Réponse au défi de Mafalda :
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Comme j’aime me faire belle, me pomponner, choisir la tenue idéale pour accompagner mon époux. Gérard est le PDG d’une entreprise de fabrication de pots de fleurs en terre cuite ou PVC. Nous côtoyons le gratin de la profession ; les concepteurs de bouteilles, de bidons, de flacons, de tubes et autres récipients de tailles et de formes très variées. Je suis de toutes les soirées, bals, concerts pour œuvres caritatives. Je me pavane au bras de mon mari, souris aux nombreux visages que je croise, salue des quidams et des connaissances, m’enquiers de la santé de la mère de Madame Dubois-Deboulogne, du sujet de la thèse de l’aîné du couple Montseigneur-Delapince. J’ai toujours des sujets sur la langue : du réchauffement climatique qui affame les ours polaires, de la crise économique qui appauvrit les travailleurs, la dotation royale qui s’amenuise, les frasques de certains politiciens. L’actualité est une manne inépuisable de thèmes variés. Mais je ne fais que les évoquer avec en conclusion un « C’est malheureux ! » très passe-partout ! Un soir, un souper est organisé dans notre villa ardennaise. Les invités entrent et s’installent dans le salon. Je suis dans un coin de la pièce. Chacun me dévisage. Je leur souris mais personne ne m’adresse la parole. En sirotant une coupe de champagne, un toast au caviar dans la main, Monsieur Delasure-Rance me regarde avant de questionner Gérard.
– Vous devez être fier d’elle ! – Tout à fait !
Il est vrai que je suis une femme parfaite !
– Elle est vraiment belle ! – Merci.
J’aurais préféré qu’il me le dise directement. Il n’est pas mal non plus.
– On doit vous envier. – Je suppose. – Vous avez pensé à l’assurer ? Elle pourrait attirer les convoitises.
En voilà une drôle d’idée.
– Je n’y avais pas pensé. Vous croyez que c’est nécessaire ? – Tout dépend si vous y avez investi de grosses sommes.
Il y a bien eu quelques liftings, des implants mammaires, des robes haute-couture, etc.
– Oui bien sûr ! Je n’ai pas regardé à la dépense. – Vous savez, par les temps qui courent. Mieux rester prudent.
On sent bien le courtier d’assurance.
– Il est toujours bon d’assurer une œuvre d’art comme celle-ci !
Je le trouve étrange son compliment. J’ai envie de lui exprimer le fond de ma pensée mais aucun son ne sort de ma bouche semblant devenue inexistante. Un sentiment étrange de vide intérieur m’envahit. Mes yeux tombent sur le miroir qui me fait face. Je vois une forme étroite à la taille et qui s’évase vers le bas. Je n’aurais pas dû choisir cette robe bouffante. J’ai les deux mains posées sur les hanches à la façon de Peter Pan ou d’un petit chef en train de surveiller ses sous-fifres. Mon corps est immobile, ne répond plus à mes injonctions et je n’ai plus de visage ! La glace ne me renvoie plus une forme féminine mais celle d’une sorte de grand pot en terre cuite avec des gravures antiques. Une petite voix me dit : « À force de jouer les potiches, ne t’étonne pas d’en être devenue une ! ». D’un naturel optimiste, je conclus que finalement mieux vaut être potiche que cruche !
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