L'arrivant VII
J'étais en vol sur le pic rouge, la main de JF se promenait sur mon ventre, là où frémissait déjà notre petite fille, là où je sentais avec jubilation, jour après jour grandir et s'alourdir une nouvelle vie, une future Éloïse, une autre joie, une autre belle promesse qui s'exauçait. L'ombre de la chambre commençait à s'éclaircir, l'encadrement de la terrasse de la chambre se dessinait. Je roulai lentement sur le côté et je glissai doucement hors du lit. Au fond de la chambre derrière sa moustiquaire dormait notre petit Rodéric. J'écartai ses rideaux, assise par terre, repliée sur mes genoux, la tête appuyée sur les barreaux du haut lit, je regardais mon trésor dormir. Que je t'aime mon petit, je fonds. Je regardai ce petit visage, il est beau, il ressemble à son papa, mais mon Dieu qu'il est beau ! Je t'aime mon bébé, mon Dodolphe, mon petit bonhomme. Chaque matin je rendais grâce à la vie, merci pour tous ces beaux petits. Merci de m'avoir donné tous ces trésors. Chaque jour, je restais longtemps entre sommeil et réveil à contempler cette petite vie qui commençait, ce devenir dont je me sentais si responsable, trop responsable mais je le comprendrais bien trop tard. JF, s'était retourné et il était maintenant couché sur le dos, il avait comme toujours démonté le fond du lit, pour sortir son pied des draps, il ne dormait qu'avec un pied couvert et un pied découvert. Somnolente, j'ouvris très doucement la porte fenêtre, je me glissai derrière le lourd double rideau et me retrouvai sur la terrasse du côté du cimetière qui dominait Papeete, face à l'océan, je me trouvai dans l'odeur des fleurs de tipaniers qui tapissaient le sol tout au long du grillage. La lumière était encore faible, il était plus de 5H et demi, le soleil ne se lèverait tout à fait que dans un peu moins de 30 Minutes. La brume de mer, faisait un autre océan d'eau flottant en long filet au dessus de la houle. Je m'assis sur le fauteuil. J'étais seule. Face à moi, l'océan immense, des flots sans fin, de l'eau profonde, loin, loin, loin... loin... si loin...que j'en oubliai la France, l'Europe si différente sur une autre planète, cet autre monde, là -bas ailleurs. Je devinais la silhouette de Moorea, sur ma gauche, un premier rayon de soleil fragile traversa la brume du matin, se promena sur la mer et s'arrêta sur ... un mirage. Le projecteur divin, me faisait un cadeau sublime : Là , dans le silence, comme un miracle au milieu de l'eau, toutes voiles dehors, dansant lentement sur la houle, majestueuse et inattendue une silhouette magique apparue, un illustre trois mats fendait les eaux, il venait vers nous en se balançant, il venait de loin, de si, si loin, il revenait de 1788, il venait du temps d'avant, venant d'un lointain passé il avait de plus traversé plus de 10.000 miles, il avait navigué dans les dangers, le gros temps, les tempêtes du méchant pacifique, il avait ramé sous le manque de vent. Le fabuleux Bounty était là , le majestueux trois-mâts de la Royal Navy se dirigeait vers le port. Mes poils se dressaient sur ma peau, je frissonnai, le choc me faisait trembler, je vivais dans le merveilleux. Voilà que j'étais Tahitienne, j'étais sur ce caillou, nous vivions ici, seuls, ignorés de tous, oubliés depuis des millénaires, j'ignorais tout du reste du monde, nous ne savions rien des mystères au delà des eaux. et en ce matin d'hiver austral, notre peuple voyait venir vers lui des visiteurs inconnus, lointains. L'isolement était rompu, nous avions de la visite. Des hommes, du sang nouveau s'avançait vers nous. La fête au cœur, nous irons vers nos hôtes, leur offrir nos fruits, nos fleurs, j'irai danser devant eux, j'étais jeune, belle, j'offrirai mes hanches, mes seins mon ventre, et si les Dieux me sont favorables je porterai bientôt un enfant, un être aux yeux bleus. Ma famille m'honorera, dans Neuf mois, nos clans verront naître des enfants nouveaux, notre sang sera plus fort avec ses fiers marins venus d'ailleurs qui l'enrichiront. Cook, avait raison, la Nouvelle-Cythère est ici. Mais comment ce peuple simple, perdu au milieu du plus grand océan de la planète pouvait-il avoir de telles connaissances ? D'où leur venait cette science ? Comment avaient-ils su éviter la déchéance et la sotte ignorance des autres peuples, si ignares qui se disaient grands et tombaient dans le piège de la dégénérescence en se reproduisant entre frères et sœurs, entre cousins et cousines ! Si il existait un Dieu ou des dieux c'est vers eux vers ce peuple sage de maoris qu'ils portaient tous leurs soins, c'était