Un cri de douleur, un cri de sauvage retentit à l'autre bout de la table Clhoé tenait, en grimaçant, un de ses seins naissants, puis soudain elle se déchaîna à grands coup de poing sur Matthieu qui assis à côté d'elle affichait un petit air content. "T'es dingue !!! espèce de con !!! mais t'es complètement fou !!!!!!" "Oh ! ça va ! oh! la grande nerveuse ! fais pas d'histoire comme ça, j'voulais juste voir si ça se dégonfle!' Matthieu rigolard se protégeait de sa sœur qui, hors d'elle, continuait de le marteler de ses poings. "Maman ! il m'a planté un coup d'épingle dans la poitrine" La colère, se transformait en larmes. "J'en ai marre de ce pauvre type, crétin tu ferais mieux de travailler tes cours, espèce de cancre, t'as vu ta tête d’imbécile" "Oh la ferme ! ça va, idiote, et toi t'as vu ta hure ? ...." "STOP" J'avais parlé fort avec toute mon autorité mais aussi avec tout mon profond agacement. Les prises de bec de ces deux là commençaient à sérieusement peser sur l'ambiance de la famille. "Si vous continuez comme ça, on ne mangera plus jamais avec vous" Puis consciente que punir l'agressée avec l'agresseur est plus simple mais pas très juste, je rajoutai : "Matthieu, tu as un comportement insupportable pour tous, je préfère croire que tu ne réalises pas ce que tu fais, tu restes ici cet après-midi, pas de plage pour toi" "Papa ...! papa ... c'est papa ...! c'est papa ... ! " Rodéric, sautait sur place, il venait d'entendre le moteur bien reconnaissable de la Suzuki, notre indispensable 4X4, celui réservé aux balades en montagne, aux balades hors de la route et aux traversées de torrents. Petit Rodéric, indifférent aux fréquents accrochages de ses deux aînés était sorti de table en courant pour aller au devant de son père. La table se vidait rapidement. " Venez, eh ! venez il est là le chien" Florian était sous l'escalier et appelait la tribu qui le rejoignit comme un seul homme, excepté Clhoé qui faisait la tête, encore sidérée par l'agression quelque peu misogyne de son frère. Je commençai à desservir la table et je vis la Suzuki venir se garer sous le flamboyant derrière la VW. Quand JF entra dans le jardin, les enfants entouraient Gaston. Le chien n'était pas du tout inquiet, ses yeux brillants regardaient la petite troupe sans montrer d'inquiétude, il ne manifestait aucune trace d'angoisse ou de méfiance. " "Bonjour les enfants, bonjour Chérie ... Mais qu'est-ce que c'est que ce chien ?" "C'est Gaston, c'est un copain de Marcel, il l'a invité à dormir avec lui, maintenant il habite ici " "Ah bon ! et ben moi je te dis qu'il ne va pas habiter ici longtemps, il va renter chez lui " "Papa, pourquoi ?... t'es Méchant, je veux qu'il reste ! pourquoi tu veux pas ?" Rodéric suppliait, il avait un ton geignard et pleurnichait. "Parce qu'on ne peut pas avoir deux chiens, ou alors on ne peut plus partir "aux vacances", pas avec plusieurs chiens à faire garder, et qui va s'occuper de lui hein ?" L'argument avait du poids. Rodéric ne répondit pas, il regardait son père, le chien, puis son père, puis le chien... "On peut pas l'emmener aux vacances ?" "Tu sais bien que non, il faut que Geneviève vienne s'occuper de Marcel c'est déjà bien assez compliqué comme ça, alors c'est non, il va aller habiter ailleurs" "Chérie tu t'en occupes ? " "D'accord, je vais passer une annonce, pour retrouver sa famille" "J’appellerai la radio demain pour passer une annonce et donner ce chien" "N'attends pas, sans ça les enfants vont s'y attacher " "Oui et il faut que je fasse attention à ne pas le donner à un tahitien, je ne voudrais pas qu'il le bouffe, pauvre Gaston !" Cet aspect du problème était en permanence dans mes pensées depuis que nous étions ici, je militais et bataillais contre cette habitude de manger du chien. A cause de cette habitude qui me choquait profondément je n’achetais jamais de nourriture sur le port ou dans les baraques du front de mer. Rodéric était déçu, mais pas question de se priver "des vacances" Ce que Rodéric, et du même coup les autres enfants, appelaient les vacances, étaient un petit fare sur une plage