L'arrivant XV
La vallée de la Punaruu, s'élargissait de nouveau alors que la qualité de la route restée médiocre et les trous dans la route restaient très nombreux. Je me mis à chanter aussi fort que possible, ma voix cahotait au rythme des secousses. Je chantai comme si je piquais à la machine, c'est à dire par à -coups, au rythme des sauts du 4X4, je chantais en pointillé, ce qui provoqua l'éclat de rire de Sacha. Son rire joyeux et cristallin, me fit rire en retour alors que déjà , je chantais en hoquetant sous les chocs. Tous les enfants se joignirent à moi, et nous chantions bientôt tous en cahotant, en nous étouffant de rire et avec un fort tremblant involontaire et irrépressible. Mais le charme du jeu cessa avec la fin de ce vilain chemin, quand au carrefour je vis apparaître, plantées en terre, les grandes cibles du club de tir à l'arc, à cet endroit nous rejoignîmes la route du tour de l'île avec son confortable revêtement d'asphalte, puis nous reprîmes notre trajet vers le sud, en direction de Paea, nous tournions le dos à Punaauia. Les enfants bavardaient ensemble, JF conduisait en silence. Je retournais tranquillement dans ma contemplation du paysage. Nous passions devant le grand parking du PK 1,5, un de nos lieux préférés de pique-nique et de baignade. La montagne s'était éloignée de la route laissant un grand espace libre et sauvage. Depuis cet endroit, on pouvait emprunter une petite route se dirigeant à gauche, vers la montagne et menant après environ un kilomètre entre les arbres et les fleurs, à un lieu qui j'affectionnais particulièrement; il s'agissait du marae de Arahurahu. Les marae, me fascinent, ils me ramènent à ma passion pour l'archéologie et l'ethnologie. Les marae sont les cathédrales à toits ouverts, les lieux de cultes de la culture maori . C'est le lieu magique où s'expriment les croyances, la spiritualité, c'est sur ces immenses plateformes d'énormes pierres noires, qu'avaient lieu, les manifestations religieuses ou sociales. Le Catholicisme et son frère ennemi le protestantisme, les dogmes impérieux et intolérants des européens ont bien malheureusement supplanté ces coutumes locales composées de polythéisme et de chamanisme. Le despotisme de ces deux religions destructrices, ont comme toujours fait table rase des rites et traditions endémiques. Mais c'était sans compter avec la résistance de la culture originale des Maoris. La pression, des anglicans en premier lieu puis des Chrétiens qui leur succédèrent, fut autoritaire, forte, sans concession et cependant la mémoire populaire obstinée a malgré tout conservé les lieux, de la magie ancienne, et aujourd'hui avec la bénédiction du gouvernement français les édifices eux -mêmes sont restaurés ou reconstruits. Le marae de Arahurahu était un des anciens lieux de cultes les mieux conservés, un des plus importants, il fourmillait d'histoires et de légendes du passé fabuleux. C'était là un témoignage de croyances anciennes, c'était aussi un héritage identitaire et artistique où le peuple Maori pouvait retrouver ses racines. En le visitant la première fois je ressentis à cette découverte, au premier regard, une impression d'étrangeté, un sentiment puissant de spiritisme, d'ésotérisme, en fait j'étais séduite par la puissance, historique, mais aussi spirituelle du lieu, éblouie aussi par le mystère qui émanait de l'alignement des pierres, de l'entourage des plantes et fleurs, de la beauté majestueuse de l'endroit où se déroula naguère un fameux combat entre des héros guerriers. Ce jour, depuis la route du tour de l’Île je devinais de loin l'emplacement du marae et mes rêves m'emportèrent encore vers ses belles épopées passées mais toujours présentes et qui ont donné vie à ce peuple que j'aimais. JF me regardait à la dérobée il connaissait mes goûts et s'attendait peut-être à ce que je demande à faire un détour mais je savais qu'il ne le souhaitait pas, et je gardai les yeux sur la route. Les fares se multipliaient, dans le village de Paea, à droite face à l'école, je vis le l'emplacement de cet autre marae, l'ancien marae Narii. Mais sagement, je trouvais plus