Je fus réveillé par une mère paniquée. Je ne l’avais jamais vue dans un tel état. Elle habituellement si stoïque, si calme. Elle nous ordonna à mon frère et moi de descendre au salon. On s’assit sur le divan et on lui demanda ce qui se passait. Elle tournait sur elle-même et nous révéla qu’elle avait observé une apparition spectrale se diriger vers nos chambres. Elle voulut savoir si nous n’avons rien remarqué. Nous dormions tous les deux, alors on répondit qu’on n’avait rien aperçu.
Elle s’assit sur un fauteuil, et s’interrogea elle-même : « Qu’est-ce qu’on va faire ? » Autant elle que nous, nous ne possédions pas de réponses à cette question. La religion et la magie avaient failli à leurs tâches. Si on ne pouvait pas se fier aux maîtres de la spiritualité, à qui pouvait-on se confier ? On était désespérés. Pour le moment, on ne pouvait que retourner se coucher. On ne tenta pas notre chance, on alla tous passer la nuit dans la même pièce, soit celle de maman. Mon frère dormit avec elle, et moi j’avais aménagé mon matelas à côté d’eux. Le lendemain matin nous requerra beaucoup d’efforts pour nous sortir de notre lit. On fonctionnait tous en mode automatique. En nous voyant, on aurait cru qu’on nous avait pris en otage et qu’on devait agir comme si rien ne se déroulait pour ne pas éveiller de soupçons au monde extérieur. Ce n’était pas loin de la vérité.
Le soir suivant, on devint tous anxieux. On appréhendait chaque bruit, chaque mouvement comme une menace potentielle. On attrapa l’achluophobie. On s’installa tous des veilleuses. On aurait dit des enfants craignant l’arrivée du Bonhomme Sept Heures. De mon côté, le sommeil était troublé par une constante inquiétude.
Cela allait durer une semaine comme cela. Possiblement pour nous narguer, les esprits ne se manifestèrent pas. On s’était énervés pour rien. On reprit tous notre calme, et la vie continua de plus belle.
Jusqu’au jour où… J’écoutais la télé dans ma chambre. Je visionnais calmement un film. Tout à coup, mon frère ouvrit la porte et m’ordonna d’arrêter de frapper sur la paroi communiquant entre nos deux pièces. J’ignorai de quoi il parlait. Je n’y touchais même pas.
- Tu n’as donc pas cogné sur le mur ? On aurait dit que tu donnais des coups de pieds, demanda Sébastien perplexe.
- Pourquoi j’aurais fait cela ? lui répondis-je
- Bonne question. Ma blonde aussi l’a entendu. Et toi ?
- Non, rien. À moins que ce soit ce que je regarde, il y a un peu de violence…
- Non, non, ça provenait vraiment du mur. C’était fort.
- Je sais pas quoi te dire, vieux.
Seb referma la porte en se marmonnant à lui-même. Je retournai à mes affaires. Quinze minutes plus tard, mon frère se présenta de nouveau.
- Eille, ça va faire, là  ! J’t’entends clairement frapper ! Et ça s’arrête quand je suis devant toi !
- Man, je te jure que j’ai rien fait…
- Hmm, viens dans ma chambre pour être sûr !
- Et mon film ?
- Come on ! On va en avoir le cœur net !
- Bon, bon, okay, déclarai-je pour terminer cette conversation.
J’arrivai dans la pièce et je pus voir Julie, la blonde à Seb, debout en face du lit, l’air inquiet. Je restai avec eux un moment. À part le silence, rien d’autre ne se produisit.
- Merci de me faire perdre du temps, que je lui dis sur un ton de reproche.
- Je te niaise pas ! Il y avait vraiment des coups !
- Ouin... En attendant, je retourne dans ma chambre.
J’exécutai ce que je venais d’émettre. Après cela, je pouvais les entendre de leur côté. Je pouvais deviner que ça se reproduisait, mais ils n’osaient plus me déranger cette fois. Habituellement, on aurait ri d’une telle situation, mais étant donné les antécédents, on craignait tous que cela signifiât un retour d’événements un peu plus graves.
Julie bouda de nouveau notre maison. Non que je le lui reprochai. N’importe qui aurait réagi de la même façon. D’autant plus qu’elle y a sérieusement goûté. Malgré tout, le calme revint. Mais cela devait n’être qu’un intermède.
