Détective Trask – Épisode 9 – Voyage au centre de l'être
Cela devait faire une heure que Trask était dans cet hélicoptère. Malgré ses demandes à Steve d'enlever le bandeau sur ses yeux, ce dernier refusa. « On arrive bientôt », lui dit-il. Trask ne voyait plus trop l'utilité d'avoir ce bandeau. Si c'était pour ne pas reconnaitre le chemin vers l'endroit où ils se dirigeaient, il était persuadé qu'il ne pourrait pas le reconnaître à ce stade. De plus, le bandeau lui avait enlevé toute capacité extra-sensorielle. Il était incapable même de dire dans quelle direction il s'en allait. La seule chose qu'il remarqua était une baisse de la température. C'était maintenant très frais, comme si l'automne était à sa fin. Mais nous étions encore en début octobre.
L'hélicoptère sembla perdre de l'altitude tranquillement. Était-ce la fin de cet interminable voyage? Cela devait l'être, car Trask sentit un léger choc, lui démontrant qu'on avait atterri. Les hélices réduisaient de vitesse. Steve lui dit : « Descends, prenez ma main quand je te la donnerais. » Trask obéit. « C'est pas loin » dit Steve sur un ton rassurant. En effet, peu de temps après avoir marché, Trask entendit l'ouverture d'une porte. Après qu'on l'ait refermé, Steve lui dit : « Okay, tu peux l'enlever là . » Trask ne perdit pas de temps. Il vit qu'il était dans une vieille cabane de bois. Un puissant feu brulait dans un vieux foyer d'antan. Le reste était très minimaliste. Une vieille table, des chaises en bois rond étaient tout ce que constituait le mobilier. Comme si cette pièce ne servait qu'à ces rencontres. À côté de lui, Steve O'Toole se tenait debout l'air satisfait. Derrière la table, il y avait trois hommes debout eux aussi. Au milieu, assis, il y avait un homme dans l'âge avancé, cheveux gris presque argenté. Quelque chose sauta aux yeux de Trask. Les yeux de l'homme justement. Ils étaient de couleur argent. Mais on pouvait y deviner une âme profonde derrière. Un homme qui aurait beaucoup vécu. Il portait une chemise blanche et des pantalons noirs. Les deux hommes à côté étaient debout, habillés tous de noir avec des lunettes fumées. Ils ressemblaient beaucoup à l'Hermétiste qui avait tué Mme Castonguay. Trask avait l'impression qu'ils étaient les gardes du corps de l'homme assis. L'homme aux cheveux argents lui fit signe de s'assoir. Trask obtempéra. En s'assoyant, il prit la parole :
— Le maître, je présume. — (L'homme rit) Steve m'a appelé comme cela n'est-ce pas? Je n'aime pas beaucoup cette appellation, mais si cela lui plait… Appelez-moi plutôt « R ».
La voix de l'homme était profonde. Comme s'il parlait d'une caverne. L'homme n'avait aucun accent. Il était difficile de dire de quelle nationalité il appartenait. Cette voix avait un ton charismatique, on ne pouvait l'interrompre. Il ne restait que l'envie de l'écouter. R reprit :
— Je suis désolé de vous avoir imposé ces contraintes de voyage. Mais nous ne pouvions risquer que ceux qui vous suivent sachent où vous vous dirigiez. — Donc, j'étais vraiment suivi… — Oui, mais pas comme vous le pensiez… Il faut que je vous explique. En fait, vous vous en doutiez déjà . Nos ennemis ont des moyens pratiquement illimités d'arriver à leurs fins. À un tel point qu'ils n'ont plus besoin des méthodes conventionnelles. On parle de groupes qui existent depuis des millénaires! — Ils sont plusieurs… — Oh oui! Nous sommes un peu comme ces groupes… mais nos intérêts diffèrent largement. Ce qui est bien c'est que ces groupes ignorent l'existence de notre organisation. Je tiens à ce que cela reste comme cela le plus longtemps possible. Donc, pardonnez-moi si je ne vous présente pas à personne. Vous connaissez Steve, c'est déjà suffisant, ce sera votre contact. — R n'est évidemment pas votre nom. — Bien sûr que non. Mais le pseudonyme R sera suffisant pour l'instant. Je suis certainement celui qui est le plus en danger dans cette salle. On me croit mort, et c'est très bien ainsi. Le moins que vous en savez sur mon sujet, le mieux c'est. Autant pour moi que pour vous de toute façon. — Je suis en danger… — En effet. Jusque-là , un groupe particulier vous protégeait. Ils ne pourront plus le faire et ils n'auront plus besoin de vous de toute façon. — Qui est ce groupe? — Les Élafistes. Contrairement à l'autre groupe que vous avez vu, les hermétistes, ils ne sont pas aussi secrets. Ils ont même pignon sur rue. Dès que vous aurez quitté ce lieu, je vous encourage fortement d'enquêter de ce côté. — Pourquoi me protégeaient-ils? — Désolé, si je suis brusque, mais je n'ai pas beaucoup de temps. J'ai bien peur que vous alliez devoir le découvrir par vous-mêmes. Je ne suis pas ici pour tout vous révéler. Je suis plutôt ici pour vous entrainer. Vous entrainer à vous protéger vous-mêmes. — Vous allez me donner un de ces pendentifs? — ( R sourit ) Non vous, vous n'en avez pas besoin. D'ailleurs, je tiens à ce que vous restiez indépendant. — Pourquoi