Tu sais que c’est une connerie. Une connerie dont tu as eu terriblement envie, mais une connerie néanmoins. Ça fait environs quatre ans que tu le connais, vous êtes labellisés ‘meilleurs amis’, tu vois le cliché. Il n’est pas impossible que tu aies développé de sévères sentiments pour lui, toujours en tant qu’ami, s’entend. Tu adores l’écouter se plaindre de sa vie mouvementée, tu adores son humour et la façon dont il chante, tu as déjà passé pas mal de nuits chez lui, en toute innocence, vous avez fait de la musique ensemble. Et il arrive que tu ne le voies pas pendant des mois, aussi. Il ne te manque pas vraiment, enfin, si, bien-sûr, mais les amis vont et viennent et tu l’as bien compris alors, pourquoi s’en faire ? Parce qu’à chaque fois que vous vous retrouvez, c’est la même chose, rien n’a changé. C’est assez rare. Il n’y a que quelques personnes qui partagent ce lien avec toi, qui ne t’en veulent pas quand tu veux prendre le large et que tu le fais. Ils se comptent sur les doigts d’une main. Enfin, donc. Tout ça pour dire. Que. On a planté le contexte, maintenant, la punchline. A laquelle, bien sûr, tout le monde s’attend. Un soir arrive, de l’alcool coule, ce mec avec qui tu as tenté de coucher (ou plutôt, qui a tenté de coucher avec toi) est là aussi, lourdingue, carrément chiant, et au détour d’une conversation joyeusement dénuée de sens, une petite excuse apparaît, et l’autre, ton ‘meilleur ami’, te propose de repasser chez lui en quinze minutes, histoire de checker à quel point la meuf que Stéphane s’est tapée (en fait, ils en sont restés aux bisous-bisous), est moche. Etat d’urgence déclaré, il faut à tout prix que tu voies ça. Ça a l’air tordant. Tu le suis, vous riez, il a le hoquet, un hoquet bizarre, un hoquet marrant. Le verre est vide quand vous arrivez. Il allume le mac. Ladite photo n’est pas si catastrophique. Tu ris. Vous repartez. Tu fais remarquer que le verre est vide. Vous remontez. Remplissez le verre. Et là , dans la promiscuité de sa cuisine en travaux, tout à coup, comme ça, il a eu ce regard, et vos bouches se dévoraient. Tu ne sais pas trop comment c’est arrivé, et pour tout dire, tu t’en moques. Tu n’as jamais rien envisagé avec lui (ni avec personne, vraiment, avant), mais tu ne réfléchis pas à ça. Ses lèvres sont douces, sa manière d’être un peu sauvage, et toi tu es fan. Tu te détaches de lui, paniquée, mais qu’est-ce que tu fais, c’est ton pote. C’est drôle. Et effrayant. L’ascenseur. L’ascenseur a vu vos baisers volés, votre dance érotique. Toi qui te rétractes assez souvent, mais avoue-le, ce n’est qu’un tout petit grain de culpabilité qui t’aiguillonne, et tu sais que malgré tout ce que tu pourras te dire pour tenter de te disculper, tu en meurs d’envie autant, sinon plus, que lui. Il a du désir pour toi, il te le dit. Et il parle bien, très bien, ça te rend tout chose. C’est ton meilleur ami, mais tout à coup c’est bien plus et bien moins que ça. Tu fais ton choix. Sur le chemin du retour, tu l’attires dans ce petit coin que vous avez découvert ensemble, la dernière fois. Il y a des transats et une placette aménagée, enterrée entre deux bâtiments, derrière le nouvel office de tourisme, qui surplombe la placette, et si discret que pas grand-monde, encore, a découvert son existence. Tu t’assois, il s’assoit, il approche, et vous vous jetez l’un sur l’autre. Vous dégringolez, tombez, tu lui ouvres la lèvre sans faire exprès, et ses baisers ont un goût de sang. Encore beaucoup de rires plus tard, alors que tu es à califourchon sur lui – et que tu ressens son désir qui appuie doucement contre le bas de tes cuisses, que ça te donnerait presque envie d’envoyer valdinguer vos vêtements ici-même –, tu te relèves. Il est temps d’y aller. Son ami Loïc qui vous a laissé les clés de la maison pour que vous puissiez revenir, l’appelle à intervalle régulier. Il ne décroche pas. S’ensuit une conversation, lancée par lui, au sujet de votre relation. Au sujet de cette tension sexuelle qui a plus ou moins toujours existé et, pire, que tu pensais jusqu’ici être la seule à ressentir. Tu te fais la remarque à part toi, que tu devrais faire plus confiance à ton feeling. Quelques derniers baisers, et on croise Stéphane, qui rentre. Quand vous rejoignez les autres, il n’en reste que deux, la soirée est pliée. Vos quinze minutes ont en fait duré deux heures, wow, c’est dingue. Au-revoir, bonsoir, et vous repartez ensemble, vous prenez la même route pour rentrer. Au moment de se séparer, tu te mords la lèvre et propose un dernier verre. Que vous prenez chez lui. Au début, tout va bien. Vous vous contentez du verre. Puis, tu te dis qu’il est temps que tu