de Moorea, petit fare confortable que nous louions les week-ends et pour les petites vacances, ce paradis faisait partie de leur vie et il n'aurait jamais était question de les en priver. Nous faisions le voyage en passant la voiture sur le bateau, et nous retrouvions toujours dans ce merveilleux lieu de résidence, des amis, des voisins, des élèves. Nous étions toujours assurés de retrouver partout sur l'île comme sur Tahiti, un ou deux amis, une ou deux connaissances. Je découvrais là -bas, le charme de vivre dans une petite communauté, dans une bourgade, et de pouvoir apercevoir à l'improviste un visage connu, j'avais rapidement pris goût à cette vie de village, car cette proximité ajoutée au tutoiement généralisé, en cours dans les îles, rendait les relations simples et amicales. Après ma première vie de parisienne, après mes longues premières années de vie citadine, j'étais habituée à la foule et l'anonymat, jusqu'à ce jour je ne connaissais que cela et voilà que sur ces îles Je ressentais un sentiment nouveau pour moi, inconnu mais précieux, ce sentiment d'appartenance à un groupe. Bien souvent agacée par la carte postale à laquelle beaucoup de tourisme réduisent Tahiti et ses îles, j'avais, loin des lieux communs et des idées reçues, une perception de cette société polynésienne, une vision personnelle fondée, car résultant de mon quotidien. Certes ici comme ailleurs, on peut avoir envie de mourir, on peut y être malheureux ou déséquilibré, on peut aussi comme beaucoup de tahitien être l'esclave de l'alcool, faire de l'excès de "Hinano", la bière locale, être battu ou se battre, on peut souffrir comme partout sur la planète, cependant je pense malgré tout que Tahiti mérite son nom de paradis. Mais là encore il faut pondérer et ne pas attribuer uniquement à la beauté des lieux ce mérite. Non ! ce sentiment que j'éprouvais de vivre au paradis n'était pas la conséquence du climat tropical, cette jouissance dans le quotidien ne devait rien à la présence des cocotiers, du lagon ou de la beauté stupéfiante du paysage, non, ce n'était pas là qu'il fallait aller chercher l'attrait de ces lieux. Puisqu'il faut bien en convenir, des lieux superbes il en est partout sur la planète. Non, à mes yeux la beauté de ce que j'appelle un eden Tahitien est dû aux tahitiens eu-mêmes, à leur art de vivre, à leur philosophie. Et avant tout à leur absence d'ambition sociale, qui rend les relations, simples, franches sans fard et exemptes de compétition inutile. Le "lâcher prise" eux, l'ont toujours pratiqué, et j'ai découvert un peuple sain, mais aussi et surtout j'ai découvert un peuple qui vit dans, et, avec la nature, un peuple d'artistes. Car sur ces îles, qui ne chante pas, danse, qui ne danse pas, sculpte, qui ne sculpte pas, peint, qui ne peint pas, poli les coquillages, qui ne polit pas les coquillages fait des colliers, des couronnes, des chapeaux de fleurs, fabrique des mapas, (ses tissus de fibres tressées), fait des bijoux, cultive les perles, le nacre, fabrique des sacs tressés, des peues, des pareus peinis, des corbeilles de pandanus tressés, des tifaifais de couleurs vives pour la maison, des meubles de bois, des statues, raconte des histoires, des légendes, fait des tatouages, fabrique encore des pirogues à balanciers ...etc... etc ... Toutes raisons gardées et sans tomber dans l'excès il n'empêche que l'image de paradis terrestre n'est pas usurpée. Chacun là -bas est artiste, ou artisan, chacun crée, et la vie de chaque jour est un art. Du moins il en était ainsi. "Allez vite ! allez ! à la plage, tout le monde en voiture, dépêchez vous, il est déjà tard, vous ne pourrez pas vous baigner longtemps " Les après-midis sous les tropiques sont courtes, à dix sept heures quarante cinq, il fait plein jour, à dix huit heures il fait nuit noire. Les enfants le savaient si bien qu' il y eut une cavalcade joyeuse et tous montèrent, sans perdre un instant, debout à l'arrière du 4X4. "Et Matthieu, il ne vient pas ?" "Non, il est puni je t'expliquerai".
Loriane Lydia Maleville
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