‘’IL’’, père, grand-père, arrière-grand-père, arrière -arrière grand-père, il était le chef d’une grande tribu familiale de près d’une centaine de personnes. Pas vraiment le chef, mais le repère, le guide celui qui donne une cohérence à un groupe, une sorte de référence, et dont sa vie témoigne du caractère exemplaire de son parcours. En Afrique, on a coutume de dire que lorsqu’un ancien meurt c’est une bibliothèque qui disparaît. Pourtant dans sa famille, certains ignorent tant de détails significatifs de sa vie. Il est des choses dont cette génération ne parlait pas, par pudeur, par décence, par discrétion plus simplement. Sa vie ? Une vie longue, une vie riche de presque 100 ans, une vie de labeur et de sueur mais toujours teintée de discrétion et de noblesse.
Ayant perdu sa mère très tôt, cette absence d’amour maternel l’a beaucoup marqué, il en parlait souvent, et de plus en plus à l’approche du départ inéluctable, comme pour rappeler combien elle lui avait fait défaut. Pour combler ce manque, son principal objectif fut de fonder une grande et une vraie famille. De ce point de vue, il a pleinement réalisé son projet grâce notamment à cette merveilleuse épouse qu’était Lucienne. Lucienne, une véritable sainte femme au sens profane du terme, donnant toujours l’impression d’être en retrait, mais sur laquelle chacun des membres de cette belle famille savait pouvoir s’appuyer dans les instants les plus difficiles. Il fit des études au petit séminaire où on lui enseigna notamment le latin et de grec. Des matières qu’il n’oublia jamais et qui lui permettaient de remettre certains égarés du vocabulaire dans le droit chemin de la sémantique française. Dans ce domaine, il manifestait peu de tolérance et pester régulièrement contre ceux pratiquant de manière approximative la langue de Molière. Témoins, ces poèmes qu’il écrivait et énonçait à l’occasion de manifestations familiales ou amicales, en prévenant: ’’ j’ai griffonné un petit truc’’
Pour des raisons déjà évoquées il fut contraint à 14 ans de quitter sa famille. Et s’il a choisi le métier de boucher, c’était pour une raison simple, liée à la dureté du temps : « c’est parce qu’on n’y était logé et nourri comme apprenti » et à cette époque c’étai là l’essentiel. À ses 18 ans, c’est la seconde guerre mondiale qui éclate et qui prive de jeunesse nombre de jeunes hommes comme lui. Il s’engage de manière volontaire évidemment, pour lutter contre l’ennemi et cela pour la durée de la guerre dont personne ne pouvait en connaitre la durée. Pour la France la défaite est rapide, les choix sont alors clairs : courber l’échine, voire se mettre au service des Allemands ou prendre le maquis. Il prit naturellement le maquis sans, bien des années plus tard, en vouloir tirer le moindre éloge, sans d’ailleurs beaucoup l’évoquer, toujours cette pudeur de ne pas se positionner en héros !!et pourtant, les hommes de cette trempe pouvaient revendiquer ce qualificatif.
Pendant tout ce temps, il perd évidemment emploi et revenu. Après la guerre il devient secrétaire de l’association des réfractaires maquisards, il est décoré à ce titre, mais refusa toujours de porter cette décoration. Dans les années 50, il prend en gérance une boucherie, la célèbre boucherie René située aux 113 de la rue Colbert et dont il devient rapidement propriétaire. Il fait prospérer son commerce et dans le même temps s’investit dans la prise en charge des intérêts de ses collègues commerçants. Il est même nommé pour les représenter à la chambre du commerce. Après l’engagement patriotique, syndical, associatif, c’est l'engagement sportif. Il est fondateur du club de football, le CEST, dont il en devient président. Par la suite il crée un autre club, Omnisport, nommé : le CORT dont le siège est à l’église Ste Thérèse à Tours. Pour son investissement dans ces derniers domaines, on lui décerne la médaille du mérite sportif qu’il refusera aussi toujours de porter (comme sa médaille militaire). Non par mépris des institutions, mais parce qu’il considérait qu’il était vain pour lui de s’afficher et cela dans tous les domaines y compris en matière de réussite matérielle. Témoin cette phrase qu’il aimait à répéter et qui rend compte de sa philosophie : « si tu n’as rien pourquoi faire semblant d’être riche, inversement si tu as réussi pourquoi l’afficher, toi, tu le sais, et cela suffit ! ». Des paroles d’une grande sagesse. Par parenthèse, il aurait bien eu du mal à accrocher ses mérites et ses médailles à la veste de son costume puisqu’au cours de sa vie il n’a pratiquement jamais porté de costume et même de manteau. Le seul manteau qu’il possédait avait été acheté avec sa prime de démobilisation, au sortit de la guerre, il y a environ 70 ans. Il poussait parfois la sagesse vestimentaire jusqu’à l’excès en s’habillant de sa seule cote de travail même pour recevoir invités, famille ou même des personnalités. Une attitude qui agaçait au plus haut point Lucienne. Une manière pour lui de traduire en pratique la sagesse dont il était porteur même s’il faut bien convenir qu’il y avait de sa part parfois un brin de provocation. Cela sans doute pour montrer que la distinction ne se porte pas à l’extérieur mais à l’intérieur, lui qui était simple, engagé et généreux. Sa famille et ses nombreux amis peuvent en témoigner, notamment ses amis ceux du fameux club des k, association informelle créée il y a environ 60 ans avec ses meilleurs copains et dont l’objet est de pratiquer l’amitié notamment lors de repas rituels dans la cave de Mont-Louis. Le club des K en clair le « club des connards », qui ne l’étaient pas bien entendu, mais qui entendaient par cette appellation dénoncer aussi par la dérision la vanité des apparences ; ainsi mettre en valeur les vraies valeurs qui fondent une société : la simplicité, la générosité, l’amitié tout simplement.
Parallèlement à ses activités professionnelles à ses engagements il cultivait quelques hobbies. La lecture, l’écriture, les mots croisés. C’était aussi un redoutable pamphlétaire qui de temps en temps adressait à la nouvelle république, journal local, le fruit de ses pensées et de ses révoltes. Il aimait aussi le jardinage et sa passion pour la culture des dahlias était connue, ces superbes fleurs dont il connaissait le nom de chacune d’entre elle. Il pratiquait aussi la pêche, mais comme le reste avec passion et de manière presque scientifique. En fabriquant lui-même ses plumes et en affûtant ses hameçons. Bref comme pour toutes ses activités mêmes les plus anodines il recherchait l’excellence, parfois jusqu’à l’excès et aussi avec une certaine intolérance pour la médiocrité. Pour tout dire il était un grand bonhomme mais pas toujours facile. Bref c’était un homme, avec ses qualités mais comme tout homme aussi avec ses défauts. De ce point de vue il était très représentatif de cette génération élevée dans la rigueur, le travail et le sens du collectif. Il va manquer à sa famille mais il leur a transmis l’essentiel, le seul patrimoine qu’il possédait : la générosité, l’engagement et la simplicité. Merci à lui et à son épouse Lucienne pour cet héritage.
‘’IL’’, était mon Papa, parti retrouver, en ce maudit jour du 13 novembre 2015, Lucienne ma maman qui l’attendait depuis une dizaine année, assise sur l’arc en ciel de la bonté, de la gentillesse et de la bienveillance………..
Merci à mon frère Gaston, pour ce ''raccourci-hommage'' de la vie de notre papa.
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