n'en ai-je pas besoin? — Vous connaissez déjà la réponse. Vous n'êtes pas un être humain ordinaire. Si les membres de mon ordre n'avaient pas ce pendentif, il deviendrait ce qu'ils ont été auparavant. Des hommes, sans pouvoir. — Donc, ils ont leurs pouvoirs artificiellement? — Bien déduit. Vous êtes quelqu'un de rare, très rare. — Pas si rare que cela, vous n'en portez pas non plus. — Bien observé! Effectivement, je n'en ai pas besoin non plus. — Vous êtes comme moi? — C'est plus compliqué que ça. Mais j'ai bien peur que je ne puisse pas en dire plus là -dessus. Je m'en excuse. — Je vois... Saviez-vous pour Mme Castonguay? — Malheureusement oui. C'est une grande perte. J'ai perdu deux hommes dans cette affaire. — Que voulez-vous dire? — Je la faisais suivre. Pour sa protection. Malheureusement, cela n'a pas suffi. — Vous êtes donc de mon côté. — J'ai besoin de vous comme vous avez besoin de moi. On combat le même ennemi. — En quoi avez-vous besoin de moi? — J'ai besoin que vous continuiez votre enquête. J'ai besoin que vous découvriez vos origines. Allez jusqu'au bout! —Pourquoi mes origines vous sont si importantes pour vous? —Je crois que c'est ce qu'il vous faut pour réussir à vaincre le plan de ces groupes. — Pourquoi êtes-vous contre les autres groupes? — Votre personnalité de détective prend le dessus! C'est très bien. Ils ont un plan. Un plan pour l'humanité. Je n'aime pas ce qu'ils veulent faire. Je me suis donné comme mission de les arrêter. C'est tout ce que je vous dirais là -dessus pour le moment. — Il me semble que de m'en dire plus pourrait justement faire avancer mon enquête, non? — Nous avons des ennemis très puissants. Le moins que je vous en dis, le mieux c'est pour nous. — Donc, en somme, je sortirais d'ici avec à peine plus d'informations qu'avant, mais mieux protéger. — C'est un peu ça. Vous pouvez toujours garder le contact à Montréal avec Monsieur O'Toole. D'ailleurs, il est maintenant temps que je vous montre quelques trucs. — J'écoute. — Voilà , comme je vous le disais il y a quelques minutes, on vous suivait. Mais pas physiquement. Psychiquement. — Pardon? — Vous avez bien entendu. Quelqu'un a mis une trace sur votre esprit. Peu importe où ce personnage se trouvait, il savait où vous étiez, ce que vous faisiez. Il faut enlever cette trace psychique, sans quoi votre enquête sera compromise. — D'accord, comment puis-je procéder? — Cela demandera beaucoup de concentration de votre part. Un grand effort pour trouver cette trace. Mais on pourra voir cela comme un début. D'abord, fermez les yeux. Prenez de profondes respirations. Écoutez ma voix.
Trask fit ce que R lui demanda. À mesure qu'il respirait, il se sentit entrer de plus en plus profondément en lui-même. La voix de R se fit plus lointaine, mais il l'entendit clairement. La voix lui dit : « Il faut entrer maintenant dans votre subconscient, elle ne peut qu'être cachée là . Cherchez un trou, le trou le plus profond possible. » Trask n'était pas sûr de ce qu'il voulait dire, mais il vit des couleurs apparaitre et danser dans l'obscurité. Il découvrit qu'il pouvait les manipuler. Il construit avec son esprit un mur de brique rouge. Un vortex apparut dans ce mur. Il comprit que c'était là qu'il devait aller. Avec hésitation, il y pénétra. Il perdit la conscience de ce qui se passait pendant un certain temps. Puis, Un décor étrange était devant lui. Des crucifix flottaient partout, des cloches d'église sonnaient au loin. Il toucha à un des crucifix et une mémoire d'enfance lui apparut. Il se regardait dans un miroir et se vit enfant. Il se voyait sans cheveux, tout petit et maigre. Il se demandait : « Pourquoi suis-je si différent des autres? Pourquoi suis-je si laid? » Il avait oublié cet événement. Il s'en souvenait maintenant. La croix avait disparu. Il devait y avoir des crucifix par milliers. Lequel cachait la trace? Une voix sembla répondre à son interrogation : « Cherchez l'objet qui n'a pas sa place. » Trask flotta parmi la multitude de croix. Elle était de toutes les couleurs, toutes les grosseurs. Elle était de tous les styles, de tous les matériaux. Il vit une croix sans Jésus, il la toucha. Il se vit adolescent. Il priait dans l'église du couvent. Il demandait à Dieu : « Dieu, pourquoi m'as-tu fait ainsi? » Lassé de ne pas avoir de réponse, il s'était dit : « Dieu n'existe pas. » Le jeune Trask trouva cela très dur. La croix sans messie disparut. Ce n'était pas celle-là . Il chercha, mais ne trouva point. Puis il se retourna, il vit une croix avec un Jésus un peu particulier. Il avait les yeux ovales totalement noirs comme s'il était un extra-terrestre. Il toucha au crucifix. Cette fois, il ne se vit pas. Il vit l'homme français que la sœur Rose-Marie appelait « Maître ». L'homme sembla le regarder d'un air désapprobateur. Il se sentit repousser. Il ouvrit les yeux et revit la même salle d'auparavant, avec R l'air satisfait.
