Pour résumer : Scientifique mandaté par l’ordre religieux du Shahuva, le professeur Walden et son assistante Amanda Johns recueillent des données de monde en monde sur le vivant au 150ème siècle. Khatora, petite planète excentrée du Sud de la Galaxie recelant une extraordinaire mine d’uranium aurait dû être une mission de routine. L’équipe scientifique se rend rapidement compte que les chiffres sont truqués et que la radioactivité ambiante aurait dû provoquer la mort de tous les habitants. « Aurait dû », car ils sont encore bel et bien vivants.
En moins de trois semaines, une série d’évènements avait fait perdre à Johns son sentiment de sécurité :
D’abord, Il y avait les terribles soupçons de Walden quant aux falsifications de l’administration locale. Mais plus il avançait dans ses recherches et moins il ne trouvait d’explication plausible à toutes ces anomalies. Les Khatorans n’avaient pas une santé hors du commun : leurs cellules vieillissaient et dégénéraient selon le même schéma que n’importe quel humain issu de Planète Mère. Ils auraient dû mourir à 37 ans très précis comme les dociles clusters de calculs le prédisaient. Pourtant ils étaient bel et bien vivants. Un rapide examen génétique lui avait confirmé que ses patients était bien issus des mêmes souches mitochondriales et donc d’un même lignage. On n’avait donc pas substitué aux locaux décédés prématurément de pauvres hères venus d’ailleurs.
- A moins que les Khatorans n’aient plusieurs vies dans une même vie, je ne vois pas comment ils peuvent persister si longtemps dans un environnement aussi mortifère… S’extasiait Walden.
Une fois le premier choc passé, il éprouvait une sorte d’exaltation passionnée comme à chaque fois que l’univers lui offrait une énigme bien coriace à se mettre sous la dent. Johns restait circonspecte et vaguement atterrée face à une telle inconscience du danger. Remuer la boue promettait de les exposer à de graves retombées pour le moins radioactives…
Quelques jours après, ils apprenaient aux infos qu’Egpat Samoar, le grand maitre du Shahuva - leur employeur - était mort dans des « circonstances encore non déterminées » à l’âge respectable de 109 ans. Allaient s’en suivre des périodes troublées au sein du culte desquelles émergerait un nouveau maitre vénéré. Entre temps, un administrateur du culte serait désigné, mais nul ne savait ce qu’il pourrait bien penser de l’expédition extravagante du scientifique voyageur…
Ensuite, pour compléter le tableau, il y avait eu ce message laconique de Réagon sur le réseau Inter-Monde : « Bébé, surtout ne t’inquiète pas pour moi : mes touristes spatiaux sont des gens très très riches et très discrets – je ne peux pas t’en dire plus car j’ai un contrat de confidentialité. Bref, ça va être le black-out des communications pendant un moment. Mes clients souhaitent que rien ne filtre de leur croisière-s’amuse alors tu m’excuseras mais pour autant de biftons, on va suivre les desideratas des donneurs d’ordres.... Tendres baisers sur ton postérieur, Réagon ».
Avec ce vague sentiment d’abandon, Johns envoya un message neuronal à ses parents sur la lointaine Troja, se remontant le moral en se disant que la famille, y a que ça de vrai. « L’Inter-Monde n’est pas accessible pour cause de maintenance des antennes orbitales de la planète Khatora » lui répondit un réseau bien décidé à se murer dans le silence. Cette fois, Johns sentit une vague d’effroi l’envahir. Jamais, non jamais au grand jamais le réseau n’était en panne !
Le lendemain de cette nouvelle accablante, Johns et Walden étaient conviés auprès du représentant interplanétaire-Sud de la ligue des producteurs d’uranium, un certain Stéphanius.
