Réponse au défi d'Istenozot
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Me voici bien ennuyée, Jacques nous demande d’écrire en rendant honneur au grand Victor Hugo. Moi, petit écrivaillon, je ne me sens pas de taille à parvenir même à l’ombre de l’ombre du grand Maître. Que faire ? Soit je me résous à ne rien proposer en faisant la morte ou la vacancière, soit je me creuse la tête et tente de pondre quelques phrases maladroites sur des thèmes qui étaient chers à Hugo tels que la nature et l’amour. Je me pose face à ma feuille blanche et attends l’inspiration. Mais, comme la sœur Anne, je ne vois rien venir. Dépitée, je décide d’interroger mon ami Google pour en savoir un peu plus sur la vie du grand Victor. Je découvre qu’il s’est exilé sur l’île de Jersey où il a enchainé des séances de spiritisme pendant lesquelles il a dialogué avec sa fille Léopoldine, morte noyée dans la Seine lors d’une balade en barque, ainsi qu’avec beaucoup d’autres personnages célèbres. Cette information attise ma curiosité naturelle.
Je décide de passer un petit coup de fil à mon ami gothique Laurent. Il a vu tous les films sur le spiritisme et lu tout ce qui existe sur le sujet. Il m’a déjà raconté les séances qu’il organise avec ses copains. Je sais qu’il sera l’homme de la situation. Je lui expose mon projet et il est de suite emballé. Juste le temps de mettre quelques jeans noirs et des chemises à têtes de mort dans une valise et il est prêt à me suivre.
Nous voici donc dans le bateau qui nous dépose à Saint-Hélier, la capitale de la petite île anglo-normande de Jersey. De là , nous prenons un taxi qui nous amène à Saint Clément. Nos pas nous mènent vers la côte où nous tombons nez-à -nez avec le rocher des proscrits, rendu célèbre grâce à une photo prise par Charles Hugo. Je sais que nous approchons de notre destination : Marine Terrace. Une bâtisse à la façade blanche se profile à l’horizon. Je reconnais ses fenêtres étroites assorties de volets bancals et ses trois imposantes cheminées. Une plaque à côté de la porte nous confirme qu’il s’agit bien de la maison où Victor a vécu une partie de son exil. Je sonne et me retrouve bien surprise lorsqu’une dame nous ouvre. Elle est habillée d’une longue robe noire rehaussée d’un gilet brodé couleur bordeaux. Ses cheveux frisés sont aplatis au sommet de son crâne et séparés par une raie mais montrent tout leur volume sur les côtés. Elle semble tout droit sortie d’un roman du XIXème siècle.
Un échange de sourires et je lui demande si on peut visiter. Apparemment, ce type de requête lui est habituel et elle nous fait faire le tour du propriétaire avec force anecdotes sur l’histoire particulière du lieu. Elle nous confie qu’elle ne dort jamais là , préférant la tranquillité d’un cottage de l’autre côté du village. En effet, la bâtisse est réputée être le lieu de manifestations surnaturelles dès le coucher du soleil. Je suis très heureuse de l’apprendre malgré la peur qui vient me titiller les entrailles. Laurent, lui, est extrêmement enthousiaste. À la fin de la visite, j’exprime mes desiderata à la gardienne des lieux qui semble hésiter avant d’accepter moyennant un petit substantiel pourboire. Le soleil se couche sur une mer d’huile. Lorsque les rayons rougeâtres disparaissent totalement, laissant les ténèbres nocturnes prendre possession de la plage, nous nous mettons en place. Laurent et moi nous asseyons face à un guéridon en chêne. La dame nous explique qu’il a servi à Delphine Gay, connue pour avoir converti le maître Hugo aux pratiques du spiritisme. Je suis tremblante d’excitation et de frayeur. Laurent ferme les yeux et commence ses incantations lugubres. Sa voix de baryton résonne dans la pièce éclairée par une simple bougie. La flamme de cette dernière se met à vaciller alors qu’aucun souffle ne traverse le salon. Le guéridon commence à être pris de sursauts et s’élève à quelques centimètres du sol. Laurent ouvre ses paupières sur des yeux blancs et murmure : « Il est présent ! Tu peux lui parler. »
Ma respiration est rapide et mon cœur semble vouloir sortir par ma gorge lorsque je prends la parole :
« Bonjour, Maître. Je souhaitais vous rencontrer afin de me permettre d’écrire une nouvelle digne de votre talent. Je viens chercher l’inspiration auprès de vous. Pourriez-vous m’aider ? »
La réponse est donnée en coups frappés. Un coup vaut A, deux pour B, etc. Je reçois un « oui ». Laurent me suggère de prendre un papier et un stylo pour retranscrire les mots d’Hugo. Une idée un peu folle me traverse l’esprit. Je sors mon portable de ma poche en annonçant :
« Maître, nous sommes maintenant à l’ère de la technologie. Pourriez-vous simplement taper sur le clavier de mon téléphone ? »
Quelques minutes de silence, des minutes interminables avant que les bips du portable attirent mon attention vers celui-ci. Des mots se mettent à défiler sur l’écran. Il s’agit d’un poème avec la fougue reconnaissable du grand Hugo. La séance dure plus d’une heure. Soudain, le guéridon retombe sur le sol et le dernier mot s’affiche « Adieu ». Je regarde Laurent, il a une tête de déterré et semble exténué. Après avoir remercié et rémunéré notre hôte, nous partons nous reposer dans un petit « B & B » du coin.
Avant de m’endormir, je relis les mots du maître qui chantent dans mon esprit et galvanise mon âme. Il nous encourage à faire vivre la langue française, à la respecter en évitant sa pollution par des termes venus d’ailleurs et qui font oublier toute sa richesse. Je suis persuadée que mes amis des défis seront enchantés de parcourir ces vers et croiront difficilement la façon dont je les ai récoltés. Comme j’ai hâte.
De retour en Belgique, je sors mon téléphone de ma poche, allume mon ordinateur et m’apprête à retranscrire le texte avec une certaine émotion. Mais là , impossible de retrouver la création de Hugo, je fouille les moindres recoins de la mémoire de ce foutu portable. Tout a été effacé ! C’est une catastrophe. Des points lumineux clignotent devant mes yeux. Je ferme les paupières quelques instants pour reprendre mes esprits. Aurais-je rêvé ce contact, ce don inestimable ? Le Maître serait-il revenu sur sa décision de livrer une dernière œuvre posthume ? Aurait-il eu peur que je récolte tout le mérite, moi, un quidam dépourvu de talent ?
Voilà donc les amis pourquoi je n’ai aucun texte à vous livrer pour ce défi. Que Dieu, Victor Hugo et Jacques me pardonnent !
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