judicieux de ne pas évoquer ce lieu. Au carrefour mon œil glissa sur la pierre qui signalait la présence du lieu de culte et je me mordis la langue. Il faut dire que ce marae de Narii, nous ramenait à nos préoccupations du moment, car il était et, est toujours dédié à un tupapa'u, un tupapa'u, oui mais d'une actualité assez délicate pour nous en ces jours présents, puisqu'il s'agissait d'un chien noir. La légende dit que dans la famille Patiti, une superbe vahine de fort caractère, avait un chien noir qu'elle appelait Piihoro, elle éprouvait pour ce compagnon à poil, un tendre mais fort attachement et lorsque le chien nommé piihoro mourut, sa maîtresse en détresse luit fit dresser un marae en déclarant "Piihoro n'es pas mort, et vis pour moi et ma famille". Depuis le chien noir est devenu un "Tauru", c'est à dire un Dieu tutélaire, et l'on dit qu'il revient régulièrement hanter l'île. Cette connexion inattendue de notre vie de famille et des croyances locales me fascinait, sagement je pensai, restons rationnelle, il s'agit là d'une simple coïncidence, au diable la magie qui fascine mais surtout effraie. Je me disais que le sujet était trop sensible et je pensais à autre chose. Je ne tenais pas à enflammer l'ambiance par une discussion, un débat sur Gaston-Piiroho. Sans cahot inutile, la voiture roulait et nous suivions toujours le lagon sur notre droite, et la montagne sur notre gauche était maintenant tout près de la route. Nous étions devant la grotte de Mara'a, la montagne ici était percée, le flanc troué d'une béance mystérieuse. A l'instar de mes congénères humains, j'éprouvais devant l'ombre mystérieuse de ce monde souterrain, une sourde angoisse mêlée à une puissante attirance. Devant la béance ombreuse d'une roche, devant l'entrée humide d'une grotte je ressentais toujours une joyeuse curiosité génératrice d'une excitation imaginative, tout comme déjà , étant enfant, j'imaginais un monde étrange dissimulé par un simple trou dans un mur de pierre sèche. Les interstices entre les pierres sont pour moi depuis mon enfance, des univers où j'aime à exercer et laissait vagabonder mon imagination souvent féconde. Des fougères parfumées décoraient le plafond de la grotte, elles pendaient et se balançaient au gré des alizés, et à l'intérieur de ce monde de roches un lac d'eau fraîche concourait à créer un climat étrange. Malgré son apparence avenante et attirante cette grotte ne recevait jamais de baigneur car c'était là encore un lieu tabu, c'était un royaume de tupapa'u. C'était l'univers des morts où les humains n'étaient pas les bienvenus et d'ailleurs ne cherchaient nullement à s'imposer. Nous arrivions à Papara, face à l'immense Golf international de Tahiti, JF s'engagea sur une petite ruelle qui nous mena à la grille d'une grande propriété. Le colonel et sa femme avait un grand fare de bois sur un immense parc arboré en bordure de lagon. Sous le regard sévère de leur papa nos enfants firent poliment leurs civilités à notre hôte et à sa femme, puis ils reçurent très vite l’autorisation de divaguer librement. JF et le colonel avait beaucoup à se dire, ils préparaient une réception militaire ou un stage quelconque ayant à voir avec la formation militaire que mon "chérrrri" officier de réserve assumait en plus de son emploi. Les bavardages allaient bon train entre les deux hommes devant de délicieux rafraîchissements. Nous passâmes un moment agréable surtout lorsque la femme du colonel constatant mon intérêt pour certaines variétés de plantes que je ne possédais pas encore, revint avec son sécateur. Mais, si moi, je passai un moment bien plaisant à cueillir de nouvelles plantes, et à entasser mes trésors à l'arrière du véhicule, je ne dirais pas que les enfants, eux, eurent du plaisir sur la route du retour. En effet, je dois bien le confesser, ma passion très encombrante des boutures m'amenait parfois à des excès, ma gloutonnerie de plantes n'était pas à leur goût et gâtait quelque peu leur confort dans la voiture Nous ne roulions que depuis peu pour revenir à la maison, quand ils manifestèrent leur désapprobation à l'arrière. Clhoé