L'arrivant IV
Les secousses de ce sacré 4X4 étaient pénibles, et si moi, je me sentais ballottée comme une pauvre chose, les enfants, eux, au lieu d'en souffrir riaient comme des fous, et chantaient à tue-tête. Nous approchions des deux cassis, les "fameux bing-bang" de Rodéric. Devant nous un scooter portait toute une famille de Tahitien. Le tane (l'homme) qui conduisait, disparaissait pris en sandwich entre les deux enfants qui se tenaient debout au milieu des jambes et des bras de leur père, à l'arrière, la mère, avait un chien sur les genoux et un jeune enfant dans les bras. Les deux parents comme une majorité de Tahitiens présentaient un surpoids incroyable. Le scooter était enfoui sous la masse des corps entassés. La nourriture européenne faisait des dégâts sévères sur la santé de ces gens, je n'avais jamais vu une telle concentration de personnes obèses. Le scooter était arrivé assez lentement sur le cassis, JF avait prudemment ralenti, et laissé de la distance entre notre véhicule et le scooter qui commençait à escalader les ralentisseurs, au moment de passer la première bosse nous vîmes la roue avant du scooter se soulever ... se soulever encore ... puis encore, et le scooter se dressa comme un cheval qui rue, et hop, voilà toute la famille partie lentement à la renverse et couchée par terre en plein milieu de la chaussée. Inquiets nous regardions la scène inattendue, je m’apprêtai à aller au secours de ces malheureux quand je vis la mère, le père, les enfants se rouler par terre, le corps soulevé d'un fou rire sonore. Ils ne se relevaient même pas, ils étaient morts de rire, ils tapaient sur la chaussée du plat de la main, en riant comme des fous. Les passants sur le trottoir se pliaient de rire aussi. Les rieurs bruyamment, s’esclaffaient gaiement en se tapant sur les cuisses. L'hilarité et la joie était générale, l'attroupement de spectateurs entourait nos "accidentés". Je commentais : "D'où l’expression : être écroulé de rire !" JF surenchérit "ils sont impayable, ceux là tout les fait rire ! non, mais tu vois ça à Paris ?" Ben non ! c'est sûr, j'imaginais très mal une telle euphorie devant une gamelle familiale en pleine rue pour surcharge de scooter. Tout le monde sait que le rire est communicatif, et nous avons, nous aussi, ri aux larmes, nous profitions sans honte de cette scène cocasse, mais nous dûmes attendre que tous les membres de la famille "accidentée" retrouvent leur calme et qu'ils ramassent le pauvre scooter resté sur la chaussée. Nous les vîmes, alors, se remettre en selle mais après avoir dépassé prudemment les deux dos d'ânes à pied en poussant le scooter à la main. Ils étaient toujours aussi rigolards. L'installation de la famille sur leur véhicule découlait d'une expérience certaine, et démontrait une technique bien rodée, cette remise en selle était à n'en pas douter le résultat bien étudié d'une longue habitude et d'un bon entraînement, elle se faisait dans un certain ordre et l'opération pris tout de même pas mal de temps. La circulation évidemment était arrêtée. Au moment où le père remit les gaz et que la famille repartit, un tonnerre d'applaudissement explosa depuis les trottoirs. Était-ce des encouragements ou un remerciement pour le beau spectacle ? Je m'interrogeais encore quand nous reprîmes notre route. Toute la famille sur deux roues, roulait devant nous, mais le chien qui devait avoir un peu perdu confiance, préférait lui courir derrière eux. "Je n'ose pas les doubler " "Non, papa, papa ! s'il te plaît ne les double pas, j'ai peur qu'ils tombent sur nous " Virginie, tout comme le chien n'était pas très rassurée, mais JF après une petite concentration, prit le risque de sa vie et les dépassa mais de très loin, notre voiture les doubla mais en frôlant le trottoir opposé. On n'est jamais assez prudent ! Nous roulions sur la RDO, la Route De l'Ouest depuis une dizaine de minutes, quand un scooter, encore un, mais avec un seul passager cette fois-ci fila debout, droit sur sa roue arrière, , faisant un "willy" nom