Pour résumer : Scientifique mandaté par l’ordre religieux du Shahuva, le professeur Walden et son assistante Amanda Johns recueillent des données de monde en monde sur le vivant au 150ème siècle. Khatora, petite planète excentrée du Sud de la Galaxie recelant une extraordinaire mine d’uranium aurait dû être une mission de routine. L’équipe scientifique se rend rapidement compte que les chiffres sont truqués et que la radioactivité ambiante aurait dû provoquer la mort de tous les habitants qui sont pourtant bel et bien vivants. Une série d’évènements inquiétant dont la mort de leur employeur ou la rencontre avec l’énigmatique Stéphanius, magnat de l’Uranium, convainquent Walden et Amanda de l’anormalité de leur situation. D’autant que Walden reçoit de mystérieux messages télépathiques l’exhortant de se méfier des détenteurs du Sémalia-Phora…
« J’espère que tu t’amuses bien avec ton convoi de gens fortunés… Coupure du réseau sur Khatora. J’ai soudoyé un transporteur d’uranium pour te transmettre mon holo-message. Ici ? Comment te dire ? ‘Il y a quelque chose de pourri dans le royaume de Danemark’ aurait dit poétiquement Walden en paraphrasant un auteur refroidi depuis longtemps. Moi, je te dirais plus simplement : c’est la merde sur Khatora et nous avons besoin d’aide… »
Une semaine plus tard, Dina, vaisseau interstellaire de troisième main mais doté d’un pilote de première catégorie, effectuait un élégant atterrissage sur la surface caoutchouteuse du tarmac de Khatora.
En début d’après midi, tandis que les gros convoyeurs d’uranium effectuaient leur énième rotation vers Exodus, le spatioport était curieusement vide et désolé et faisait penser au dernier endroit de l’univers, l’antichambre de plouc-city, au cœur du farwest. Amanda attendit patiemment alors qu’on indiquait au vaisseau son hangar de stationnement. Elle attendit encore tandis que Réagon remplissait les formalités administratives et s’acquittait de la taxe aéroportuaire.
Enfin, elle le vit apparaître de sa haute et imposante stature. Réprimant un élan qui l’aurait poussée à se jeter dans ses bras, elle se contenta d’un simple contact paume contre paume comme c’était l’usage dans le sud de la galaxie.
- Merci d’être venue. Murmura-t-elle. - Tu me rembourseras les taxes aéro… Bougonna-t-il. - Tu as fait bon voyage ? - Pluie de météorites, modification de trajectoire d’un demi-parsec, surconsommation d’uranium, Dina a souffert pendant la torsion du subespace… - J’aurais bien fait l’amour, mais tu ne sembles pas particulièrement en forme… - Tu plaisantes, j’espère ! En forme ou pas, Réagon garantit toujours la bagatelle ! - Bien… Je t’ai pris une chambre dans un motel vraiment sordide dans le bidonzone d’Oronia, mais on fera abstraction du décor.
Une heure plus tard, Réagon admirait paresseusement la chute de rein d’Amanda, alors qu’elle se rhabillait sans hâte en ce cinq à sept du bout du monde. Les gros nuages s’amoncelaient derrière une fenêtre fine et opaque comme du papier huilé annonçant le déluge quotidien et d’épaisses gouttes prématurées entamaient déjà une symphonie sonore sur une toiture de simple tôle ondulée. Il se disait qu’il n’avait jamais vécu une telle constance de sentiment pour personne. Cet attachement comblait un grand vide émotionnel et le plongeait dans des abimes d’incompréhension.
- Je vais chercher Walden et nous t’expliquerons la situation en long en large et en travers. On se retrouve au bar du spatioport dans une demi-heure.
Réagon n’aimait pas trop Walden. Cela avait surement à voir avec leur rivalité vis-à -vis d’Amanda, mais pas que. Réagon le trouvait fat et maniéré. Walden en remontrait tout le temps avec sa soi-disant culture. Ses citations d’auteurs anciens n’avaient certainement pas d’autre but que de mettre l’interlocuteur mal à l’aise. Néanmoins Réagon se sentit tout à fait consterné quand il vit le professeur très amaigri, l’œil cerné et le teint cireux.
- Arrête de me regardez comme ça ! Je n’ai rien ! J’ai passé un check-up complet dans mon propre labo. - Oui… Excuse-moi d’être surpris… T’as quand même une tronche de macabéen bien avancé. - C’est à cause des messages télépathiques qu’il reçoit la nuit. Il n’en dort plus ! Intervint Amanda avec un air de mère poule attendrie.
Walden se lança avec frénésie dans le récit de ces derniers mois et de son lot d’expériences hallucinantes : le mystère de la santé des Khatorans, l’énigmatique rencontre avec Stéphanius grand manitou de l’uranium et ses très authentiques dérogations aux chartes de l’empire, l’inopinée panne du réseau, le dérangeant contact télépathique, l’inquiétant message concernant le Sémalia-Phora… Amanda rajouta au tableau sa vision subite d’une piste d’atterrissage au milieu de nulle part. Elle ne savait pas pourquoi, mais elle tenait à ce détail.
