Après hésitation, je me suis décidé d'écrire mon récit de voyage que j'ai fait en France. Et je l'ai raconté dans le langage commun québécois. C'est fait avec beaucoup de dérisions et surtout d’auto-dérision.
Ma France à moi : Partie 1 : La conquête
On était en octobre 2001. J’avais 26 ans. Je vous entends déjà : « Tu as osé voyager un mois après la fameuse attaque du 9/11? » Eh bien oui, malgré le fait qu’on ne parlait que de cela; que les gens désertaient les avions; qu’une guerre imminente contre le terrorisme menaçait d’éclater au Moyen-Orient; mes amis et moi partions quand même. Il y aurait eu vents et marées que je serais parti quand même.
C’était un rêve de jeunesse. Je ne saurais dire précisément pourquoi, mais la France avait un magnétisme irrésistible sur moi. J’écoutais des films français, j’aimais particulièrement Louis de Funès et la saga Fantomas. Mes bandes dessinées étaient majoritairement françaises (Okay soit, Tintin était belge, mais pour un enfant québécois, Belge-Français, c’est pareil). Il m’arrivait même parfois d’en rêver. Dans certains cas, je me voyais habiter en France pour toujours. Dans d’autres, je tombais amoureux d’une Française. Dans mon enfance, où mon imagination était cent fois plus débordante qu’aujourd’hui. J’étais persuadé d’avoir été un français dans une autre vie. J’étais en fait beaucoup de choses : futur superhéros, un hybride extra-terrestre, un futur écrivain à succès, une future rock-star. J’avais un sérieux complexe d’infériorité. Pour mieux vivre avec cela, j’utilisais ma créativité pour me valoriser. En réalité, j’étais juste différent.
Un peu plus tard, grâce à internet, je découvrais les émissions françaises. Les inconnus, Hélène et les garçons et puis il y avait le premier Loft Story. À l’époque, les téléréalités n’étaient pas à la mode et je n’avais pas encore déchanté du phénomène. Pour moi, c’était comme épier des Français en direct, du moins c’est ce que je croyais. Cela m’avait fasciné et me donnait davantage l’envie d’aller en France, aussi bizarre que ça puisse paraître.
Et puis, il y a eu les raves. Vers mes 21 ans, j’étais un fêtard célibataire en pleine croissance. Je commençais à prendre le goût de la techno dans les bars. J’avais entendu parler des raves, qui étaient dans sa forme embryonnaire à Montréal. À ce moment-là , si je me fiais au média de masse, c’était le mal incarné. La drogue coulait des plafonds, on baisait aux quatre recoins, tout ça dans des entrepôts sales et en ruine. De quoi faire rêver un jeune rebelle assoiffé d’aventure et de plaisirs éphémères. Je ne m’étalerai pas trop là -dessus, vu que c’est hors sujet. Quand je fus bien accroché au phénomène et que j’ai appris que l’Europe avait une longueur d’avance sur l’Amérique par mes nombreux collègues raveurs qui me contaient leur trip dans le vieux continent, je ne pouvais plus me tenir d’y être.
Comme vous avez pu voir, malgré le rêve ce fut long avant que je le réalise. Il fallait premièrement trouver des comparses qui souhaitèrent me suivre. J’aurais certes pu y aller seul, mais si le goût de la découverte était là , je n’étais pas un gars très courageux. Puis, il y avait l’argent. L’argent n’avait jamais été mon truc. J’appliquais très bien (trop) la maxime d’Homer Simpsons : « L’argent, c’est fait pour être dépensé. » Pourtant, avec du recul, il aurait été facile d’en amasser. J’avais un travail payant, pas d’enfants, pas d’hypothèque à rembourser, célibataire, donc aucune femme à entretenir. Traitez-moi de misogyne si vous le désirez, mais si les femmes clament haut et fort l’égalité sexuelle, il n’en est pas de même pour la facture… Enfin, toutes mes payes passaient sur les sorties, la boisson et les danseuses de temps en temps. Il fallait bien que mon célibat, plus forcé que voulu, se passe. Il faut expliquer que j’étais un timide maladif surtout avec les femmes. Je les mettais sur un piédestal. Aujourd’hui, je sais que j’avais tort. Les femmes peuvent être épaisses autant que nous, les hommes. Mais bon, c’était également une des raisons de mon désir de visiter la France. Je croyais le mythe que la femme française était entreprenante. Dans mon illusion, celle-ci verrait quel merveilleux homme j’étais sans même avoir à me parler. Beaucoup de mes copains pensaient que j’étais plus mature que mon âge. Peut-être sur l’aspect intellectuel, mais sur le côté relationnel, j’étais un vrai enfant pré pubère. Enfin, ça aussi c’était une autre histoire.