local du wheeling, nous dépassa à très grande vitesse, le garde boue arrière qui était resté en place frottait sur la chaussée et faisait une trace d'étincelles. "Maman, maman il roule à l'envers" Incroyable, non seulement il roulait sur la roue arrière sur l'autoroute mais il roulait aussi en marche arrière ! Le scooter était debout et reculait à toute allure !!! Et oui, Il nous doublait en marche arrière ! "Le con, il m'a fait peur " s'exclama JF "J'espère que le dieu des fous n'est pas parti en vacances, parce qu'il a du travail ici !!". Le goût du jeu et du défi, était roi sur cette île. Nous arrivions en ville, nous passâmes devant le grand flamboyant près des jardins de l’hôtel "Tahiti" juste là où l'odeur de Ylang-ylang l'emportait sur celle des tipaniers, A l'arrêt des bus les personnes revenues du marché, montaient dans les truck, ces cars très colorés, réservés au transport des personnes. A Tahiti les transports en communs étaient à l'initiative de particuliers. On voyait ces bus ouverts, peints de couleurs vives dénommés ici avec l'accent tahitien, en roulant les "r", le" trrruck". Le transport n'était pas toujours très confortable mais il se faisait comme tout se fait ici, c'est à dire en musique ; Il sortait de chaque véhicule l'incontournable et magique musique, des chants tahitiens, ces merveilles musicales harmonieuses et stimulantes, ces anti-tristesse, anti-déprime, anti-rigueur... Cette musique de paradis qui entre dans l'âme et le corps pour ne plus en sortir. Avant de monter à l'arrière du véhicule, chaque passager revenu du marché, ne pénétrait jamais dans le véhicule avec ses achats et il rangeaient, déposaient son enfilade de poisson, ou les morceaux de bonites dans les deux casiers prévus à cet effet à l'extérieur, de chaque côté de la porte. Les vahinés et leurs "tanes" étaient d'une propreté parfaite et toujours très soignés et coquets, l'odeur du poisson n'était pas compatible avec les fleurs qu'ils portaient sur l'oreille Après avoir suivi le front de mer, nous passions devant le port, la caserne en direction de la sortie de Papeete, puis après avoir traversé la commune de Pirae, nous arrivions à Arue sur le petit chemin menant à la plage. JF gara la voiture sous les grands arbres pins et Aïtos, avec précipitation les enfants descendirent de la voiture et s'égaillèrent rapidement en sautillant vers l'eau et leurs jeux. Devant le haut monument dédié à Bougainville, l'équipe de piroguiers s'affairait sous les Aïtos, ces très grands "arbres de fer", dont les branches de feuillage fin faisaient parfois office de sapin de Noêl au moment des fêtes de fin d'année. On pouvait voir les pirogues, jusque là bien rangées, être tirées sur la plage pour l’entraînement du soir. Les "trois petits" Virginie, Sacha et Florian, suivis comme toujours de Rodéric étaient déjà dans l'eau, quand à Clhoé assise, bien installée sur son paréo, elle reprenait la lecture de son roman. De son côté JF assis sur le sable, carnet ouvert sur les genoux, consultait ses notes et préparait son travail du lendemain en lisant ses notes techniques et ses schémas. Il faudra, demain faire fonctionner la télé, régler tous les émetteurs proches ou lointains ainsi que les installations qu'il mettra en place pour les fêtes sur le territoire. Il travaillait pendant que de mon côté, je m'assis à ses côtés et sortis mon stylo et mes copies. Le bruit des tambours et des chants de l'incontournable groupe de piroguiers et de danseurs qui s’entraînait à une centaine de mètres suspendirent mes honorables intentions. La beauté des femmes, leur aisance dans ces corps bruns, leur appétit de vie; les longues chevelures, la grâce et la joie, tout ce qui émanait d'elles me séduisaient, les vahinés dansaient, chantaient et captaient mon attention. J'étais incapable de détacher mon regard de ce spectacle qui, quoique quotidien, me captivait toujours avec la même intensité. Les pirogues avaient tracé une longue ligne jusqu'aux premiers flots, les "tanes", piroguiers du club local prenaient