rentres, et là , surprise, il refuse de te laisser partir, pas à cette heure-là . Les rues sont dangereuses, qu’il dit. Tu éclates de rire, décrètes que tu l’as déjà fait et le refera encore souvent, qu’il n’y a pas à s’en faire. Il est catégorique. L’idée de passer la nuit chez lui t’effleure et te plaît. Tu lui fais remarquer qu’il pourrait trouver mieux, pour me garder la nuit, mais il affirme que ça n’a rien à voir avec le sexe, qu’il n’y aura ‘pas de sexe du tout même, si tu veux’, mais que tu restes dormir. Tu te rends compte que, après quelques mois sans baise, tu n’es pas ce qu’on peut appeler prête, là en bas. Vous vous couchez. Il te cherche. Tu es de nature joueuse, alors tu te prends au jeu. Il te taquine et roule de son côté. Tu l’enfourches et l’embrasse à mourir. Puis, tu fais de même, roule de ton côté, et bonne nuit. Sans compter sur l’envie. L’envie qui le tenaille et il te saisit sans te demander ton avis et tu adores ça parce que tu aimes lutter et il se place au-dessus de toi et il est beau, sans ses lunettes, en boxer, avec ses abdos fermes et ses mains douces. Il sent bon, et son regard te perd quand il descend le long de ton ventre. Tu refuses qu’il descende plus bas. Mais il est joueur aussi, et la lutte commence. Tu ne lui donnes pas raison, mais il t’arrache ta petite culotte avant que tu saisisses ce qui se passe, et il t’embrasse. Tu ondules sous lui, son désir est tien, tu sais, tu adores cette sensation grisante d’avoir le contrôle. Tu es encore un peu mitigée, tu n’arrêtes pas de te demander ce que tu fais, mais il n’y a pas de réponse, seulement du sexe. Tu envoies valdinguer tes derniers à priori quand tu t’attaques à son boxer de ton propre chef. Il entre en toi tout de suite, sauvage, tu retiens un cri de douleur car toi, tu n’as pas vraiment l’habitude, mais il ne doit pas le sentir. La musique hurle à travers les baffles, l’alcool n’est pas encore redescendu, et tu te sens dans un autre monde, avec ses bras autour de toi, vos souffles qui s’accordent, vos rythmes qui se repoussent, la proximité et la chaleur de son corps contre le tien. ‘La seule chose qui m’importe, c’est ton plaisir.’ A ces mots, tu te sens de lui offrir le monde. C’est idiot et passager, et tu le sais, mais c’est toi qui es dans ce lit avec lui, et c’est à toi qu’il le dit. L’espace d’une heure et demie, deux peut-être, tu décides de le croire, et il s’affaire si bien que tu ne regrettes pas de l’avoir fait. Il te tourne et te coince les mains au-dessus de la tête, t’ôtant tout contrôle. Tu ondules, tu te débats. Tu le lui dis ; tu as horreur de perdre le contrôle. Ça l’amuse. Il te fait grimper au rideau. Tu décides que, parce qu’il est lui, parce que tu l’aimes tendrement (c’est ton ami depuis quatre ans, ami, oui, ami), tu veux lui donner quelque chose que tu n’as pas donné aux autres. Tu sens qu’il ‘est le bon’, pour refaire dans le cliché. Alors tu le repousses en arrière, tu prends le dessus, tu l’embrasses, et puis tu suis le tracé de ses abdos et tu descends plus bas. Tu tentes. Un baiser curieux. Cette chose était en toi. Tu y vas plus franchement, et là il te chope, il te remonte à sa hauteur, s’installe au-dessus, et te déclare que s’il ne peut pas te satisfaire de cette façon, il ne te laissera pas le faire non plus. Alors il joue avec toi, dans l’attente, tu ondules du bassin pour l’y inviter, mais il décide de te taquiner seulement. Alors tu prends une voix suave et tu l’attrapes par les fesses. C’est reparti. La musique hurle si fort que quelqu’un tape. Il a cru rêver, tu n’as rien entendu. Ça recommence un peu plus tard. La voisine, ou le voisin. Il est presque six heures du matin. Au moment où tout se termine, vous restez un moment à sourire, exténués, et à parler pour ne rien dire. Il attrape ta main, tu la lui prêtes, et puis… Une appréhension. Tu te détaches et roules de ton côté, commence à te rhabiller. Il glisse jusqu’à toi, caresse ton dos que tu recouvres. Tu lui dis que tu rentres, cette fois. Il dit qu’il est encore tôt. Tu le regardes. Tu meurs d’envie de rester. Il gagne, et tu te déshabilles à nouveau. Tu te tournes de ton côté, et il approche, dans ton dos, glisse un bras autour de toi. Il te caresse encore le dos, le ventre, c’est insupportable. Tu n’arrives pas à t’endormir. Quand il l’est, tu te lèves sans faire de bruit, tu attrapes tes sandales laissées dans l’autre pièce, ton téléphone, une clope, et tu pars. Tu lui jettes un dernier regard, endormi dans cette chambre à moitié peinte, et tu souris. Et tu pars en fermant doucement la porte.
Rien ne sera plus jamais comme avant.
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