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Nouvelles : Je crache ma bile
Publié par arielleffe le 24-06-2015 17:37:29 ( 962 lectures ) Articles du même auteur




Dans mon métier il faut être impeccable, complet veston gris de préférence, foncé l'hiver, plus clair l'été, coupe de cheveux très courte et soignée, une eau de toilette discrète et des souliers cirés. Je suis représentant de commerce, je vends des appareils d'électroménager. Dans les années soixante-dix, quand j'ai commencé, c'était une mine d'or, très peu de foyers étaient vraiment équipés, et chacun voulait son four électrique ou son congélateur. Aujourd'hui, c'est beaucoup plus difficile, même si les machines à laver ont une durée de vie plus courte, je peine à trouver des commandes. La crise est passée par là, et les gens achètent sur internet. J'ai toujours ma clientèle de fidèles, mais ils partent tous à la retraite, les magasins ferment, il ne reste que les chaînes généralistes qui cassent les prix, mes commissions fondent au fil des ans.



Un jour, je vois débarquer une nouvelle recrue qu'on me demande de former. La direction me fait confiance, c'est normal, je suis le plus expérimenté. Plusieurs fois, j'ai sauvé la mise pour ma société je ne mâche pas mes mots et mon supérieur, Monsieur Mabille le sait. Je me revois, il y a quelques temps, entrer dans son bureau :

- Monsieur Mabille, ça ne va pas du tout ! Mon client, Monsieur Martin attend sa commande depuis un mois !

- Je sais mon brave Jean, Gérard s'en occupe, vous devriez lui téléphoner pour qu'il s'active.

Je suis écouté en haut lieu, on me fait confiance, j'ai appelé Monsieur Gérard Lecoq, et il m'a dit où en était la situation. Il faut suivre ses affaires, de grosses sommes sont en jeu. En deux mois l'histoire a été réglée.


Un lundi matin à huit heures, je dois partir pour ma tournée. Je suis passé par les bureaux de l'entreprise, pour leur donner le détail de mon périple. C'est le premier jour de mon nouveau collègue, nous devons partir ensemble. Je me revois à sa place, fébrile, anxieux de faire bonne impression. Je vais jouer les autoritaires, il doit me respecter et m'écouter, si tout va bien il sera au point dans un ou deux ans. Il n'atteindra pas mon niveau, mais fera un vendeur acceptable. A neuf heures, je vois arriver un individu aux cheveux longs, et à l'allure débraillée. Il porte un semblant de costume, le pantalon est trop grand et la veste trop cintrée. Sa chemise est chiffonnée et sa cravate microscopique. Il ne va pas faire long feu dans la société.

- Vous êtes en retard, je vous attendais à huit heures, on ne peut pas se permettre d'être en retard chez les clients, vous commencez mal mon jeune ami.

Mon stagiaire se gratte la tête, ses cheveux sont ébouriffés, il sort du lit visiblement.

- Désolé, je finalisais le roadbook sur ma tablette.

- Il va falloir trouver d'autres excuses, un bon représentant doit commencer sa journée tôt s'il veut réussir !

Nous nous dirigeons vers ma voiture, une Ford Focus diesel, bleu pétrole avec toutes les options. Le premier client à visiter est installé dans la banlieue de Bordeaux, je n'y suis jamais allé et je tourne en rond pendant vingt bonnes minutes.

« Il me semble qu'on est déjà passé par là », me déclare mon compagnon avec quelque peu d'insolence. D'après Google Map, il faudrait prendre la prochaine bretelle et revenir sur nos pas ».

Il sort un téléphone portable avec un écran immense, et une voix synthétique résonne dans l'habitacle.

- Prendre la sortie numéro 4, direction Bordeaux Lacs.

- J'ai une carte dans la boîte à gants, je n'ai pas confiance, ces engins électroniques tombent toujours en panne.

Mon passager se met à rire.

- Ne vous inquiétez pas mon smartphone est bien chargé, et en cas de problème, j'ai la tablette.

