Mon frère et moi épluchions la documentation spirite. On passa par-dessus les sections discutant des préliminaires. Comme tout homme qui se respecte, on désirait tout de suite entrer dans le vif du sujet. Après tout, qui aurait voulu s’embarrasser de la préparation telle que des rituels de protection ? Pas nous en tous les cas.
Une technique nous attira plus que les autres étant donné sa simplicité : le pendule. Il n’était pas nécessaire de se l’acheter, une chaîne suffisait. On alla fouiller dans la bijouterie de maman et on trouva satisfaction. Une nouvelle fois, on attendit au soir pour opérer. La cave était de nouveau notre lieu de prédilection. On ne change pas une formule gagnante.
Il suffisait de pincer le début de la corde pour que l’autre extrémité pendît dans le vide. Ensuite, on posait des questions dichotomiques. Si l’entité donnait une réponse positive, le poids tournait dans le sens d’une aiguille d’une montre. Pour une réponse négative, le sens inverse. Au départ, il ne se passait rien. L’instrument ne tremblait même pas. On se l’échangea à tour de rôle. Aucune différence. C’est lors du troisième tour que le bijou se balança latéralement au bout de mes doigts. Victorieux, on voulut crier, mais on se retint de peur d’éveiller les soupçons de maman. On décida de passer à la suite du plan : l’entrevue.
- Es-tu un esprit ?
- Oui.
- Es-tu Marc ?
- Non.
- Es-tu quelqu’un que l’on connaît ?
- Non.
Un nouveau ! Cette séance s’annonçait excitante. On continua :
- Es-tu un homme ou une femme ? Va de gauche à droite, si tu es un homme et…
Comme si elle lisait dans la tête de mon frère, l’entité ballotta la chaînette de l’avant vers l’arrière. On l’interrogea sur son âge au moment du décès. On commença par 0 à 10 ans et on finit avec 30 à 40 ans, instant où elle répondit finalement par l’affirmative. Sébastien eut l’idée de lui demander d’exécuter quelques tours avec le pendule. On souhaitait qu’elle traçât des formes géométriques : carré, rectangle, triangle. Elle les réalisa toutes. Mais ce qui nous étonna le plus fut lorsqu’elle garda la chaîne quelques secondes oblique dans les airs. Ensuite, l’objet s’immobilisa à la position initiale comme pour nous signifier que le spectacle était terminé. On tenta de rentrer en contact de nouveau. Peine perdue.
On décida de laisser tomber pour le reste de la soirée. Tout se passa sans encombre jusqu’au lendemain matin. Je distribuais les journaux tôt pour pouvoir gagner un peu d’argent de poche. Je détestais ce travail. Non seulement parce que c’était matinal, mais aussi parce que c’était éreintant. En particulier l’hiver. J’étais durement éprouvé par les intempéries. Souvent, les allées n’étaient pas déneigées ou déglacées. Tout ça pour un salaire et des pourboires de misère. Donc, au lever du jour, ma mère me réveilla. Habituellement, mon réveille-matin aurait dû s’en occuper, mais il était éteint. Il était tard et j’ai été forcé de me dépêcher à livrer les journaux. À ce moment-là , je ne m’étais pas posé de questions. Après tout, j’avais probablement juste oublié d’activer l’alarme. Le soir d’après, je l’avais vérifié trois fois. Le même phénomène se produisit le lendemain. Maman me demanda de devenir plus vigilant. Je ne comprenais rien. Pourtant, je n’avais jamais été victime de somnambulisme. Je décidai de mettre l’appareil le plus loin possible de mon lit, au bout de ma chambre. Cela ne régla pas le problème. Ma mère commençait à en avoir assez. Pour remédier à la situation, je m’en achetai un deuxième. Les deux engins étaient disposés totalement à l’opposé l’un de l’autre.
Malgré mes multiples vérifications la soirée d’avant, tous les deux s’étaient désactivés le matin suivant. J’étais déconcerté. J’en parlai à mon frère, et puis il avança la théorie que la responsabilité incombait peut-être à un fantôme. Je trouvais l’idée intéressante et je décidai d’aller la vérifier par moi-même. Ne voulant pas utiliser le Ouija seul, et le pendule ne donnant pas de réponses suffisamment précises, j’optai donc pour une technique que je n’avais jamais essayée jusqu’à présent : l’écriture automatique. Cette méthode ne nécessitait que deux choses : du papier et un crayon. Il suffisait par la suite de laisser l’esprit guider sa main comme au Ouija. J’opérais dans ma chambre sur mon bureau, la porte de ma pièce fermée. Au départ, je gaspillais surtout des feuilles à force de dessiner que des cercles. Et puis, j’ai ressenti ce que mon frère avait décrit lorsqu’il joua au Ouija en solitaire. Je perdais le contrôle de mon bras. J’éprouvais d’abord un engourdissement. Ensuite, j’avais l’impression qu’on avait anesthésié cette partie de mon anatomie. Cette dernière était devenue un outil externe à mon corps. C’était plutôt déroutant et il était difficile de saisir pourquoi j’ai continué. Mais je voulais tellement comprendre que la curiosité semait ma peur. Un premier mot est alors apparu : « Bonjour ». Ce qui m’avait le plus frappé était la graphie. Je remportais la palme de l’écriture cursive la plus illisible. D’ailleurs, même mes lettres moulées demandaient un décodage. Or, la calligraphie présente sur la feuille différait de la mienne par son sens du soin et de sa délicatesse. Comme si quelqu’un d’autre l’avait transcrite. J’interrogeai dans ma tête :
– Qui es-tu ?