— Félicitation. Vous avez réussi le premier test. Vous allez au-dessus de mes attentes. La plupart de mes disciples prennent beaucoup plus de temps. — C'était étrange. Dans cette salle, si je peux l'appeler ainsi, il y avait une multitude de croix qui flottaient partout. — On appelle ça des portes mémorielles. Ce sont des souvenirs enfouis. Votre esprit a surement choisi ce symbole dû à votre passé catholique. — Peut-être. J'ai trouvé la trace. C'était cet homme. Il se faisait appeler maître. Il avait une épingle en forme de E bleu sur sa chemise. — Alors raison de plus d'enquêter du côté des Élafistes. C'est leur symbole. — Les Hermétistes et les Élafistes travaillent ensemble? — Oui et non. Disons qu'ils sont forcés de travailler ensemble. Leurs philosophies n'ont pas toujours été compatibles. — Qu'est-ce qui les force à travailler ensemble? — Ils ont été en guerre, autrefois. Une guerre secrète évidemment. Ils sont maintenant en trêve. D'ailleurs, parlant de trêve, lâchons les questions, et allons à la prochaine étape. Vous avez fait quelque chose qui m'avait étonné lors du dernier exercice. Vous avez créé un mur. Curieusement, c'est justement cela que je dois vous apprendre à faire. Un mur plus concret et solide cette fois. — Un mur? — Un mur de l'esprit. Voyez-vous sans ce mur, vous serez comme un livre ouvert. Il faut apprendre à le fermer, sans quoi on vous remettra une trace. — D'accord, qu'est-ce que je fais? — Encore une fois, fermez les yeux, et prenez une respiration lente.
Trask obéit, et se retrouva encore devant les couleurs vivantes. La voix lui dit : « Cette fois, faites venir les différentes portes de votre esprit. » Des vortex apparurent un peu partout dans le noir absolu. La voix continua : « Très bien, maintenant, imaginez une protection en face de chacune de ces voies d'entrée. » Trask s'imagina une grille devant le premier vortex. Une grille se ferma avec un grand fracas. Il commença à en imaginer une autre sur la deuxième porte. Quand la deuxième barrière se créa, la première grille disparaît. La voix lui dit : « Voilà où ça se complique, l'esprit est capable de se concentrer sur une chose à la fois. Il vous faudra trouver une façon de toutes les bloquer, cela peut demander beaucoup de pratique. Prenez votre temps. » Trask essaya plusieurs fois et échoua. Son esprit se fatiguait. Et puis une idée lui vint à son esprit. Il imagina du ciment qui coulait devant les différents trous. Le ciment durcit et on ne voyait plus les vortex. « Très bien, lui dit la voix, vous pouvez revenir maintenant. » Trask ouvrit les yeux et était à nouveau devant le groupe. Il dit à R :
— Pourquoi ne pas m'avoir proposé cette solution dès le départ? — Je ne voulais pas juste que vous appreniez à bloquer votre esprit. Je voulais aussi que vous appreniez à inventer vos propres solutions. La créativité est l'arme réelle de l'esprit. — Je vois. Est-ce normal que j'aie mal à la tête? — Oui, c'est normal. Votre esprit a fait de très grands efforts de concentration. Il est d'ailleurs temps pour vous de vous reposer avant le prochain exercice. Sans quoi, vous perdrez vos moyens. — Perdre mes moyens… — Je vous explique tout ça demain. Allez dans la pièce à côté, il y a un lit de camp. Et allez vous reposer.
Steve lui fit signe d'aller dans la pièce à droite. Il vit effectivement un vieux lit de camp avec une cruche d'eau sur une table de chevet. « C'est assez rudimentaire », dit Trask. « C'est mieux qu'on puisse faire right now. » répondit Steve. On ferma la porte. Trask entendit qu'on actionnait la serrure. « Me voilà prisonnier », pensa Trask. Trask but de l'eau et ça sembla calmer la céphalée. Il s'endormit aussitôt qu'il fut sur le lit.
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