Pour résumer : Au 150ème siècle après l’expansion, le professeur Walden et Amanda Johns arrive sur Khatora, une planète perdue de l’empire galactique connue pour sa mine d’extraction d’uranium. Walden est un scientifique mandaté par un ordre religieux affilié à l’empire (le Shahuva) pour faire des recherches et du recensement sur le vivant. C’est un travail laborieux passionnant mais routinier…
Amanda Johns avait ce quelque chose de gracieux, de félin dans la démarche… Réagon pouvait sentir sa présence dans ce bar miteux bourré à craquer sans même tourner la tête. D’ailleurs, il ne se donna pas la peine de la saluer tandis qu’elle s’attablait à son côté et qu’elle commandait une « gnôle à la fleur d’Oronia », breuvage locale qu’elle sirota longuement sans prendre la parole.
Les lumières clignotaient épileptiques et faiblardes, assaillies par les insectes de nuit. La fumée dense de l’herbe bleue flottait dans ce taudis crasseux trop bas de plafond. C’était le seul bar du spatioport et à peu près le seul recommandable de la ville. Des baroudeurs entre deux escales et quelques locaux – surtout des jeunes qui se prostituaient pour à peine 5 crédits la demi-heure (temps universel), tentaient de communiquer dans un baragouin sans nom d’où quelques mots de langue Univers se détachaient parfois. En fait de musique d’ambiance, il y avait un estropié au teint jaune qui grattouillait sur un instrument à corde. Les discordances étaient suffisamment régulières pour qu’on les qualifiât de rythmiques.
Amanda avait envie de lui dire quelque chose, il le sentait dans les longues coulées de regards qu’elle lui jetait en coin. Lui avait envie de hurler. Cette fois, c’était vraiment dur, la séparation.
- T’as déjà un contrat ? Demanda-t-elle de façon neutre
- Qu’est ce que t’en a à foutre ? Demanda-t-il d’un ton bourru
- Allez ! Dis-moi où tu vas !
- La métropole du Sud : Je vais promener une convention de banquiers en voyage d’ « affaires » en orbite autour d’Exodus… 50 années lumières loin de toi et quelques partouses en perspective ! Quelles vacances ! Je t’envoie un hologramme souvenir, promis.
Réagon savait à quel point ses paroles sonnaient faux. Dire que dans un moment de faiblesse, il lui avait dit qu’il l’aimait ! Il avait bien du mal à digérer ce débordement d’affect… Bien sûr, il s’était ravisé : C’était uniquement pour l’attendrir et coucher avec elle ! Les bourgeoises dans son genre adoraient les mots doux…
- Tu sais, c’est peut-être la dernière fois qu’on se voit… Bien sûr que non, ce ne serait pas la dernière fois… Il s’arrangeait toujours pour que le « transport spécial » du professeur Walden de son assistante personnelle et de leur précieux matériel s’opère par ses bons soins… Quel que soit le trou perdu dans lequel l’équipe scientifique devait se rendre.
- T’inquiète poupée, je serai là dans six mois quand t’auras besoin de ton taxi préféré ! Te trimbaler ça paye si bien qu’un jour j’aurai plus besoin de besogner. lança-t-il d’un ton détaché
- Le fait qu’on soit amants ne t’autorise pas à m’appeler « poupée ». Grommela Amanda de mauvaise humeur
- Amants ? Inutile de s’appesantir sur ce « détail ». On a fait passer les heures, le temps de deux ou trois escales. N’espère rien de ma part et surtout pas que je devienne monogame pour tes beaux yeux. Réagon n’appartient à personne ! Vraiment, t’es une casse burnes ! Lâche-moi un peu qu’on respire ! Je t’ai jamais rien promis. J’ai jamais proposé de mêler mon précieux ADN et le tien…
De toute façon, dans la famille Réagon, le patrimoine génétique était tellement désastreux (dans l’arbre généalogique : un sérial killeur et une bonne dizaine de repris de justice) que ses propres parents avaient été interdits de reproduction… Et voilà le résultat quand on enfreint les règles !
- Tu vas me manquer… Osa-t-elle dans un effort certain pour faire parler les sentiments.