- D’habitude, on n’a pas droit à autant d’égards… Soupira Walden que ce rendez-vous impromptu éloignait quelques heures de son labo de campagne. Il estimait qu’il s’était donné suffisamment de mal en se fendant de son discours du premier jour. Malheureusement, les relations humaines n’avaient pas cette rigueur scientifique qui lui convenait…
Néanmoins, il fallait rester en bons termes avec tout le monde… Surtout dans un contexte où on a peut-être perdu son employeur et où on est coupé de la civilisation à cause d’une stupide maintenance du réseau… Johns traina son bougon de scientifique jusqu’au point de rendez-vous : le spatioport de Khatora. Une élégante nef des airs d’un modèle bien tape à l’œil les attendait sous la pluie continuelle. Un steward bien éduqué et assez preste les fit embarquer dans le vaisseau. Il avait le physique assez banal et trapu des natifs de Khatora et Johns se demanda s’il avait été recruté localement.
Stéphanius attendait dans l’immense salle de réunion du vaisseau, accompagné de quelques dignitaires locaux dont des fonctionnaires déjà croisés ça et là ainsi que deux représentants régionaux du culte de Shahuva. « On va nous faire passer un message et ça n’aura rien d’agréable… ». Songea Johns.
- Cher professeur Walden, chère Amanda Johns ! Commença ledit Stéphanius, un homme fibreux, court sur pattes, au regard sec. En voilà un qui n’avait jamais pleuré de sa vie faute de substance lacrymale. Un comble dans ce monde dégoulinesque ! « Voilà quelques temps que je souhaitais vous connaître ! Malheureusement mes affaires sur Exodus m’ont terriblement retardé ! » Continua le petit homme sur un ton fiévreux.
Il émit quelques claquements de doigts et le vaisseau décolla. Dans le même temps, une armada de domestiques humains tournoya autour de la table de réunion en un ballet harmonieux pour apporter rafraichissements et amuse-bouches. Walden nota ce détail indiquant un haut degré de raffinement : les gens d’un rang inférieur, les parvenus qui n’ont pas les codes du savoir-vivre se font servir indifféremment par de vulgaires androïdes. C’est moins cher et plus facile d’entretien - et l’important est d’être servi, n’est ce pas ? - Les gens bien élevés ayant de l’éducation et du standing emploient de vrais domestiques humains.
Stéphanius entreprit les présentations de ses hôtes puis il ne manqua pas de poser la seule et unique question qui devait tourner en boucle dans son esprit de rongeur en perpétuel mouvement dans l’espace rhomboïdale confiné qu’était son cerveau aride :
- et quelles sont aux justes les finalités de vos recherches ? Walden s’éclaircit la gorge. Il aimait bien cette question qu’on lui posait souvent. Il avait pour cela une réponse toute faite. Il se lança donc dans des considérations vaseuses sur ce qu’était la recherche en général. Une interminable succession de bla bla bla dont il avait le secret, tout cela pour conclure qu’on ne sait vraiment ce que l’on cherche qu’une fois qu’on l’a trouvé. Stéphanius lança un regard mauvais, c’était le genre d’homme à faire désintégrer un opposant au dézingueur à particules sous prétexte qu’on lui aurait soi-disant marché sur les pieds. Trop de pouvoir et de trop courtes jambes… Soudain la nef fit un arrêt stationnaire au dessus d’un monticule de nuages. Par un prodige appelé « aspiration par le vide » qui n’était pas banal à voir car excessivement couteux en énergie, la nef fit place net autour d’elle, vaporisant les nuages qui se dissipèrent en arc-en-ciel géants entrelacés. Ce qu’il y avait en dessus, c’était une énorme termitière à l’envers, un trou béant au milieu de la végétation, un abîme en strates réguliers où s’activaient les véhicules chenilles, les super-foreuses à tête de Coriolis et les immenses déblayeurs de minerais. Ça et là , des fourmis humaines s’activaient, presque indistinctes dans le décor disproportionné.