En somme, comme je n’amassais pas d’argent sérieusement, je guettais n’importe quelle occasion pas trop chère pour y aller. Comme un assisté social qui attend le billet gagnant. Donc, c’était le jour de l’an 2001. Deux amis (Éric et Martin) et moi, on était dans une rave. On faisait cela chaque jour de l’an. En fait, à ce stade, on en faisait chaque fin de semaine, donc ce n’était pas l’exception. Pendant un « break » dans un « chill room », on discutait de ce qu’on voudrait faire dans la prochaine année, comme toute personne qui essaie de se donner bonne conscience en prenant des résolutions. Je ne me rappelle plus qui, mais un de nous a lancé : « On devrait aller faire un voyage, n’importe où! » Je leur dis que j’avais toujours rêvé d’aller en France. Ce fut l’unanimité. On se promet donc tous de ramasser l’argent. Me connaissant, je savais que je devais trouver une solution la plus économique possible. C’est là que l’idée de génie me vient. À l’époque, j’étais un contractant pour Air Canada. Je faisais le soutien technique informatique pour leur centre d’appel. Vu que j’étais sous contrat, je n’avais évidemment pas droit aux billets des employés. Cependant, les employés pouvaient donner des « buddy pass » à leurs familles et amis. Les « buddy pass » sont des billets qui permettent de prendre l’avion s’il y a disponibilité lors du départ. S’il n’y a pas de place, il faut attendre le vol suivant. L’avantage c’est surtout le prix. On ne paie pas le billet, seulement les taxes. Autant dire que c’est une vraie blague comparée à ce que ça coûte en réalité. Comme cela faisait 6 ans que je travaillais dans la compagnie, j’avais pu me faire de solides relations avec le temps. Il suffisait que je découvre un bon samaritain qui était prêt à se séparer de ses « buddys pass » à moi préférablement qu’à un lointain cousin. J’avais finalement trouvé deux employés avec qui j’avais des rapports amicaux et qui avaient une montagne d’ancienneté (donc beaucoup de « buddy pass » et une plus grande priorité dans les vols). Malheureusement, vu ma mémoire défaillante, j’ai oublié leur nom aujourd’hui, mais je les en remercie encore. Ils sont maintenant à la retraite depuis longtemps.
Vu la limitation, et c’était d’ailleurs conseillé par les deux clients qui m’avaient donné les billets, on avait choisi de partir l’automne plutôt que l’été. L’été est une saison de choix pour aller en France, vu que la majorité des Français sont en vacances. Mais honnêtement, je m’en foutais, je voulais voir le pays que ce soit dans un hiver mort ou un été brûlant.
La question du transport étant réglée, il fallait décider notre trajectoire. Nous travaillions tous, on ne pouvait donc pas se permettre plus que deux semaines. Dans notre ignorance d’Américain habitué à vivre dans une contrée grande comme le continent d’Europe, on s’était dit qu’étant donné que la France était un petit pays on pouvait faire le tour en ce court laps de temps sans problème. On s’est procuré une carte de la France, et on a choisi quatre destinations dans les différents points du carré français. On commençait par Paris évidemment vu que ce sera le lieu de notre arrivée. On avait prévu d’y rester 4 jours. Par la suite, on prendrait le TGV vers Strasbourg. On avait hésité sur plusieurs villes dans le nord-est. Quand on avait lu sur Strasbourg, ville moitié allemande moitie française, à majorité étudiante, les fêtards qu’on était ont tout de suite sauté sur l’occasion. Et puis, on irait vers le sud dans la méditerranée, plus précisément Nice. On se rendrait ensuite deux jours à Marseille et on finirait tout ça à Paris. Ce serait parfait!
