Pour résumer : Au 150ème siècle après l’expansion, le professeur Walden et Amanda Johns arrive sur Khatora, une planète perdue de l’empire galactique connue pour sa mine d’extraction d’uranium. Walden est un scientifique mandaté par un ordre religieux affilié à l’empire (le Shahuva) pour faire des recherches et du recensement sur le vivant. C’est un travail laborieux passionnant mais routinier…
Finalement, après tant et tant de découvertes, on n’avait rien trouvé de mieux que l’uranium.
Tirer l’énergie d’un soleil ou d’un trou noir, tamiser les nanoparticules d’hydrogène au travers du vide béant de l’univers pour en faire du combustible… Tout cela était bien, certes... Mais pour effectuer des bonds au trois quart de la vitesse de la lumière afin de trouer le subespace et parcourir des distances cyclopéennes à l’homme démesurées, il n’y avait que l’uranium.
Sans uranium : pas de sorties interstellaires. Sans uranium, pas d’empire !
Pourtant Khatora, la 124ème planète, découverte tard dans la conquête spatiale, excentrée et loin des routes commerciales, n’avait pas bénéficié des immenses retombées du commerce du précieux fluide. Tout le jour, des vaisseaux porte-conteneurs affrétés par la ligue des commerçants se saisissaient de l’inestimable chargement et l’emportaient dans les lointains faubourgs d’Exodus pour le faire enrichir.
Le minerai était sur Khatora. La richesse était sur Exodus. Walden et Johns s’en rendirent compte rapidement… Les premiers temps de l’installation d’un nouveau labo de campagne étaient le domaine presque exclusif de Johns qui démontrait à chaque fois ses talents infinis d’assistante hors pair. Il était loin le temps où jeune diplômée linguiste sans expérience, elle avait répondu à une obscure annonce du réseau dans laquelle un scientifique voyageur cherchait de l’aide « logistique » pour ses déplacements dans l’univers.
Jeune fille, elle rêvait d’aventure et de grands espaces. Elle avait besoin de fuir la bourgeoisie étriquée dont elle était issue. C’était ça ou faire de l’aéro-stop dans les spatioports du vaste empire en espérant ne pas trop accrocher l’œil de baroudeurs mal intentionnés… Quand Johns se remémorait ses rêves de fugue, elle en avait vaguement honte. Sans les poches pleines de crédits et sans le soutien d’un organisme puissant, on ne survit pas longtemps hors du confort sécurisé d’un monde hyper civilisé…
Au quinzième monde exploré, la routine était bien en place et fonctionnait comme une mécanique bien huilée : Johns assurait le déballage et l’assemblage du laboratoire. Elle recrutait sur place une équipe d’infirmiers et de laborantins qui aideraient aux prélèvements. Elle faisait constituer la liste des sujets d’étude grâce aux registres civils qu’elle passait au crible afin de vérifier que les autorités locales ne les avaient pas falsifiés pour des raisons diverses et variées…
La plupart du temps, ces fameux registres étaient lardés d’inexactitudes. Rarement par fait de dissimulation, mais à cause d’officiers paresseux et négligents qui ne manqueraient cependant pas de se plaindre d’un retard d’une journée dans le versement de leurs gages… Johns se lançait presque systématiquement dans un gigantesque travail de fond pour rétablir des registres corrects … Une fois le recensement de population terminé, la liste de cohorte médicale établie, le protocole de recherche expliqué en long en large et en travers aux auxiliaires locaux, John s’occupait de menues tâches de secrétaire auprès du professeur. Elle jalonnait son emploi du temps, organisait ses rendez-vous, lui servait de traducteur quand c’était dans ses compétences, s’assurait qu’il se repose et se nourrisse à heures régulières...
Et tout se passa en effet comme prévu, hormis une pluie battante, chaude et continue, rendant la peau fripée à force d’humidité et les nerfs passablement à vif. Le montage du labo prit une semaine de plus que prévu. Johns songea que cela retarderait la fin de mission et donc ses retrouvailles avec Réagon (bien que Réagon fût tout à fait capable de s’occuper en attendant, en faisant la tournée des bars et des catins locales…).
