Étant Canadien de naissance, j’avais entendu parler du drame au comté Conkly lors de l’élection fédérale en l’an 2000. Je ne me doutais pas que Gorrotoa soit derrière jusqu’à ce que je reçois un appel anonyme dont je suis certain de l’authenticité. Le témoin, que j’appellerai Jane Doe, était une proche du député James Hartfield, et a assisté en détail au désastre survenu dans cette région de l’Alberta.
James Hartfield était un candidat conservateur-progressiste et avait à ce moment servi deux mandats. Un nouveau venu, Liam Oliver, menaçait son poste, car il était très populaire surtout auprès des jeunes. C’était un jeune entrepreneur œuvrant dans les technologies de pointe. Il était dans la trentaine, plein d’entrain, et énormément de charisme. Il se présentait sous la bannière libérale.
James Hartfield n’en manquait pas non plus, mais il faisait partie de la vieille garde, et plaisait plus aux personnes d’un certain âge. Ce n’était pas un problème auparavant, car ceux-ci étaient réputés pour voter en grand nombre contrairement aux plus jeunes. La donne changea avec Liam, il allait faire sortir le vote de la nouvelle génération d’après les derniers sondages. Je laisse Jane Doe nous expliquer la suite.
Appel entre Dr Ali Mousavi et Jane Doe — 2 novembre 2015
AM – Bonjour et merci d’être avec nous pour expliquer l’affaire Hartfield.
JD – De rien. J’espère que je peux être d’une quelconque aide.
AM – Je n’en doute pas. Je sais que vous tenez à être anonyme. Pouvez-vous nous préciser à quel point vous étiez proche de M. Hartfield?
JD – Assez proche pour tout vous raconter en détail. Je ne vous en dirai pas plus.
AM – Je vais respecter cela. Comment était le député avant… que tout cela commence?
JD – Les deux dernières élections avaient été faciles pour lui, c’était la première fois qu’il avait un adversaire de taille, et évidemment le résultat des sondages le rendait nerveux. Il restait tout de même sûr de pouvoir le remporter grâce à la grande expérience qu’il avait.
AM – Mais tout cela a changé, n’est-ce pas?
JD – Drastiquement. Au point que ça a surpris tout le monde. Au début, il voulait tout savoir sur Liam Oliver, s’il avait fumé du pot, s’il s’était payé des putes, s’il avait des amis aux mauvais endroits. Cela ne lui ressemblait pas. Il était du genre à agir avec transparence lors de ses campagnes, et non en faire du salissage. Peu importe, ses délégués ont œuvré et ont découvert que M. Oliver aurait participé dans une rave dans sa jeune vingtaine. Hartfield a tenté de le salir en racontant qu’il encourageait la culture de la drogue. Ça s’est retourné contre lui. La sympathie des jeunes envers Liam augmenta au contraire au moment de cette révélation.
JD — Hartfield enragea devant toute la formation lorsqu’il aperçut les résultats. Il traita son chef d’organisation d’incompétent et le renvoya. Il déclara que l’on devrait être plus agressif. Qu’il ne fallait pas faire de quartier et que Liam devait provoquer la peur plutôt que l’admiration.
JD — Je ne le reconnaissais plus. Et puis, je suis allé à son bureau et j’ai vu cette statuette. Elle m’intrigua immédiatement. Elle semblait venir d’un autre monde même s’il était d’apparence vieillotte. J’ai voulu la toucher et une décharge électrique puissante m’a traversé et j’ai été sans connaissance pendant un temps. C’est M. Hartfield qui me réveilla en me donnant des tapes sur le visage. Je lui demandai ce qu’était cet objet, et il devint brutal. Il me dit que cela ne me regardait pas et que dorénavant si je souhaitais me rendre à son cabinet, il devait être présent.
AM – Avez-vous fait le lien avec son changement subit d’attitude et l’acquisition de cette statuette?
JD – J’ai trouvé cela étrange en effet. Mais j’ai décidé de rationaliser tout cela. Et puis, c’est arrivé. Quelqu’un a lancé un cocktail Molotov dans nos bureaux. Heureusement, ils étaient fermés, il n’y eut aucune victime. Il y a eu des graffitis anti-conservateurs. M. Hartfield ne perdit pas de temps. Il accusa immédiatement l’organisation de Liam d’être en arrière de cette attaque. Cela ne faisait aucun sens, qu’est-ce qu’ils auraient eu à gagner? Malgré tout, cette « attaque » avait quelque peu porté ses fruits. La peur avait envahi les électeurs et M. Hartfield avança de quelques points. Ce ne fut pas suffisant. Il voulait l’écraser, c’était ses propres mots.
AM – Qu’a-t-il fait?
JD – Les attentats continuèrent de plus belle. Sauf que cette fois, il y eut des victimes humaines. Des feux, des bombes surgirent dans des lieux publics. Les journaux reçurent des lettres anonymes les revendiquant. D’après elles, ils agiraient ainsi tant et aussi longtemps que les intentions de vote n’iraient pas en faveur de Liam Oliver. Bien sûr, ce dernier ne comprenait pas la situation et dit n’être pas du tout derrière ceux-ci. M. Hartfield déclara qu’il fallait prendre les grands moyens et augmenta la surveillance policière. Les attaques se calmèrent et il apparut en héros. Son rêve se réalisa, il démolissait Liam Oliver dans les sondages.