donna le top départ. "Mais j'en ai marre de tes plantes !! !! maman on peut aller nulle part et revenir bien assis"; "Oui, maman moi aussi j'en marre " "Oui, ben moi aussi, faut toujours que tu ramènes plein de plantes !" "On en a tous marre, maman " Les trois petits confirmaient avec vigueur les rouspétances de Clhoé "Clhoé a raison, c'est pas marrant" Je me retournais sur le coup : Matthieu qui se range du côté de Clhoé ? est-ce possible ? voilà qui était fait pour me surprendre. " Matthieu qui est solidaire avec Clhoé !!! ce jour béni, à partir de maintenant sera jour de fête à la maison " Je me retournai et je vis que Clhoé surtout, avait la tête dans les branches, je réprimai un sourire, le spectacle était curieux, mais la révolution était en marche, soyons prudente, me disais-je. " J'ai la tête dans les branches" "Ouais ça change pour une fois que tu ne l'as pas dans les nuages" "Mais ta gueule toi, tu ... STOP ... "Ah ! oui, Matthieu, je me disais aussi que les miracles ne sont pas faits pour durer" Chaque fois que je regardai à l'arrière, je ne voyais pratiquement que des branches, les enfants étaient dans un vrai buisson. La voiture ressemblait à celui d'un livreur de jardinerie. "Il vient à quelle heure le type pour le chien ? "j'sais pas, pas tard il a dit " "T'aurais pu lui demander l'heure" "Mais dans moins d'une heure on est à la maison" Je me sentais somnolente et nous venions de dépasser l'intersection de la Punaruu. " Qu'est-ce qu'ils ont ?" Un truck tout rouge nous doubla, tous les passagers dedans hurlaient et surtout riaient comme des fous. JF les regardait s'éloigner avec surprise. "C'est le Truck qui va de Faaa à la presqu'île ?" "Oui papa, je connais le conducteur il est marrant ..." Sacha s'interrompit en regardant un autre Truck de la ligne de Papara, qui nous doublait à une vitesse aussi folle, dans ce truck bleu comme dans le rouge, les passagers hurlaient et riaient à perdre haleine. " Mais merde ! qu'est-ce qui se passe ?" "JF surveille ton langage " Toutes les têtes à l'intérieur de la voiture s'étaient retournées pour regarder à l'arrière. Mais que se passait-il donc ? JF accéléra tout a coup, et abandonna sa conduite tranquille " Je préfère dégager, je ne comprends pas ce qui se passe." Les enfants s'étaient tu, un peu inquiets. La situation semblait bizarre. JF fila et avec la voiture il doubla sans peine les deux trucks toujours très bruyants Au moment où nous les dépassions les cris redoublèrent, et les trucks , maintenant derrière se mirent à accélérer. Le truck rouge repassa devant nous en hurlant et le bleu le rattrapa. On les vit rouler un moment côte à côte, tous les passagers hurlaient debout, face à face les voyageurs du rouge, face aux voyageurs du bleu, ils se faisaient des bras d’honneur en hurlant comme des possédés. Ils étaient tous écroulés de rire " Mais c'est pas vrai !!!, ils font la course, ces cons là !!" Ce jour là à Tahiti il y avait course de transport en commun !! "Double les papa, double les " "Oh non ils sont trop dangereux, on va les laisser jouer tous les deux" Quelques Kilomètres plus loin, arrivés à Faaa, nous vîmes les deux trucks arrêtés à la station d'essence, il faisaient le plein avec tous leurs passagers qui en rigolant jacassaient très bruyamment d'un véhicule à l'autre. Nous n'avons jamais su qui avait gagné et si même il y eut un gagnant, mais la course dura une bonne quinzaine de Kilomètres. J'aurais voulu croire en Dieu pour le prier que jamais, jamais on ne fasse de ces tahitiens des gens "raisonnables" Messieurs, Mesdames les personnes de droit, de règle, de loi, et de raison, je vous en supplie, je vous en conjure, foutez leur la paix, allez légiférer, allez réglementer ailleurs, laissez ces fous de vie vivre, laissez leur une paix de roi, laissez ces fous de vie heureuse, laissez les pour toujours faire des courses de trucks et s'amuser comme si la vie était chaque jour légère. Mais aussi modestement, humblement prenez auprès d'eux des leçons de sagesse, des leçons de bonheur.
Loriane Lydia Maleville
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