Pour résumer : Scientifique mandaté par l’ordre religieux du Shahuva, le professeur Walden et son assistante Amanda Johns recueillent des données de monde en monde sur le vivant au 150ème siècle. Khatora, petite planète excentrée du Sud de la Galaxie recelant une extraordinaire mine d’uranium est une mission de routine. L’équipe scientifique se rend rapidement compte que la radioactivité ambiante aurait dû provoquer la mort de tous les habitants qui sont pourtant bel et bien vivants. Une série d’évènements inquiétants convainquent Walden et Amanda de l’anormalité de leur situation. D’autant que Walden reçoit de mystérieux messages télépathiques. Amanda rappelle Réagon son amant et pilote de vaisseaux stellaires, à la rescousse. Après un survole de la planète, il ne tarde pas à découvrir une usine de clonage humain.
Un mois standard avait passé depuis la découverte de l’usine de clonage. Walden avait dit qu’il ne fallait pas agir tout de suite mais qu’il fallait recueillir suffisamment de preuves. Johns et lui continuaient à travailler sans relâche au laboratoire en essayant d’éveiller le moins possible les soupçons. A sa série de tests ordinaires, Walden avait ajouté une batterie d’autres examens. Il n’avait pas été long à mettre au point une méthode de détection très fiable en observant la dégénérescence de certaines cellules afin de déterminer quels individus avaient été clonés et combien de fois ils l’avaient été.
Le résultat était édifiant : le même individu pouvait avoir être re-cloné jusqu’à plus de dix fois. Quasiment toute la population, à part peut-être quelques enfants qui représentaient certainement le réservoir génétique de la prochaine génération, était photocopiée, reprographiée, régénérée à l’infini.
A l’époque de l’empire réformé (période des grandes Chartes et des grands textes de loi dont on ne se lassait pas d’être nostalgique), le clonage avait suffisamment fait de ravage pour que l’empereur lui-même ne signât l’arrêt de mort de tous les patrons de firmes impliqués dans la duplication à grande échelle du patrimoine humain. C’est à partir de cette époque que l’on avait mis en œuvre d’immenses cartographies génétiques et que l’on délivrait très officiellement des permis de procréation…
Néanmoins l’empire était trop étendu et les zones de non-droit trop vastes. Désormais, on pouvait faire à peu près ce que l’on voulait en dehors des mondes hyper-civilisés.
Ce qui était merveilleux dans l’horreur, et dont Walden s’extasiait chaque jour, c’est que le clonage avait fait d’énormes progrès sur Khatora. Le mécanisme de dégénérescence était quasiment maitrisé, il n’atteignait désormais que certains organes limités comme le foie et les reins. Personne n’aurait pu s’en rendre compte à moins de savoir où chercher…
Walden semblait comme absorbé par les merveilleuses découvertes qu’il faisait. Plus le temps passait et plus il était fasciné. Il taisait à Johns les messages télépathiques qu’il recevait désormais quotidiennement. Il y était toujours question d’une sourde menace concernant le Sémalia-phora. Sans s’en rendre compte, Walden s’était mis à questionner ces différentes voix. Parfois elles lui répondaient. Un dialogue intérieur s’était instauré insidieusement. - Qui êtes-vous ? Avait franchement demandé le jeune chercheur.
- Nous sommes la voix des âmes de l’ancienne Mars. Répondirent les voix.
Walden avait pris acte sans demander son reste.
On avait assigné à Réagon la tâche fort nécessaire de découvrir où se trouvaient les charniers humains - ossuaires des précédentes versions de Khatorans qui n’auraient pas survécu à l’uranium. Ils devaient être des millions et ne seraient pas si faciles à faire disparaître, contrairement à l’usine de clonage humain qu’une équipe de démontage bien organisée pouvaient faire désintégrer en l’espace d’une nuit.
Toujours sous couvert de transports de matières premières, Réagon sondait à distance le sous sol de la planète. En un mois de recherches méticuleuses, il n’avait rien trouvé.
Khatora aurait pu être belle. Belle est prospère. De cette prospérité agricole et simple que les mondes sans ressources savent offrir. Le premier continent en forme d’enclume s’évasait vers un sud verdoyant au niveau des tropiques. Les forêts issues de la terraformation avaient repris leur exubérance sauvage et primitive. Végétation sans prédation puisque l’on avait guère implanté d’animaux. Les larges plages de sable fin qui prolongeaient le continent se doraient au contact d’océans abyssaux que l’on n’avait pas jugé nécessaire de peupler de poissons…
Le second continent qui n’était guère plus qu’une grosse ile quasiment reliée au continent-enclume par un écheveau de gros atolls coralliens était l’image même de la désolation : un gros tas de caillou au pelage ras et battu par les vents.