- En temps ordinaire, lorsque nous sommes confrontés à une situation qui nous dépasse, nous contactons le culte de Shahuva. C’est notre employeur et il a le bras assez long pour nous tirer de l’ornière. Mais… Le grand maitre de Shahuva est mort. Les agents du culte locaux sont devenus fébriles… Nous hésitons à demander leur assistance faute de connaître leur position.
Réagon hocha la tête et se plongea dans une intense réflexion.
- Quand j’ai quitté les maisons de correction, j’ai fait huit ans d’armée. C’est ce que font pas mal de jeunes sans le sou et qui veulent se payer un avenir… Bref, il n’y a pas de conflit majeur dans l’empire depuis presque trois siècles et les armées coalisées font surtout de l’entrainement, du maniement d’arme et des missions d’utilité publique. A ce titre, j’ai participé à plusieurs campagnes d’ « assainissement » qui consistaient à balancer du Sémalia-Phora sur des planètes plus ou moins dépeuplées pour la circonstance.
Réagon marqua une pause, se replongeant dans ses souvenirs déflagrés.
« Le Sémalia-Phora est la pire cochonnerie que l’homme ait jamais inventée. Je le dis avec beaucoup de certitude. A l’origine, on a inventé cette substance pour se débarrasser des miasmes inquiétants de la vie extraterrestre et faire ainsi place nette avant la colonisation humaine. L’Homme aime recréer son environnement humain, où qu’il aille dans l’univers… Pas de place pour autre chose que la précieuse vie humaine. L’Homme cultive ses plantes à lui et élève ses animaux tous importés de Planète Mère. Soit, c’est une chose que tout le monde admet… Mais parfois la vie extraterrestre a d’étranges résurgences. On ne sait pas trop d’où ça vient, mais c’est chose assez fréquente de découvrir des bactéries, des amibes, des mycètes et toutes sortes de « présences » non terriennes qui font froid dans le dos. C’est pourquoi l’armée a toujours à portée de chaque planète une ou deux grosses bombonnes de Sémalia-Phora. La devise étant : il faut être prêt à tuer un million d’habitants pour exterminer cette horrible vermine extraterrestre ». Réagon se replongea dans le silence.
Le silence se prolongea au point d’être pesant. Pour meubler, Johns commanda un narguilé d’herbe à fumer et tira une bouffé apaisante.
- A part nous foutre la trouille, je ne vois pas en quoi tes souvenirs de vétéran nous aident en quoi que ce soit ! Explosa Walden, troublant les vocalises de l’artiste du jour : une imposante cantatrice chauve. - Hey ! Tu espères que moi, le « balourd de service » comme tu aimes à m’appeler dès que j’ai le dos tourné. Tu espères que je vais solutionner ton équation à cinq inconnues ! Mais c’est toi le scientifique de mes deux, je te rappelle !
Johns sépara les deux hommes qui allaient en venir aux mains. Elle décréta que ça suffisait pour ce soir et que « la nuit porterait surement conseil ». Ils quittèrent le bar. Johns emboita le pas de Réagon en soufflant à Walden qu’elle le rejoindrait un peu plus tard. - Alors, baby, qu’est ce que tu comptes me faire faire à présent que je suis à ta merci ? Susurra Réagon à l’oreille de la jolie blonde. - Je veux que tu trouves le moyen de t’approcher de la piste d’atterrissage non répertoriée. Je veux que tu nous aides à découvrir si les Khatorans sont vraiment en danger et si quelqu’un menace de nous balancer du Sémalia en pleine figure…
Réagon se mit à rire dans l’air humide du soir. - J’adore les femmes qui savent ce qu’elles veulent ! Chuchota-t-il tandis qu’ils rentraient bras dessus bras dessous dans leur chambre du bidonzone.
Une semaine plus tard, ils étaient de nouveaux attablés dans ce même bar devenu leur QG et c’était Réagon qui avait une tête de déterré. - J’ai obtenu une autorisation pour survoler Khatora en orbite basse. Officiellement, je fais un peu de commerce avec une compagnie locale qui transporte du bois et des matières premières. - Tu as repéré la piste d’atterrissage et les baraquements autour ? Demanda Amanda, très excitée que l’enquête connaisse quelques rebondissements. - Dina a prit des centaines d’images de l’extérieur et de l’intérieur par ultrasons. On a tout balayé. Il y a des équipements souterrains, cela creuse à plusieurs dizaines de mètres. On a comparé avec plusieurs types de configurations et d’architectures dans les bases de données de Dina. - Alors ? Demande Walden, sentant sourdre le paroxysme de l’horreur. - C’est probablement… Réagon marqua une pause tellement ce qu’il s’apprêtait à dire lui semblait énorme.
« C’est probablement une usine de clonage humain ».
- C’est impossible ! Gémit Amanda. Le clonage humain est interdit par toutes les chartes de l’empire ! Cela dégrade durablement le patrimoine génétique ! C’est un crime contre l’humanité ! - Si l’on clone les Khatorans, cela explique pas mal de chose ! S’extasia Walden qui semblait reprendre du poil de la bête. Son regard s’illumina et ses pensées s’étalèrent en un milliard de conjectures. Il envisageait l’impossible avec un enthousiasme presque gourmand.
Amanda et Réagon l’observèrent avec une pointe d’effarement.
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