L'arrivant
Je ne pensais pas m'habituer aussi vite à conduire une voiture automatique, mais ce type de véhicule en définitive, était certainement l'idéal pour moi, moi qui passais plus de temps à regarder le paysage qu'à m’intéresser à la conduite elle même, ou du moins qui conduisait le plus souvent avec automatisme. Sur la banquette arrière Rodéric grognait : "maman j'ai faim " "Oui mon cow-boy chéri, on arrive". Depuis que nous avions quitté la RDO (route de dégagement de l'Ouest) nous grimpions la route en lacet et qui menait dans les hauts de Pamataï. "Bing bang" et "Bing bang" annonça la petite voix de mon petit bonhomme. Rodéric ne ratait jamais l'occasion de commenter de cette façon notre passage sur les deux hauts "gendarmes couchés" qui étaient chargés de ralentir la circulation à l'approche du centre scolaire de Pamataï. Moi aussi j'avais faim, il était plus de 13H 30 et l'école, comme chaque jour était terminée pour la journée. Elle ne rouvrirait que demain à 7H. Après mes cours au collège du Taone j'étais passée à l'école maternelle, prendre Rodéric, mon petit bonhomme de deux ans et demi. Les "trois petits", Florian, Sacha et Virginie, avaient pris l'habitude de remonter à la maison à pied. A dix, onze et douze ans, la montée n'était pas encore pénible pour leurs jeunes jambes et tous les trois faisaient chaque jour, ce chemin sans peine en bavardant et en riant, pendant que les deux aînés, Matthieu et Clhoé à dix sept et quinze ans avaient, eux, le privilège de leur âge et se transportaient en mobylette pour remonter à la maison. Tous, aimaient traverser le long cimetière de l'Uranie qui prenait naissance en ville près du stade Bambridge c'est à dire tout près de l'école de Tipaerui et du Lycée Gauguin, pour venir finir tout en haut de la colline au pied de notre grille de jardin régulièrement arrosée des odorants pétales roses et blancs de frangipaniers qui longeaient la longue grille qui nous séparait du plus haut niveau du cimetière.. Les tombes une à une escaladaient la colline, montaient de paliers en paliers fleuris et parfumés, où chaque concession était un jardin débordant de couleurs et allait à l'assaut des hauts de Pamataï. Depuis ce sommet on dominait Papeete et le port, mais aussi le panorama offrait à l'est une vue parfaite sur Moorea qui dessinait sa silhouette sur le bleu profond du pacifique. Ça et là entre les sépultures et les jolies chapelles restaient quelques grands espaces vierges. Dans ces lieux sauvages poussaient libres, les entêtants lantanas, les fougères arborescentes, les odorants arbustes de goyaviers sauvages, des bananiers qui pouvaient être coupés par les passants, les papayers, et surtout les grands manguiers qui nous abritaient et offraient leur ombre bienfaisante au marcheur qui grimpait la pente. Ces grands arbres offraient de surcroît leurs délicieux fruits, c'était un petit plaisir gourmand donné aux visiteurs du cimetière. Il suffisait pour se restaurer de tendre le bras ou de se baisser. Il était même possible de se montrer exigeant et de choisir sa variété de mangues préférées. Ce paradis venait s'arrêter au pied de la maison derrière une grille dissimulée par la rangée de tipaniers qui distillaient leurs entêtants parfums dans les alizés et enchantaient tout l'environnement. La route destinée aux véhicules, elle, ignorait ce charmant raccourci pédestre et après avoir contourné la colline jusqu'à la commune de Faaa, gravissait l'arrière du mont pour arriver sur le haut et par un dernier détour elle nous amenait face à la partie haute du cimetière. Nous approchions de la maison, encore un tournant à gauche, et encore juste quelques virages plus doux, et nous voici arrivés. Le chemin était creusé de trous, ravagé par les ruissellements violents de la dernière saison des pluies. La voiture longeait maintenant les propriétés des voisins bordées de haies d'hibiscus, de faux