- La mine de Khatora ! s’exclama Johns avec émoi. Stéphanius était fier de son petit effet de surprise. Il aimait lire les émotions sur les joues des jeunes femmes bien fraiches. - En effet, cher mademoiselle Johns. La grande mine de Khatora. Le puisard ultime qui permet d’alimenter chaque jour presque cent mille voyages interstellaires. Deux millions et demi de personnes en vivent ici sur Khatora. Sans compter 500 000 personnes qui en vivent indirectement sur Exodus. Nous sommes une économie à nous seuls et nous disposons du soutien de l’empire tout entier et des prêtres Shahuva jusqu’aux plus hauts dignitaires. Je ne suis pas sans savoir que vous suspectez nos taux de radiation d’être trop élevés par rapport aux chartes de l’empire. Vous êtes à deux doigts de presser la sonnette d’alarme qui déclenchera toutes les alertes médicales à des centaines d’années lumière à la ronde, et je m’apprête quant à moi à vous épargner cette peine en vous produisant toutes les assentiments officiels m’autorisant à infliger ces rudes conditions de travail… Stéphanius conduisit ses invités dans une pièce adjacente et présenta, en effet, tous les documents officiels issus de Capitolia et dont certains étaient paraphés de l’empereur lui-même. Tous portant dérogations aux conditions habituelles de travail en milieu radioactif. Les différentes autorisations s’étalaient sur un laps de temps d’environ 400 ans. Le petit commerce ne prospérait pas d’hier... C’était honteux comme les fins économiques semblaient justifier de bousiller la santé d’une humanité toute entière. Totalement injuste, mais… Totalement légal. Après cette petite démonstration de testostérone, Stéphanius ordonna le tour à la base. Sur le chemin du retour alors que les nuages ne s’étaient pas encore reconstitués en une nuée compacte, Johns remarqua très à l’Est du site de la mine un espace où la végétation avait été rasée de façon nette (piste d’atterrissage, pensa-telle) ainsi qu’un groupe de baraquements isolés. C’était assez insolite et cela ne ressemblait pas à des habitations. Elle en fit une photographie ordimentale rapide avant de concentrer son attention sur d’autres points du décor. Tandis qu’ils repartaient sur le tarmac du statioport avec l’impression fort désagréable d’avoir fait chou-blanc, le jeune steward s’approcha de Walden et lui serra spontanément la main en le regardant droit dans les yeux. Le contact ne dura que quelques secondes et mit Walden un peu mal à l’aise. - Je crois que tu as une touche avec celui-là ! Se moqua Johns. Walden ne répondit pas. Toute la journée il eut cette impression exaspérante d’avoir loupé quelque chose et d’avoir un mot sur le bout de la langue, mais son esprit scientifique se refusait à lâcher prise. Exaspéré et frustré, il abrégea sa séance de yoga du soir et se coucha avant même l’ascension de la deuxième lune de Khatora. « … Sémalia-Phora. Stoppez-les car ils disposent du Sémalia-Phora. Stoppez-les car ils disposent du Sémalia-Phora. Stoppez-les car ils disposent du Sémalia-Phora. Stoppez-les car ils disposent du… » Walden se réveilla en sueur et fit sursauter Johns par la même occasion. - Johns ! Il faut absolument faire des recherches rapidement pour savoir ce qu’est le Sémalia-Phora ! » Hurla-t-il, dans un état de surexcitation nerveuse. - … Inutile de faire des recherches. Tout le monde sait ce que sait. Grommela-t-elle de mauvais poil. Walden la secoua pour qu’elle lui avoue enfin ce qu’elle savait. - Mais t’es pas bien, ou quoi ! Gémit Johns tandis qu’elle cherchait à remettre de l’ordre dans sa chevelure débraillée. Le Sémalia-Phore, c’est juste un mot des langues du sud pour désigner le Terrafor. C’est tout… Le Terrafor ? La substance à terra-formation ? Celle qu’on balançait à plus de mille kilomètre-heure dans le noyau d’une planète pour accélérer la terra-formation et tuer au passage, par vagues successives de radiation, toutes formes de vie extraterrestre ?
- J’ai rêvé de ça… Avoua Walden déconcerté. - Oui, ben t’as dû entendre le mot quelque part dans le spatioport… Bailla Johns en se recouchant. Walden resta debout le reste de la nuit. Un vortex de questionnement enchevêtré parasitait son esprit… Un sentiment de malaise et de sur-stimulation neuronale le maintenait dans un état d’épuisante hyperactivité cérébrale… … Et ça n’était que son premier contact télépathique.
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