AM – Mais cela n’a pas duré…
JD – Non. Le fait d’avoir augmenté la surveillance policière eut un effet qu’il n’avait pas prévu. Ils eurent des indices qu’aucun jeune relié avec le parti libéral n’avait commis ses actes. En fait, ils découvrirent que tous ses attentats étaient l’œuvre d’un seul homme. Il n’avait pas suffisamment de preuves pour faire une arrestation officielle, mais beaucoup suspectèrent le député. Il devint alors paranoïaque. Il réduit son personnel. Il fouilla sans cesse son bureau pour des mouchards. Il voyait tout le monde contre lui.
AM – Vous n’étiez pas suspects pour lui?
JD – Tous l’étaient dans son état d’esprit, mais il avait besoin d’un minimum d’effectifs et j’en faisais partie. L’ambiance était rendue vite lourde. Et on voulut changer de tactique. Au début, il refusait tout ce qu’on lui proposait. Et puis, un de ses conseillers suggéra un débat. Il aima tout de suite l’idée. Toute l’organisation s’affaira pour qu’il soit prêt à l’ultime combat.
AM – Qu’est-ce qui arriva le jour J?
JD – Il ne prit aucune de nos fiches, n’écouta aucun de nos conseils. Il dit qu’il savait quoi faire. Il avait l’air confiant. Personnellement, je trouvais qu’il dégageait une énergie inquiétante. Il fit ensuite quelque chose d’étrange. Il alla d’abord donner la main aux plus vieux et finit avec les plus jeunes. Sur le coup, je vis cela comme une nouvelle excentricité du moment, mais ça aurait dû me mettre la puce à l’oreille. D’autant plus qu’entre-temps, il s’était absenté pour se rendre aux toilettes. Les deux candidats s’assirent et Hartfield laissa Liam Oliver faire son discours en premier. Je devais admettre qu’il était inspiré. La salle, en particulier les plus jeunes se levèrent et l’applaudissaient. Vint le tour de M. Hartfield…
Un silence apparut.
AM – Prenez votre temps, je vous écoute.
JD – Je m’en rappelle comme si c’était hier. Voici ce qu’il déclara : « Chers concitoyens, chères concitoyennes, c’est en tant que citoyens moi-même que je m’adresse à vous aujourd’hui. Les derniers jours, nous avons vécu des épreuves éprouvantes pour notre société. Il est de mon devoir et le vôtre de cesser l’anarchie que certains jeunes dissidents veulent entretenir dans notre communauté. C’est en tant que défenseur de toujours que j’agis aujourd’hui devant vous. À circonstance exceptionnelle, moyen exceptionnel. Vous ne me comprenez pas, mais dans quelques instants, tout vous sera très clair. » Effectivement, personne ne saisissait où il voulait en venir. Pour nous, il avait perdu la tête et c’était la fin de sa carrière. Et alors, quelque chose d’incroyable survena. La majorité des plus jeunes eut des convulsions violentes. On pouvait voir de l’écume sortir de leurs bouches. Par la suite se fut du sang. La panique prit la salle. M. Hartfield parla de nouveau comme si rien ne se produisait : « Plus jamais la jeunesse ne viendra ternir ce qu’on a durement bâti! » Et il fut victime de frémissements lui aussi, il vomit du sang. Liam Oliver, qui était resté figé jusque-là , fut affligé à son tour. Le même sort le frappa.
AM – Que se passa-t-il ensuite?
JD – Ce fut le chaos. On imposa une quarantaine dans la ville où le débat se déroula. Tout le monde craignait de subir le mal « Hartfield ». Après investigation, on découvrit une substance étrange sur les mains du député. Tous ceux qui lui avaient donné la main en avaient été contaminés. On avait déduit que lors de son séjour aux toilettes, il dut se répandre ce produit toxique. L’incident fut mis sous silence. On remplaça les candidats défunts, mais ils attendirent un moment avant de faire campagne. Question de respect. La police eut des preuves que tous les attentats étaient l’œuvre d’un seul homme : James Hartfield.
AM – Aviez-vous compris que c’était la statuette qui était derrière tout cela?
JD – Oui, mais trop tard. On m’interrogea évidemment sur toute cette tragédie, mais je serai honnête, j’ai décidé de ne pas en glisser un mot. Je tenais à garder ma carrière, vous voyez. J’avoue le regretter aujourd’hui. J’espère me rattraper en livrant mon témoignage.
AM – Croyez-vous que la statuette est encore quelque part?
JD – Plus dans le comté de Conkly en tous les cas, j’en aurais entendu parler. Vous croyez… qu’elle fait ses méfaits autre part?
AM – Pour moi, cela ne fait aucun doute.
JD – Alors, retrouvez-la et débarrassez le monde de cette calamité!
AM – C’est mon but ultime, Madame.
JD – Que Dieu soit avec vous. Je vais vous laisser maintenant.
AM – Merci.
Gorrotoa n’a donc pas été détruit lors de l’événement de l’usine Crawford. Cela ne pouvait être si simple. Cela ne sera pas simple.
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