- C’est ça ! Va retrouver ton Walden ! On se revoit dans six mois quand vous aurez fini la coloscopie de son nombril. Déjà qu’il se prend pour le centre de l’univers… Et sois à l’heure dans 180 jours précis. Tu sais que j’ai horreur de t’attendre !
- Les jours sur khatora compte 27h contre 24 dans une journée standard... Ça va faire plus de jours pour toi que pour moi.
- Je sais compter, madame je sais tout…
Amanda se leva et fit tinter une barrette de crédits contre la surface lisse de la table basse : « votre compte est débité » lança joyeusement un idéogramme en relief.
- Bon… J’ai payé ton verre… Je n’insiste pas… Je vois que monsieur n’est pas d’humeur… Dans six mois peut-être… En tout cas tu connais mes coordonnées, si tu veux me joindre par réseau…
- Compte là dessus bébé et pense bien à moi quand tu te feras garnir par ton scientifique hermaphrodite de mes deux !
Elle sortit sans répondre. Réagon lui envoyait des insanités à la figure constamment. Les joies du couple…
Elle marcha un peu à l’aveugle avant de retrouver le chemin de la cité administrative.
Boire un dernier verre avec Réagon avant qu’il ne reparte, était encore une initiative à classer dans la catégorie des mauvaises idées. C’était surement « sa tendance presque pathologique à vouloir recréer un idéal de couple hétéro-traditionnel, figure très populaire et rassurante surtout dans la classe moyenne des mondes hyper civilisés » - comme aurait dit Walden – qui la poussait sans cesse à faire les mauvais choix.
Walden quant à lui pratiquait une forme d’abstinence stricte depuis une quinzaine d’années. Il était aidé en cela par des médicaments puissants et une pratique quotidienne du Yoga. Son corps longiligne d’aristocrate n’en était que plus souple et filiforme à pratiquer ce sport à haut niveau. A l’opposé de cet idéal ascétique, il y avait Réagon. Impulsif et sensuel. Colérique, bordélique, emporté, hargneux, revanchard et coup de sang. Une vraie brute qui avait une face de brute : un nez plusieurs fois démonté, un front proéminant, des bras trop forts qui avaient déjà brisé le cou d’un homme et des dreadlocks dont les racines n’avaient plus vu la lumière d’un soleil depuis fort longtemps… Mais il était étrangement calme, minutieux voire méticuleux dans son travail.
C’est en l’observant travailler, aux commandes de son vaisseau, définissant sa trajectoire par la seule force de sa pensée reliée ordimentalement au cœur de l’aéronef, qu’Amanda avait pris plaisir à le regarder.
Elle ne se souvenait plus comment avait commencé leur liaison stupide ! Peut-être un coup de chaud après avoir côtoyé trop longtemps le zéro absolu du vide astral. Peut-être l’ennui dans un astroport sordide entre deux ravitaillements d’uranium liquide… Maintenant qu’ils avaient créé leur chimère, cette chose là avait sa vie à soi, terre à terre et autonome. Ça s’entretenait et ça se nourrissait tout seul. Ça avait ses petites habitudes, ses petits rituels d’adieux, ses promesses sans envergure pour conjurer le mauvais sort. C’était triste et angoissant.
L’appartement qu’on avait mis à disposition de Walden dans la cité administrative était vraiment un deux pièces sordides. Un refroidisseur vrombissait maladivement, mais les effluves tropicaux ne se dissipaient pas. Walden ouvrit à peine les yeux lorsqu’il la vit entrer, puis se replongea dans sa méditation profonde. - Tu as observé quelque chose d’anormal à l’extérieur ? demanda-t-il Johns prit le temps de réfléchir un instant. Pour une fois, elle n’avait pas vraiment fait attention à ce qui l’entourait.
- Tout est un peu sinistre, ici. Cette planète est sinistre…
- Oui, approuva Walden. Tu sais à quoi ça me fait penser ?
- Non ! répondit Johns sans trop d’espoir de pouvoir se soustraire à un nouveau morceau d’érudition de la part de Walden.
- « Au cœur des ténèbres » ouvrage d’un certain Conrad, période pré-colonisation de Mars…
Johns était fatiguée, nauséeuse, et ne se donna pas la peine de chercher matière à relancer la conversation.
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