caféiers et de bougainvilliers, de monettes jaunes, de jasmin ...puis au fond de l'impasse apparaissaient les tipaniers bordant le cimetière et qui fermaient la route. Arrivée devant la grille, avant de faire le demi tour habituel, je m'arrêtai rituellement devant la maison pour me régaler du panorama dont je ne me lassais pas. Sous mes yeux toujours pareillement éblouis depuis des années, là juste derrière les fleurs en bouquet, une immense prairie couvrait le haut de la colline, des manguiers, un ou deux mapes et des ylang-ylang poussaient ici et là , plus loin jusqu'à l'arrondi de l'horizon, le bleu de l'océan était griffé de quelques écumes blanches, et de plusieurs voiliers. On voyait de loin en loin des "un mat" ou des "deux mats" qui se poursuivaient comme des enfants qui jouent. Puis, là , plus près sous nos yeux le port de Papeete s'étalait au soleil, alors que sur la gauche, Moorea découpait le ciel de son profil de hautes montagnes mystérieuses si reconnaissables. "Maman j'ai faim " 'Oui, oui moi aussi" L'émerveillement, les instants de méditation et de songe profond seront pour plus tard, le ventre de mon petit réclamait sa pitance. Je garai la voiture sous l’impressionnant flamboyant, aussi grand qu'un immeuble, à la saison chaude. cet arbre fabuleux transformait notre chemin en une allée sanglante de pétales écarlates, comme mille bijoux rubis, mais pour le moment, la saison sèche le rendait plus sage et donc il avait pour un temps cesser de perdre ses fleurs. Rodéric était déjà sorti de la voiture et ouvrait la grille, Marcel, le chien était comme de coutume, accouru pour lui faire la fête, l'enfant et le chien se faisaient des manières à n'en plus finir. Marcel était un berger belge roux de très haute taille et Rodéric du haut de ses 2 ans et demi, avait fait souvent des roulé-boulés, heureusement sans conséquences fâcheuses, en jouant avec ce gentil géant parfois involontairement brutal. Comme tous les habitants de Tahiti nous habitions la maison de notre chien, c'est à dire que chaque maison sur l'île, a son chien que le futur habitant, qu'il soit locataire ou propriétaire devra adopter. Nul ne peut venir à Tahiti sans avoir laissé six mois en quarantaine son animal, ce qui décourage de venir avec lui et favorise le maintien et le contrôle de la population autochtone féline et canine, sur l’île. Nous avions découvert que l'on ne vient pas en Polynésie avec son chien on habite chez celui qui est déjà dans la maison, c'est comme ça, et c'est bien. Sous la pression du chien et de Rodéric la grille s'était ouverte en grand, je la refermai donc avant qu'elle ne claque. Le chemin était bordé de fleurs et je regardai le tiaré planté sur la pelouse, à l''avant droit du jardin. Ma gloutonnerie de plantes et de fleurs avait déjà rempli tout l'espace. "Ne plante pas de tiare chez toi, c'est trop haut, là -haut il ne peut pas prendre, il ne poussera pas, ils ne se plaisent que prés de la côte." m'avait-on dit, dit et redit. Mais cet argument sensé ne m'avait pas retenu longtemps, et force m'avait était de constater que ma plantation ne prenait pas. L'arbuste planté survivait tristement conservant quelques feuilles sans éclat, tristes et timides. Mais, je voulais absolument des fleurs, aussi avec entêtement, et après avoir sérieusement engueulé et menacé ce pauvre arbuste : "je te préviens, si tu ne prends pas je te balance à la poubelle, voilà tu n'auras pas tout gagné ! ", j'ai pris le chemin de la raison et je suis passé à une méthode plus douce. J'ai tenté tout simplement avec une tendre hypocrisie, de le tromper. Ma méthode était simple, Je pensais pouvoir lui faire oublier où il se trouvait et je l'ai traîtreusement entouré de sable pris plus bas à la plage, de beaucoup de sable mais aussi de coquillages et encore de coquillages ... en quantité. Vous vous moquez ? Et bien sachez que celui qui rit est un âne, car cela