Ce garçon est vraiment mal élevé, il me parle comme à un copain, je suis son supérieur tout de même ! Mes vieilles douleurs se réveillent, mes muscles se durcissent, j’entrouvre la fenêtre, pour respirer un peu d’air frais.

Mon téléphone portable sonne, je ne peux pas répondre puisque je conduis. Léonard, le jeune dévergondé que je dois former, s'étonne que je ne décroche pas.

- Vous n'avez pas de système Bluetooth dans votre Bat Mobile ?

Son ton m'exaspère, je n'ai pas le temps de répondre, son téléphone se met à vibrer.

- Allo Charles ? Oui bonjour c'est Léonard, je suis avec Jean, on est en route pour visiter la Société Barty. Vous avez reçu le road book et les prévisions de la journée ? Très bien, je regarde les modifs et je vois avec Jean.

« Jean » ! Il m'appelle « Jean » ! Ce gamin a un culot monstrueux, il parle avec le patron comme s'il était mon supérieur et moi son stagiaire ! Il appelle Monsieur Mabille, Charles !

- Il est super sympa le patron, tu ne trouves pas ? On peut se tutoyer, on travaille ensemble.

- Je n’ai pas l’habitude de tutoyer les gens qui travaillent avec moi, et encore moins mes stagiaires.

Léonard se met à rire bruyamment,

- Je ne suis pas stagiaire, je suis le nouveau directeur commercial. Charles m’a embauché pour couvrir tout le secteur Sud-Ouest, il semblerait qu’il y ait des problèmes d’organisation.

Je sens la nausée monter, qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Ce freluquet vient là pour superviser mon travail ? Je suis un des meilleurs éléments de la société, un des plus sérieux, et ce… ce jean-foutre va me donner des conseils ?

Je desserre mon nœud de cravate, j’ai chaud.

- Ça va Jean ? Tu ne te sens pas bien ?

J’ai très envie de vomir, un flot de bile remonte dans mon estomac, puis le long de mon œsophage. Soudain, un goût amer envahit ma bouche et un flot verdâtre se déverse sur l’imbécile assis à côté de moi. Sa face de pet, son costume ridicule et son matériel informatique sont couverts d’un liquide puant. Je freine de toute la force de mes pieds, la voiture se cabre avant de s’immobiliser.

- Dehors !!!! Je m’arrache de ce boulot pourri !

Laissant l’autre abruti sur le bas-côté, je démarre à fond la caisse vers une nouvelle vie. Je hurle par la fenêtre :

- Je m'arrache monsieur Mabille, ah on aime les jeunes et bien moi aussi je peux causer djeuns ! Ha, ha, ha , ha !

La gomme de mes pneus laisse des traces noires sur l’asphalte.

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Les commentaires appartiennent à leurs auteurs. Nous ne sommes pas responsables de leur contenu.
Auteur Commentaire en débat
Boris
Posté le: 24-06-2015 20:39  Mis à jour: 24-06-2015 20:39
Accro
Inscrit le: 27-01-2015
De:
Contributions: 190
 Re: Je crache ma bile
Ma foi, quelle fin de carrière ... ton personnage principal, Jean a du flairer les emmerdes avec cette nouvelle embauche, elle lui a filé la nausée ...
emma
Posté le: 27-06-2015 13:52  Mis à jour: 27-06-2015 13:52
Modérateur
Inscrit le: 02-02-2012
De: Paris
Contributions: 1494
 Re: Je crache ma bile
Oui, on a des exemples de cela tous les jours. Le vieil employé modèle se voit prendre sa place par le jeune sur-diplômé, célibataire, branché et accro aux nouvelles technologies !

Le sursaut du héros infortuné est tout à fait saisissant !
a-encre
Posté le: 25-07-2015 13:23  Mis à jour: 25-07-2015 13:23
Aspirant
Inscrit le: 07-05-2015
De: Eaubonne
Contributions: 40
 Re: Je crache ma bile
J'irai cracher Mabile sur vos tombes du passé ? Il y a des exaspérations salutaires, ce texte fait du bien.
Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

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