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Je me tenais debout dans ma chambre à côté de mon lit. Je me sentais étrange. Mon corps était seulement constitué de chaleur et d’énergie. Je n’avais jamais éprouvé ce genre de sensation. Me déplacer me demandait beaucoup d’efforts comme si je marchais sur de la mélasse.
Ce ne fut pas le pire. Je ressentais la présence de quelqu’un d’autre. Il m’observait. Je ne pouvais le voir, mais j’étais persuadé de la réalité de son existence. On aurait dit qu’il prenait tout l’espace. J’étais envahi de partout. Je devais quitter cette pièce. Je me dirigeai tant bien que mal vers la sortie, mais lorsque j’étais rendu, une puissance me repoussa vers l’arrière. Je me retrouvai au même endroit qu’au début. Je repris mes forces et me redirigeai vers ma porte. Le phénomène similaire se reproduisit. La terreur s’installa. Je me sentis prisonnier sur place. Qui m’emprisonnait de la sorte ? Ma tête bougea frénétiquement pour tenter de découvrir ce qui m’arrivait. Et c’est là que je le vis. Moi-même. Étendu sur le lit. Je dors. Qu’est-ce qui se passait ? Après cette question, je compris que je vivais un voyage astral. La panique gagna un échelon supplémentaire. Mon esprit n’en put plus et je revenais vers mon corps comme si j’étais attaché à celui-ci par un élastique. Le réveil se révéla brutal. Mon matelas et moi étions trempés du même liquide salé. Je quittai tout de suite la chambre. Aucune force qui me retint cette fois. Était-ce un rêve ? Non, ça semblait trop réel. Je me dirigeai vers la salle à manger pour boire un verre d’eau. J’ignorai à ce moment que mon frère subissait une expérience un tantinet plus intense.
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Un sentiment de déjà -vu. Sébastien flottait dans les airs. À nouveau. Tout comme la dernière fois, il se trouvait à un mètre de son lit dans la position couchée. Il n’éprouvait pas le besoin de regarder vers le bas, il savait que son corps y était étendu et qu’il paraissait dormir. Sauf qu’il ne dormait pas. Son esprit, lui, était bel et bien éveillé. Une grande crainte s’éleva en lui. Il se souvint de la présence lors de l’événement du même type. De la présence maléfique.
D’ailleurs, il la ressentait encore. Il ne la voyait toujours pas, mais il ne doutait pas une seconde de sa mauvaise compagnie. Seb n’osa pas bouger ne souhaitant pas affronter ce qui se présenterait devant lui.
Malheureusement pour lui, l’entité allait en décider autrement. Deux mains munies de longues griffes le saisirent. Elles le remirent en position debout, et lentement l’amenaient vers leurs possesseurs. À son horreur, Sébas découvrit l’être dans toute sa monstruosité. Elle paraissait vieille, car il s’agissait d’une femme. Quoique certains aspects ne pouvaient provenir d’un humain. Les bras avaient la longueur de la chambre, elles rapetissaient à mesure que Sébastien s’approchait de la créature. Sa peau possédait une blancheur cadavérique. Mais c’était surtout ses yeux. Inexistants. En fait, malgré ses paupières bridées, ses orbites étaient vides. Dans ceux-ci, le néant s’étendait à perte de vue comme si à la place de son regard on trouvait un puits sans fond. Ses cheveux gris étaient bouclés et ébouriffés. Cela donnait l’impression qu’elle s’était battue avec eux. Son rire ressemblait plus à une grimace. Son aura dégageait une méchanceté infinie. On aurait cru que tout le malheur de la terre était représenté par une seule personne. Plus Sébastien avançait (de force) vers elle, plus elle se mit à ouvrir la bouche. On aurait dit qu’elle voulait l’avaler.
Il se débattit, mais l’esprit démoniaque le tenait trop fermement pour qu’il puisse bouger. Il cria. Bien entendu, personne ne l’entendait, techniquement il dormait. Il fallait qu’il se réveillât. Mais comment ? Il devait agir rapidement, car il était pratiquement collé sur sa tortionnaire.
Il tenta quelque chose de désespéré, il essaya de prendre le contrôle de son corps à distance. Il ignora si c’était dû à l’urgence de la situation, mais il réussit à manipuler sa gorge pour lâcher un cri.
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Je buvais mon verre d’eau lorsque mon frère appela à l’aide. Je me précipitai vers sa chambre, ma mère s’y trouvait déjà . Après avoir sorti Sébastien de son cauchemar, il s’assit sur son lit et s’effondra en sanglot.
C’était assez pour maman. Il fallait déménager.
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