a très bien fonctionné, et oui ! Car voici que j'ai eu, au bout d'un certain temps, il faut le dire, un magnifique buisson de tiare tout fleuri qui a stupéfait tous les amis. Oh! oui, il ne s'agit pas d'un miracle mais il avait probablement la nourriture qu'il lui convenait avec cette simili plage reconstituée. En passant devant le garage ouvert, je vis le régime de bananes que le jardinier venait de couper. Je râlai, oh! zut ! toutes ces bananes d'un seul coup, 50 Kg de fruits qui vont mûrir tous ensemble, c'est vraiment emmerdant ! il faudra que je les distribue autour de moi. Au passage j'en détachai une main pour manger tout de suite. Je m'arrêtai devant l'escalier, je saluai mes plantes, nous étions en saison sèche et plus froide, la température pouvait descendre jusqu'à 18°. Les poinsettias étaient en pleine floraison, il y avait les fameux rouges, les plus connus, mais aussi des roses, des blancs, et des jaunes, à côtés d'eux les hauts opuhis offraient leurs hautes fleurs en forme de flammes, droites comme des cierges roses et rouges; tout autour les crotons faisaient briller leurs feuilles oranges, jaunes et rouges, et auprès d'eux des autis au feuillage coloré montaient sur leurs longues tiges droites vers la terrasse d'où pendaient le jasmin et les monettes à grosses fleurs jaunes. Le pied sur la première marche de l'escalier qui montait à la terrasse je m'arrêtai comme toujours pour regarder, admirer avec tendresse le gros manguier devant la maison, car ce très gros arbre abritait une partie précieuse de mes plantations, mes trésors. En effet chacune de ses branches portaient des cheveux de sorcière, une liane fine et légère comme une mousse qui pendulait lentement, doucettement, au souffle des alizés comme des cheveux. Mais aussi et surtout chaque branche portait mes chères, mes très chères orchidées qui descendaient rejoindre celles plantées au sol dans un lit de coprah, de bourre, et de coques de noix de coco, et qui, elles tendaient leurs fleurs merveilleuses vers l'arbre. j'appelai "Rodéric, tu viens ? " Pas de réponse mais j'entendis un bruit de chahut bizarre. "Rodéric où es-tu ? qu'est-ce que tu fiches ? je croyais que tu avais faim ! " Toujours pas de réponse mais ce bruit lointain et étouffé de rire et de bousculade. Je fis demi-tour, intriguée, où était ce petit ? Guidée par le bruit je me dirigeais sous l'escalier; " Mais qu'est-ce que tu fous là -dessous ?" Il y avait là un tout petit espace sombre et vide, enfin vide je le croyais jusqu'à ce que j'attrape mon petit Rodéric par le bras pour le faire reculer et que je découvre dans le noir deux yeux brillants. La stupeur dépassée, mes yeux distinguèrent une pelote de poils noirs et frisés, une truffe curieuse et ce regard interrogateur. "C'est un copain" m'annonça Rodéric " Ben tiens, mais comment tu l'as vu toi hein ? parce qu'il était bien caché là " Je tendis une main prudente en parlant d'une voix douce à l'invité surprise, nous n'avions pas été présentés et il n'était pas question de me faire avaler la main. Une petite léchouille me rassura. Bon il ne mord pas. Je décidais donc de faire un peu plus connaissance et tout en lui caressant le flanc, je l'attirais en pleine lumière en le tirant par une patte. Notre nouveau copain était noir comme un boulet de charbon et frisé comme un mouton, c'était un caniche. "Bonjour toi, tu viens d'où ? Marcel est d'accord ?" "Oui, maman quand on est arrivé Marcel était couché avec lui, il est d'accord, c'est son copain " "Ah bon ! ben si maintenant Marcel invite des copains sans nous le dire !!" " Dis maman comment il s'appelle ?" " Ben !! euh ... ? euh !!... ? " "...Gaston, oui c'est ça, je crois qu'il s'appelle Gaston" "Attends Gaston , je vais revenir, maman j'ai faim" "Je sens que ça va plaire à ton père ça ! bon allez viens manger"
Loriane Lydia Maleville
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