eux le peuple élu et certainement pas ceux qui s'en proclamaient, se croyant "les préférés". Quand je pense à l’étiolement, à la déchéance de tous ces peuples méditerranéens dont les rois qui, en pratiquant l'inceste ce tabou universel, avaient connu la consanguinité et son inévitable décadence. Et quand je pense à leurs peuples, culturellement, religieusement, contraints à l'endogamie, se sont génétiquement appauvris, avec le cortège des inévitables tares héréditaires : mort infantile, maladie génétique, malformation, arriérations mentales ... Cette décadence qui, à force d'unions forcées, au sein même de leur groupe les a amené à compenser la qualité de leur descendance et à réduire leur perte de population, par la quantité ! Quantité qui contraignait les femmes à porter des dizaines d'enfants pour avoir la chance de pouvoir en élever deux ou trois. Comment ces Tahitiens avaient-ils eu la science du brassage génétique, comment chacun sur son petit caillou vivait-il l'étonnante métapopulation ? Que savaient-ils des gènes délétères et de la perte des allèles ou du danger des allèles pathologiques ? Ils avaient juste, je crois, compris la " Nature ", cette nature qu'ils acceptaient en la respectant, Exonérés de la démence de l'orgueil, ils pouvaient ainsi comprendre qu'ils en faisaient simplement partie. Ils n'ont jamais prétendu être des dieux, des enfants de dieux ... des fruits de dieux ... Ils communiaient avec la nature, s'en réclamaient et la comprenaient parce qu'ils la respectaient. A l'époque où sur les continents, d''Asie et d'Europe les humains allaient enrichir leur patrimoine génétique par la guerre, les invasions, les tueries, en raptant les femmes, en les asservissant sans humanité, quand l'Afrique réduisait, ses propres tribus à l'esclavage, pendant toutes ses violences, les polynésiens eux, du Nord au sud offraient leurs fruits, leurs fleurs, leurs danses, leurs chants, pour des enfants. Comment ont-ils su ? Le rideau bougeait, JF se frottait les yeux, il arrêta son geste et s'immobilisa, après un long silence il murmura la voix basse "Ça devait faire un effet terrible" Nos yeux se croisèrent, il me prit la main. Le soleil ouvrit soudain les projecteurs, il avala en quelques minutes, le reste des brumes nocturnes, la Bounty était maintenant près du port, elle roulait beaucoup, elle se présentait face à la passe. "C'est magique !!" " On peut monter ? " Patrick et Geneviève était dans le jardin, sous la terrasse. "Oui, venez voir ! c'est magnifique, magnifique ...!!" La vue depuis le jardin était plus limitée, nous parlions à voix basse, le moment était trop précieux pour le déranger. Matthieu nous rejoint, puis Clhoé, puis les trois petits, personne n'osait parler, nous regardions juste le bateau entrer dans le port et cela en complet silence. Nous étions tous immobiles, nous étions recueillis. Quand la Bounty passa la passe et que la proue se présenta dans les eaux du port, une explosion de toeres, de Pahus envahit toute l'île. La musique s'envola, résonna puissamment comme le fait le tonnerre, elle réveillait tout le monde, il y avait tant de joie, de bonheur ... C'était si puissant !: "Ia ora na, nana, maeva, manava, haere mai!, fenua ...é" Les chants de bienvenue, depuis le port, montaient jusqu'à nous. Tous les marins de la Bounty devaient être sur le pont, s'attendaient-ils à un tel accueil ? Étaient-ils, comme nous, étreints par l'émotion, avaient-ils eux-aussi la larme à l'oeil ? Trop émue, je sentis, ma gorge et mon ventre serrés et les larmes couler sur mon visage, Geneviève et Florian s'essuyer les yeux, JF renifla, saisit par la beauté de ce sublime retour du temps, l'émotion nous étreignait tous si fort. Nous ressentions dans nos ventres les vibrations, la cadence, le bonheur des tambours qui disaient bonjour, qui disaient bienvenue, les chœurs d'hommes et de femmes qui chantaient l'amour, qui chantaient leur bonheur de retrouver les voyageurs venus de loin. "J'avais oublié qu'elle arrivait ce matin, j'y pensais plus " 'Qui elle ?" "Ben la Bounty" "Moi si, j'ai lu la dépêche hier matin. Il y a beaucoup de monde sur le port" "Il doit y avoir tous les groupes de danses" "Maman, je suis trop "émotionnée" ça me fait drôle dans le ventre le ventre !" Virginie avait les yeux tous mouillés de larmes. "C'est la fête, Alors on a pas classe ?" "Ben tiens !" Je regardai Matthieu en souriant, celui là , quel bandit ! Clhoé revenait Rodéric dans les bras. " C'est la fête maman ?"
Loriane Lydia Maleville
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