"Lorsqu’ils sont repartis, je me suis retiré dans notre chambre et fébrilement, j’ai déplié les morceaux de papier jaunis pas le temps.
Le premier article était un extrait du journal « le Parisien ». Il datait du vendredi 05 mars 1976. « Melun : Il exigeait de l’argent et menaçait d’enlever un bébé ! Au terme d’une sordide affaire, un individu a été appréhendé par les gendarmes de la brigade des recherches de Melun. Il s’agit de M. Philippe P., sans profession, domicilié au bar de la Marine, quai H. Rossignol à Melun. L’individu n’avait rien trouvé de mieux pour se « faire » à bon compte un peu d’argent que d’envoyer à un autre melunais de sa connaissance, M. Georges L., 58 quai voltaire, une lettre anonyme lui enjoignant de déposer devant la cité administrative, une mallette avec 50.000 francs. La missive du 28 février précisait que si la demande n’était pas satisfaite, le petit cousin de 8 mois de M. Georges L. serait « enlevé » chez ses grands-parents à Hautefeuille. M. Georges L. prévint immédiatement la brigade de recherches de la gendarmerie. Cette dernière porta vite des soupçons sur Philippe P. qu’elle savait être, et c’est là que l’on touche au sordide, le père naturel du bébé menacé de rapt. Une perquisition à son domicile a permis de mettre la main sur le brouillon de la lettre et M. Philippe P. a été appréhendé. Après des aveux complets, il a été présenté au Parquet. »
J’ai relu plusieurs fois l’article pour le comprendre. Georges était donc le frère de mon grand-père. Huguette était la fille de Georges et, M. Philippe P., n’était autre que mon père. Comment une telle histoire était-elle possible ? Mon père n’était donc rien d’autre qu’un vaurien. Un délinquant, minable. Il avait menacé de m’enlever pour obtenir de l’argent. Mais quel homme pouvait-être aussi tordu et simple d’esprit pour tenter de mettre en place de tels stratagèmes grotesques, dans le seul but d’extorquer une somme d’argent ? La vérité se trouvait là entre mes mains. Non seulement ma mère n’était qu’une pauvre femme affectivement très carencée, et mon père, une crapule alcoolique, sans doute très limitée intellectuellement. Ainsi, n’étais-je donc rien d’autre que la résultante d’un amour estropié entre l’insuffisance et la souffrance. Pire encore, je me suis senti quelques instants n’être qu’une hybridation, celle du mariage d’une inconsistance et d’un naufrage. En me persuadant de ne pouvoir trouver pire, j’ai alors déplié le second petit papier. Il était bien plus petit. A peine un fait divers. Sans doute provenait-il aussi du Parisien. Il n’y avait pas de date. Je lus.
« Il vendait les meubles de sa propriétaire. Mercredi dernier, les gendarmes de Coulommiers virent arriver M. Philippe P., 32 ans, originaire de Lille, peintre actuellement sans emploi ni domicile qui se constitua prisonnier. M. Philippe P. vivait avec sa concubine à Lille dans un appartement meublé dont la propriétaire était Mme Dobresse. A court d’argent, l’homme envoya sa concubine et son enfant chez les parents de celle-ci à Hautefeuille et avant de partir, décida de vendre les meubles de Mme Dobresse à des antiquaires. Il récolta 3.500 francs de la salle à manger, payés en liquide et, voyant arriver Mme Dobresse, fila aussitôt. M. Philippe P. voyagea entre Lille, Rouen et Coulommiers dilapidant l’argent dans les cafés. Arrivé à Coulommiers, démuni de ressources, il préféra terminer son aventure en se rendant à la gendarmerie. L’homme, qui semble ne pas être très équilibré a été déféré au Parquet, puis écroué. »
La première chose que je me suis dite, est que je n’avais pas lu les articles dans le bon ordre chronologique. C’était idiot. Heureusement, ma mère n’avait conservé que deux articles. Dieu sait ce que j’aurai pu découvrir de pire… Mon père n’était donc pas ce héros que je m’étais inventé autrefois dans mes chimères enfantines et qui me soutenait lors de nuits, les plus sombres. Il n’était rien. Rien d’autre qu’un tas d’errances et de souffrances. Que me serait-il arrivé s’il m’avait enlevé, éloigné de tout ça ? Avait-il appris ce qui m’était arrivé les mois qui suivirent ? Tout cela devait lui être bien égal. Probablement n’avais-je jamais réellement existé à ses yeux. Ma naissance n’avait pas fait de lui un père. D’ailleurs, en repliant délicatement les deux morceaux de papier jaunis, j’ai essuyé mes larmes et j’ai compris qu’à tout jamais, je resterai sans père..."
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