– Sue, écrit-elle de la même signature.
Pendant un moment, j’observais ce mot comme s’il allait me sauter au visage. Le crayon traçait des ronds tout autour du nom. Je devais me reprendre :
– Est-ce que tu es la femme avec qui on discutait au pendule ?
– Oui.
– Est-ce toi qui joues avec mes alarmes ?
– Oui.
– Pourquoi ?
– Pour te parler.
Elle désirait attirer mon attention. À ce moment-là , il n’y avait aucun doute pour moi. Je lui posai l’inévitable question :
– Que veux-tu me dire ?
– J’habite ta chambre.
Je ne savais pas quoi en penser. Je souhaitais plus de précisions. Et comme si elle le devinait, j’ai reçu la réponse non sur papier, mais à l’intérieur de ma tête : « Je reste ici pour te protéger. » Je lui demandai de quoi au juste, la réplique réapparut en écrit :
– Des autres.
Je compris immédiatement de quoi il s’agissait grâce à une espèce de lien temporaire entre elle et moi. D’autres esprits vivaient dans la maison. Cette révélation me fit couper la connexion. Je lâchai le crayon comme s’il était infecté par la lèpre. Je rangeai toutes les preuves de mes méfaits dans le tiroir de mon bureau. Je quittai précipitamment la pièce. Je m’engourdis devant mon ordinateur au sous-sol le reste de la soirée. Je voulais oublier ce qui s’était déroulé.
Ça aurait pu continuer comme cela. Mais voilà , la nuit arriva, et je me rendis à ma chambre pour aller me coucher. Ma porte était fermée. C’était déjà étrange. Je ne la closais jamais lorsque je partais. J’ai haussé les épaules et je dirigeai ma main vers la poignée. Une voix féminine s’écriait dans mon oreille gauche : « Ne rentre pas ! » J’étais figé de stupéfaction. Je tournai la tête rapidement pour me rendre compte qu’il n’y avait personne. Je décidai qu’il valait mieux obtempérer. Je descendis au rez-de-chaussée. Et je me suis versé un verre d’eau. Les questions se succédaient frénétiquement dans mon esprit. Qu’est-ce qui se passait là -haut ? Après un long moment, j’en ai eu assez et je remontai. La porte de la chambre était entrouverte. Je ne savais pas si on allait m’entendre, mais je demandai à voix haute : « Je peux rentrer ? Tout est beau là ? » Silence. Quand j’entrais dans la pièce, une impression de troisième guerre mondiale planait dans l’air. Je sentais que j’avais échappé à quelque chose de gros, mais j’ignorais quoi exactement. Je me couchais dans le lit, mais je ne fermais pas l’œil, pas tout de suite. Le sommeil avait finalement réussi à me happer, à cause de la fatigue.
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Une voix. Une voix de femme. Ginette se réveilla et crut au début qu’elle rêvait. Elle pensa d’abord que c’était un de ses enfants qui lui jouait un mauvais tour. Mais leurs gorges muées les auraient trahies. Cela ne pouvait être rien d’autre qu’une voix de femme. Elle provenait du corridor du deuxième étage. Comme si la personne se tenait cachée derrière son cadre de porte. Elle murmurait, mais on l’entendait tout de même distinctement. Elle répétait sans cesse son nom : « Ginette… Ginette… Giiiinettttee... » La chair de la maîtresse de la maison se mortifia. Ses poils souhaitaient quitter son corps. Ses cheveux pointaient tous vers le haut. Elle n’osait pas regarder. De crainte de ce qu’elle pourrait voir. Le murmure se tut. Le silence était pire à ses yeux. Que cela présageait-il ? Elle n’eut qu’une pensée à l’esprit. Ses enfants. Ginette était peut-être petite et menue, cela ne l’empêchait pas de posséder une grande force de caractère lui valant d’être crainte par ses adolescents. Elle affronta donc sa peur et se leva. Les deux dormaient à poings fermés. Elle se rendit visiter chaque pièce de la maisonnée. Personne, même pas une mouche. De plus, la télé, une explication possible, n’était pas allumée. Qu’est-ce qui s’était passé ? Elle repensa à la voix, était-ce sa mère ? Non, elle n’en avait jamais entendu de pareille. Suave et lente. Il lui aurait semblé qu’elle voulait l’agacer avec son ton un peu railleur. Elle hésita un moment à aller se recoucher. Elle le devait bien. Il fallait se réveiller tôt pour le travail. Elle gagnait déjà peu en tant que brigadière scolaire, valait mieux ne pas en rajouter en s’absentant, puisque les congés n’étaient pas payés. C’était un métier ingrat et dur, en particulier l’hiver. Heureusement, elle obtenait de l’aide financière de son ex-mari. Sans quoi, elle n’y arriverait pas.
Elle s’étendit sur le matelas, malheureusement le sommeil ne vint jamais. Elle espéra que cela ne se reproduisait pas... Qu’il s’agissait d’une occurrence unique.
Elle ne pouvait pas deviner que ses deux fils avaient joué avec le feu…
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