Puis, il y avait la question du logement. La réponse fut vite trouvée : les auberges de jeunesse. Il y avait une petite complication. On devait réserver pour les places. Étant donné les limites que les « buddys pass » nous imposaient, cela pouvait être des complications. Surtout qu’il fallait aussi réserver pour le TGV, nous donnant un maximum de possibilités que notre échéancier plante en grand. On s’était dit : pas de problème on composera à mesure que les contretemps viendront. Donc, tout allait bien. On avait nos billets, un plan de voyage et à peine besoin d’amasser d’argent. Un rêve pour trois hurluberlus pleins d’hormones et d’insouciance!
Le jour J arriva. Pour ceux qui ne me connaissent pas. Je suis la définition de l’anxiété chronique. Une petite anicroche et j’angoisse comme si c’était la fin du monde. Aucune idée comment j’avais pu m’engager dans cette aventure sans me tourmenter. Tous les mois passaient sans que je n’y pense si ce n’était que d’en rêver. Par contre, la nuit d’avant ouf! Mon cerveau jouait un jeu d’échecs avec le bon sens. J’avais très peur qu’on ne puisse pas embarquer faute de place. Si ça se produisait, ça aurait été l’apocalypse. Il aurait fallu appeler les différentes auberges de jeunesse, les TGV; repousser d’un jour de plus chaque réservation. C’était une pensée ridicule, car depuis le 11 septembre, les gens boudaient les avions. Pour avoir travaillé chez Air Canada, je n’entendais que ça. « Y a plus de clients » par ci, « C’est la faillite » par là . Et effectivement, cet événement avait précipité Air Canada vers la faillite.
Et puis, il y avait mes compagnons de voyage. Une chose que je n’ai pas mentionnée sur les buddy pass : c’est qu’on représente la compagnie. Donc, on devait être bien habillé sans quoi l’employé qui les a donnés peut être réprimandé. Quand j’énonce « bien habillé », je veux dire « vêtements d’affaires ». J’avais confiance en Martin. C’était un garçon comme moi. Angoissé à mort. Rajoutez à cela perfectionniste et pointilleux, et j’étais pas mal sûr qu’il suivrait la règle. Éric était une tout autre histoire. Il était totalement imprévisible. Ancien soldat de l’armée canadienne, il n’y avait pas été pour la discipline, mais pour les armes. C’était le joueur de tours du groupe, ce qu’il appelait les « commandos ». Voici un exemple : il s’amusait à se cacher dans une maison d’un ami en entrant par effraction et lui faisait peur ensuite. Détrompez-vous. J’aimais Éric, c’était un bon gars, drôle et plein de génie. Il était inventif. Un vrai « patenteux » québécois. Je vais toujours me rappeler de son fusil à patate. Mais bon, inutile de vous faire comprendre que ce n’était pas le genre à porter veston-cravate. Encore une idée stupide. Oui, il était téméraire, mais il avait aussi le sens de la gratitude. Il ne cracherait pas sur quelqu’un qui l’aide.
Donc, comme je le disais on était prêt à partir. C’était mon père qui nous avait amenés à l’aéroport. Mon père, un homme comme moi, ne tripait pas particulièrement qu’on voyage en temps de remous. J’étais un adulte, il n’avait plus vraiment le choix. De toute façon, ce n’était pas la première fois que je prenais l’avion. J’en avais déjà pris pour affaire, mais c’était des trajets très courts, exemple Montréal-Toronto. Je m’étais dit qu’un vol de 6 heures ne serait pas bien différent qu’un de 30 minutes. C’est beau la naïveté.
On passe par toute la panoplie de contrôle d’usage. Et on attend. Il faut arriver tôt pour les « Buddy pass » si on veut être sûr d’entrer. Enfin... normalement. Lorsque j’ai demandé au préposé si on avait des chances d’embarquer, la femme partit à rire. Elle m’avait déclaré : « Vous pouvez même choisir quelle rangée vous voulez vous asseoir. ». Oui, c’était à ce point. En résumé, on a passé un bon deux heures à attendre pour rien, c’était pas grave. J’en avais profité pour rattraper le sommeil manqué par mes réflexions nocturnes inutiles. Je m’étais dit : valait mieux être en forme quand je serais en France. Ma naïveté ne connaissait pas encore la force du décalage horaire.
C’était à nous. J’étais dans l’avion. Bientôt la France deviendrait mienne!
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