Tel l’artiste qui jette une ébauche sans intérêt, on avait abandonné Khatora au beau milieu du processus de terraformation. Dès qu’on avait trouvé l’uranium, on avait stoppé là toute autre forme de développement. Khatora était une planète avortée dès sa création, suspendue entre la naissance et la mort.
Malgré cette intime tristesse qui accompagnait chaque rotation de la planète, Réagon s’était construit sa routine, prenant goût à cette vie comme il aimait le repos après un effort intense. En un mois, le temps s’était comme ralenti, étuvé, tropicalisé. Presque Réagon s’imaginait-il à vie prospecteur d’introuvables ossements et transporteur de marchandises à mi-temps. Tout cela entrecoupé de rendez-vous clandestins avec Amanda au spatioport… Cette vie n’était pas si mauvaise…
Un matin pourtant, sans raison, Réagon se réveilla de lui-même et prit pleinement conscience de la folie sourde et de l’engourdissement dans lequel ils s’enfermaient tous. Il convoqua en vitesse Amanda et Walden au sein de son vaisseau. Trainant la patte et rechignant à différer ses recherches, Walden accepta tout de même de se présenter. Voilà un mois que Réagon ne l’avait pas vu.
Walden avait une flamme totalement démente dans le regard. Quelque chose de vraiment très malsain. Réagon sentit une suée froide lui couler le long du dos. A présent qu’il ouvrait les yeux, il se sentait atrocement conscient de la lente dérive du professeur « il faut bien que quelqu’un soit raisonnable pour tous les autres, songea-t-il ». Il démarra son vaisseau et se plaça en orbite géostationnaire, dans un effort symbolique pour les arracher à la puissante attraction de cette planète. Puis il laissa Dina prendre les commandes. Très posément il installa Walden et Amanda dans la grande salle des commandes du vaisseau et leur servit un lait de soja chaud, épais et bien nourrissant. Enfin, il se plaça devant eux.
- Putain de Dieu-Shahuva-de-merde ! Explosa-t-il. Voilà un mois qu’on sait tout ce qui se passe ici ! Et on est là à faire nos petites affaires et à compter les morts et les presque-vivants ! Putain ! On se complait dans un tas d’excrément ! Mais Walden, agis, bon sang ! Il faut envoyer un message à toute la communauté scientifique ! Il faut rameuter l’empereur ! Il faut ramener les juges du Haut Conseil !
- Mais cesse donc de crier ! hurla Amanda. Que veux-tu que Walden fasse ? Il est comme toi et moi ! On fait ce qu’on peut dans un contexte difficile…
- Il n’est pas comme toi et moi ! Beugla Réagon encore plus fort. Il a des contacts que tu ne soupçonnes même pas ! J’ai fait l’armée, moi ! Je sais qui est le big-boss de l’armée coalisée du centre. Demande-lui qui est le Haut Général de l’armée du centre! Vas-y demande-lui !
- C’est mon père… Avoua Walden d’un ton amère. Mon père est un chef d’armée. C’est vrai. Et alors ? Que crois-tu qu’il puisse faire ? Il n’œuvre pas dans ce secteur. Il ne va pas entrer en guerre contre le bras sud de la galaxie au nom d’une minuscule planète qui ravitaille tout le monde en précieux combustible !
- Mais pincez-moi, je rêve ! Brailla Réagon. On ne parle pas de géopolitique ! On ne parle pas d’une minuscule planète au milieu de nulle part ! On parle de millions d’êtres humains ! De braves gens qui ont un cœur et un esprit, comme n’importe qui issu de Planète Mère. Le premier article des Chartes de l’empire ne dit-il pas : « moi, empereur, je suis garant de vos vies, de toutes vos vies humaines…
- … Et chaque Vie m’est précieuse ! » Compléta Amanda qui se sentait gagnée par les arguments de Réagon.
Walden chancela et se laissa tomber comme un sac sur un coussin d’air.
- Nous n’avons que des preuves indirectes… Personne ne nous croira… Gémit-il faiblement
Réagon lança un coup d’œil très éloquent à Amanda. Elle acquiesça à l’oblique. Réagon envoya une beigne violente à Walden. Il s’effondra et tomba dans le coma.
- Repos total pendant quelques semaines ! Décréta Réagon tandis qu’il trainait Walden vers un bassin de cryogénie.
« A présent, on va voir son paternel et on va demander des secours ». Amanda soupira.
- Je n’aime pas tes méthodes !
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