Walden était un pur esprit animé par une soif de connaissance infinie. Tout le jour il était au labo de campagne pour superviser les gestes des laborantins. Lorsqu’un résultat lui semblait suspect, il refaisait lui-même les analyses, calculaient les probabilités que telle ou telle anomalie se représente, envoyait des messages à des confrères pour faire refaire ses tests par des tiers… Il effectuait des synthèses interminables de données, rédigeait des rapports liminaires, intermédiaires, corrigés…
Les résultats qu’il tirait d’une somme astronomique de travail était fort décevants au regard du profane : telle amibe était d’origine extra-terrestre, tel résistance à la grippe était une particularité endémique, tel gène mutant était propre à tel sous-groupe de population…
Curieusement pourtant, la petite expédition de Walden connaissait son succès d’estime dans la communauté scientifique. Il faut dire que depuis des siècles, en termes de biologie, on ne s’intéressait plus guère qu’à l’amélioration génétique. Encore et toujours l’amélioration génétique… S’apercevoir après tant de manipulations du vivant et de formatage biologique qu’il demeurait une telle vitalité dans le patrimoine humain rendait espoir à des scientifiques en mal d’exotisme.
Walden avait l’air inquiet, ce soir, au vingtième jour après l’installation du labo de campagne, tandis qu’il tapotait sur son holo-tablette et qu’une liste interminable de données s’affichait en continu dans l’air dense de leur chambre confinée.
- Tu sors manger avec moi ? Demanda Johns en espérant le tirer de son humeur sinistre.
- … Un endroit où on ne nous entendra pas. Demanda Walden. Johns marqua une pause.
Partout leur appartement était criblé de mécanismes d’écoute et d’enregistrement. Coopérative en apparence, l’administration locale ne pouvait que se méfier de ces gens venus fourrer leur nez dans ce qui ne les regardaient pas. Pourtant, Walden ne s’en souciait que peu, habituellement. Il avait coutume de dire que leur travail n’était en rien secret et qu’il n’outrepassait jamais les accréditations accordées. S’en tenant au principe de non-ingérence dans les affaires locales et limitant son action à des études objectives, Walden ne s’était jamais attiré que des ennuis mineurs. Pourquoi cette soudaine aura de mystère ?
Tandis qu’ils s’attablaient dans la même gargote minable où Johns avait revu Réagon quelques semaines plus tôt, Walden se laissait envelopper par le brouhaha ambiant tout en actionnant la lyophilisation de ses vêtements, ayant subi en chemin l’averse interminable des moussons de cette éternelle saison des pluies. Quand enfin il estima que le niveau de décibel était suffisamment élevé pour couvrir les voix, Walden se lança :
- Nous sommes dans une situation très défavorable, ici. Chuchota-t-il à l’oreille de Johns.
Johns ouvrit un œil rond. Elle n’avait jamais eu droit au terme de « situation très défavorable » même lorsqu’il y a près de trois ans, ils avaient dû alerter l’employeur sur une pandémie de choléra mutant plus ou moins dissimulée par les autorités locales...
Walden sortit sa tablette holographique et tendit quelques courbes et diagrammes à Johns qui sauta directement aux conclusions : « Taux de radiation 30 fois supérieur au seuil de tolérance. Espérance de vie moyenne : 37 ans ».
Johns écarquilla les yeux. Elle passait une grande partie de ses journées au laboratoire et côtoyait les cobayes qui venaient par centaines jusqu’au labo depuis la mine dans des sortes de véhicules à chenille nolisés par l’ordre de Shahuva. Créatures placides et rabougries, perclus d’arthrite, de malformations et d’infections diverses, les Khatorans demandaient rarement la raison de tous ces tests médicaux qu’on leur faisait subir. Ils étaient certes mal en point, mais ils savouraient malgré tout dans une joie contenue, le bonheur d’une journée hors de la mine. Une population malade et apathique mais nullement morbide.
- Walden, nous avons environ 17 000 patients de plus de 37 ans dans notre cohorte, dont environ 3500 de plus de 60 ans!
- C’est absolument humainement totalement im-po-ssi-ble… Articula péniblement le scientifique.
- Donc on nous cache quelque chose…
- Oui, valida Walden. On nous cache des montagnes de cadavres…
Il avait l’air très secoué et Johns, par contamination, sentit le stress la posséder. Elle leur commanda deux « bistouillettes galactiques ». Une boisson dégueulasse, épaisse comme du mazoute que l’on trouvait dans tous les astroports et qui avait l’arôme rassurant des choses connues. Ils burent en silence dans une ambiance de fin du monde.
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