réponse au défi du 25/07/2015
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– Allô, Au Grand Chaperon Bleu, je vous écoute !
Zora avait décroché le téléphone et pris son habituel ton enjoué. Cela faisait maintenant trois ans que la jolie rouquine avait repris la boutique familiale. Elle y avait évidemment apporté sa petite touche personnelle de modernité. Finies les capes vieillottes aux divers tons de rouges, elle avait lancé sa gamme de houppelandes, manteaux, pèlerines, cabans, capotes, mantes, pelisses et surtout capes disponibles dans tous les coloris possibles et imaginables. Les matières variaient tout aussi bien du cachemire en passant par le lin, le coton indien, le velours et même de la peau de loup. Sa famille avait une vieille histoire avec ces animaux. En effet, son ancêtre n’était autre que le fameux « Petit Chaperon Rouge ». Pendant toute son enfance, elle eut droit aux recommandations concernant les loups et leurs fourberies. Ces êtres vils se faisaient discrets et agissaient dans l’ombre afin de berner leurs victimes. Leur réputation de croqueurs de faibles n’était plus à faire.
Au téléphone, c’était Mémère la Grande qui s’enquérait de l’arrivée de sa commande très spéciale. Elle fut ravie d’apprendre qu’elle était enfin là et demanda à Zora si elle pouvait venir lui apporter, petite faveur pour une fidèle cliente. La jeune femme grommela puis promit de passer dans la soirée, après la fermeture du magasin. Elle prit l’adresse de la vieille dame avant de raccrocher en soupirant.
Une fois le rideau de fer baissé et fermé à clé, la commerçante se mit en route en direction de la sortie de la ville. La nuit déroulait peu à peu sa cape de noirceur sur les rues dont les réverbères s’allumèrent en clignotant. Zora avançait, tête baissée, le menton caché dans le col de sa cape couleur d’automne afin d’atténuer le piquant du vent d’octobre. En tournant à un carrefour vide d’âme, elle parvint aux portes de la ville. Là , une ombre la stoppa d’un mouvement de bras. Une grande silhouette sombre lui fit face. Dans l’obscurité, elle ne sut distinguer le visage de l’étranger, caché par une large capuche.
– Hé là ! Où comptes-tu aller ainsi petite ? – J’ai une commande à aller porter dans la forêt. – Ce n’est pas très prudent de se promener dans les bois la nuit. À quelle adresse te rends-tu ? – 666 Impasse du Fin Fond de la Forêt Sombre. – Pour avoir parcouru ces bois de long en large, je te conseille un raccourci qui est sûr. Il faut prendre le chemin de la clairière puis remonter le ruisseau jusqu’à l’arbre centenaire et là , tu ne seras plus très loin. – Je vous remercie pour le tuyau, étranger. Bonne soirée. – Bonne soirée, petite fille.
Plutôt du genre docile, elle suivit les consignes et se dirigea vers la clairière. L’œil de l’étranger brilla dans la pénombre. Il leva ses babines sur des crocs acérés. Il avait reconnu la jeune femme rousse, celle dont l’ancêtre fut la cause de la mort de son arrière-arrière-arrière-grand-père. La rage au ventre, il se dit que la vengeance était un plat qui se mangeait froid, voire même périmé ! Il se mit à courir à travers les fourrés en direction de l’adresse énoncée. Sur place, il frappa à la porte en annonçant d’une voix la plus fluette qu’il put : « J’apporte votre commande, Madame !
– Mords la craquinette et la chamoisette époussettera.
L’animal entra tel un éclair dans l’habitation de la vieille dame et l’assomma avant qu’elle n’ait eu le temps de dire « Anticonstitutionnellement ». Il la cacha dans une armoire Louis XVI avant d’enfiler un déshabillé vaporeux, trouvé dans la salle de bain. Caché sous les couvertures, il attendit sa victime. Zora arriva peu de temps après. Une fois à l’intérieur, elle s’approcha du lit en tendant sa grande boîte en carton.
– Voici votre commande, Mémère la Grande ! – Dépose-la sur la table et viens te réchauffer à mes côtés. Je vois que tu es frigorifiée.
L’imposteur leva un coin de la couverture et la rouquine s’écria :
– Dis-donc, vos bras sont immenses ! – C’est pour mieux me gratter la plante des pieds. – Et vos jambes ! – Je les ai plus grandes qu’Adriana Karembeu. Elle me jalouse. – Qu’avez-vous aux oreilles ? – C’est un nouveau modèle de sonotone. – Que vous avez de grands yeux ! – On me dit qu’ils sont plus grands que mon ventre. – Et puis il y a vos dents aussi… – Tu vas pouvoir constater qu’elles sont acérées !
Avant que le loup ne se jette sur Zora, elle avait compris à qui elle avait affaire. Elle sortit ses armes dissimulées sous sa cape, des galettes tranchantes au miel et au beurre. La jeune femme les lança en direction de son agresseur. Les biscuits allèrent se ficher dans le corps velu de l’animal. Il émit de longs râles. C’est alors que Mémère la Grande sortit de sa torpeur et de l’armoire. Elle se mit à réciter des contes pour enfants d’une voix si douce que le loup ne put résister à l’appel de ses rêves, c’était là un de ses talents cachés. Dès que ses ronflements firent trembler la maisonnée, les deux femmes appelèrent les forces de l’ordre. Les chasseurs prirent note des faits reprochés et emportèrent l’animal sans ménagement.
En prison, le loup fut enfermé avec ses semblables. L’un d’eux avait été incarcéré pour avoir mangé une chèvre appelée Blanquette, un autre un agneau au bord d’une rivière. Celui qui avait ingurgité un jeune garçon, s’était défendu en expliquant que c’était lui qui ne cessait de l’appeler mais il avait été condamné malgré tout. Le Grand Méchant Louis était le plus malchanceux. En effet, après avoir été ébouillanté par trois petits cochons malicieux, il avait fini par se repaître de sept chevreaux. Mais pendant sa sieste de digestion, leur mère lui avait ouvert le ventre pour récupérer ses petits et avait placé des pierres à la place. Il avait failli se noyer en allant boire à la rivière. En entendant toutes ces histoires, le loup conclut : « Mes frères, moi je vous dis que nous ne sommes que les têtes de truc, les boucs et misères dans toutes les histoires ! Et ceci ne semble pas prêt de changer…»
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