pour l'instant. » Steve leva les épaules dans les airs pour signifier que cela l'importait peu. « On a un surprise pour toé. » dit Steve tout souriant. Steve cogna à la porte. On arriva avec un plateau d'argent. « Une omelette et du café colombien! Nice hein! » dit tout excité Steve. Trask eut soudain l'envie de vomir. « C'est bien gentil de votre part, mais je n'ai pas très faim. Je me contenterais des toasts et du café, si ça ne vous dérange pas » Steve fit le même geste des épaules. « Je vais le manger d'abord. » dit Steve. « Allez-y! » dit Trask en buvant son café.
Après le repas, Steve invita Trask dans l'autre pièce. R et ses sbires y étaient déjà , comme s'ils n'avaient pas bougé. R parla tout de suite :
— Il semblerait que vous ayez eu un sommeil mouvementé… — Oui, un simple cauchemar, pas de quoi en faire un plat. Finissons-en.
Pour une raison qu'il ignorait, Trask n'avait pas envie de partager son rêve avec R. Quelque chose lui disait qu'il ne valait mieux pas. R reprit :
— Comme vous voudrez. J'espère que vous vous sentez en forme. Car le prochain exercice sera plutôt demandant. — Quel genre d'exercice? — Il s'agit d'un exercice de défense. Malgré le mur que vous vous êtes bâti, certains tenteront tout de même de démolir vos défenses pour tenter d'accéder à votre esprit. Il s'agit donc d'un exercice important. — D'accord, je vois, que fait-on? — Avant que l'on commence, je dois vous expliquer de quoi il s'agit précisément. Hier, je vous parlais de perte de contrôle. Et bien, il s'agit exactement de ce qui est en jeu. La perte de contrôle de votre esprit. L'adversaire va tout tenter pour vous faire perdre celui-ci. Une fois que cela sera fait, vous serez facilement manipulable. Il est donc primordial de renforcer votre esprit. — Je comprends. — Très bien. Vous allez vous exercer avec moi. J'attaquerais votre esprit et vous allez parer mes attaques.
Trask pensa à son rêve à nouveau. Il devint craintif. R le sentit :
— N'ayez pas peur, si vous échouez, j'ai les moyens de vous redonner la force.
Trask était hésitant. R reprit :
— Ayez confiance en moi. Avez-vous le choix en ce moment?
Trask s'imagina qu'il avait raison. Il lui dit :
— D'accord, allons-y. Je ferme les yeux et tout le tralala. — Non pas tout de suite. Vos ennemis ne vous préviendront pas quand cela arrivera. De toute façon, je dois vous expliquer quoi faire avant de commencer. — D'accord, je vous écoute. — Ils vont tenter de vous envoyer des images ou des pensées. Celles-ci vont vous rendre confus. Vous devez les combattre en refusant leurs réalités. — Cela me semble pas si difficile. — Attention, certains sont devenus de véritables artistes pour créer ce genre d'illusions. Ils peuvent même réussir à vous rendre fou. Les castigans sont particulièrement forts pour ce genre de stratèges. — Les castigans… J'en ai entendu parler. N'est-ce pas les espèces de tueurs à gages des Hermétistes? — Bien vu, mais les Hermétistes ne sont pas les seuls à utiliser ces gens. Je dois admettre que même moi j'en utilise. Les deux personnes à côté de moi en sont. On doit combattre le feu par le feu. — Habituellement, on combat le feu avec de l'eau non? — Vous vous trouvez drôle? — Pas particulièrement, j'ai toujours trouvé cette expression ridicule. — Vous me traitez de ridicule? Allez, attaquez-le!
Steve et les deux castigans sautèrent sur Trask. Ils le rouaient de coups. Il ne comprenait pas la réaction soudaine de R. Pourquoi agir ainsi? C'est là qu'il comprit. « Tout cela n'arrive pas! » Il s'imagina donc ces trois attaquants en train de fondre. Sa technique fonctionna. Tout devint noir, et il revint à lui. R le regarda encore très satisfait :
— Bravo, vous avez vu le subterfuge. Toute illusion qu'on tentera de vous imposer semblera manquer plus ou moins de sens. C'est les défenses naturelles de votre esprit qui les rendent comme cela, malgré la volonté de l'attaquant. Utiliser cette défense pour les détecter et les désactiver. — Il y a de quoi devenir paranoïaque! — Vous ne l'êtes pas déjà ? Bienvenue dans le vrai monde! Vous êtes mieux de vous y faire. — Cela explique pourquoi vous ne m'avez pas averti avant de faire l'exercice. — Évidemment que non, j'aurais fait un très mauvais professeur. — J'imagine, mais je ne peux pas dire que j'ai aimé l'expérience. — Une attaque n'est jamais plaisante. J'aurais pu faire bien pire croyez-moi. — J'imagine que vous allez me le démontrer bientôt. — Non, je crois que vous êtes prêt. — Quoi? C'est tout? — Malheureusement, c'est tout ce que le temps nous permet. Vous avez beaucoup de talents, je suis persuadé que vous allez y arriver. Maintenant, la seule chose qui reste à faire, est de vous mettre une trace pour s'assurer qu'on garde contact et que vous alliez bien.
Trask resta figé. Il n'était pas sûr qu'il veuille qu'on lui mette une trace surtout après le rêve de cette nuit. Il lui dit :
— Que faites-vous de mon indépendance? Je crois que je préfère le téléphone… Je peux toujours contacter Steve.
R sembla réfléchir. Il répondit :
— D'accord, je vais respecter cela. Cela aurait été plus facile et plus prudent, mais je comprends votre méfiance et je l'encourage. Nous sommes dans un monde malveillant. Il est sage d'avoir cette attitude. — J'essaie de garder à l'esprit votre enseignement. — C'est très bien… Continuez à être vigilant et allez au bout de votre enquête. La révélation de leurs vérités les rendra vulnérables. Il est donc primordial d'en savoir le plus sur eux. Ce fut un honneur de vous avoir rencontré.
Les deux hommes se serrèrent la main.
— Je vais devoir vous demander de remettre le bandeau. Steve, donnez-le-lui, s'il vous plait.
Steve lui remit le bout de tissu qu'il connaissait déjà . Il mit le bandeau sans protestation. Steve lui demanda de se lever. Trask put entendre l'hélicoptère repartir. Il fit ce qu'il supposa le chemin inverse avec son guide. Rendu dans l'appareil, il profita du moment où il était « seul » avec lui-même pour réfléchir.
Ce rêve… Que voulait-il dire? Est-ce qu'il devait craindre R? Est-ce que le « maître » français élafiste était le seul à qui il pouvait se fier? Que devait-il découvrir exactement? L'esprit de Trask se perdait à travers les questions. Le chemin du retour lui paraitrait interminable, il en était sûr.
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