place pour l'entraînement et ramer. Mon Dieu que ces gens sont beaux ! Ce peuple qui vivait presque nu une grande partie de l'année montrait des corps sains, avec une peau brune et lisse, une peau d'asiatique, peu velue et une belle musculature naturelle, puissante et sans excès. Le créateur, si il est, peut se réjouir de son œuvre. Mes copies sur les genoux, je mastiquai le bout de mon stylo, les oreilles pleines de musique, le corps marquant malgré moi le tempo, je voyais les hanches des femmes s'arrondir en une lente cadence, si sensuelle et lascive, pendant que sur l'eau, tout près, comme une réponse, comme une alliance, comme un secret accord, les gestes arrondis et efficaces des bras puissants des rameurs semblaient leur répondre. Tout était bonheur et harmonie, ici comme partout sur l'ïle, à cette heure de la journée, groupes, associations, clubs ...tous étaient réunis pour faire vivre la coutume et le bonheur affirmé d'être maoris. Les pirogues partaient au large, vers le bleu du ciel sur le vert du lagon, à droite on voyait penché au dessus de l'eau, un cocotier courbé au dessus des eaux, il s'allongeait, presque couché, désireux d'étendre vers le large son long tronc de carte postale. Un peu plus à l'est, juste après Mahina, la passe dans la barrière, s'ouvrait sur l'océan et la houle, elle laissait entrer les vagues de la haute mer et les rouleaux d'écume, la plage de Papenoo agitaient les flots jusqu'ici. Cette plage de Papenoo était fameuse pour les Tahitiens, elle était le Malibu de Tahiti, c'était la plage des surfeurs qui mettaient à profit cette ouverture de la barrière de corail et l'entrée des hautes vagues dans le lagon pour jouer avec les rouleaux qui venaient s'écraser lourdement et bruyamment sur la plage. Je me ressaisis, il me fallait travailler et je me détachai de ce spectacle trop distrayant, je me mis à plat ventre. Le dos tourné à la mer, je me trouvais le visage face à l'île. Devant moi, le vert luisant de la montagne brillait au soleil. Devant mes yeux dominait le plus haut point de l'île, l'Orohena, et juste à côté pointait le sommet si reconnaissable de la montagne du diadème. C'est de ces sommets que descendaient en cascades les petits cours d'eaux tumultueux, les eaux pures et fraîches qui convergeaient vers la côte et qui nourrissaient Papeete, dont le nom Maori signifie, à juste titre "corbeille d'eau douce"(pape ete) Ces hauteurs montagneuses étaient couvertes d'une opulente et généreuse végétation tropicale, de fleurs, de fougères géantes, mais aussi par endroit des incroyables cultures des chinois qui cultivaient sur ces pentes leurs choux et divers légumes. Ces petits lopins de terre étaient reconnaissables entre tous et visibles de loin, ils occupaient des espaces si pentus qu'il paraissait tout à fait impossible de travailler autrement que, encordé. Les tahitiens eux, aimaient trop la vie pour se la rendre aussi pénible en faisant ce genre de culture. Aussi la relation entre les deux peuples était plutôt fraîche. ils se trouvaient les uns et les autres appuyés sur des philosophies opposées. L'ambition des chinois et leur âpreté au travail était vécue comme une agressivité pour des Tahitiens dont le goût pour la vie faisait qu'ils n'étaient pas portés à se la gâcher. Merci, merci la vie. je dégustais mon bonheur, les copies dans le sable. "Maman, maman, tu as vu mon tee-shirt ? " Rodéric était si clair, sa peau de roux si fragile qu'il ne pouvait se baigner que couvert d'un tee-shirt. Je vis que le long maillot de corps de mon petit, après ce séjour dans l'eau, était couvert de grandes tâches brunes, des tâches de bananiers que l'eau avait révélées. "Bravo bonhomme, il est fichu, tu sais que les tâches de bananiers ne partent pas, tu as touché au tronc coupé qui est dans le jardin ? hein ? " "Dis maman, pourquoi papa veut pas garder Gaston ?" Je le regardai sans répondre, oui, il ne faudra pas tarder à trouver une famille à ce chien.
Loriane Lydia Maleville
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