Dans mon royaume, la guerre fait rage. Mon aimé s’en est allé guerroyer vers des contrées lointaines afin d’accroître la prospérité de mon père, le sultan, avide de pouvoir et d’argent.
Errant dans les couloirs glacials de mon palais, j’attends le retour de celui qui a marqué son nom au fer rouge sur mon cœur brûlant d’amour pour ce chevalier loyal et brave.
Le temps me semble si long en son absence ; les jours me paraissent une éternité. Assise sur un banc à humer le parfum délicat du jasmin, je contemple en silence la beauté des fleurs exotiques du jardin royal, j’écoute le chant des oiseaux qui adoucit ma tristesse. Je sens un léger vent frais parcourir mes bras dénudés et subtilement, mes pensées divaguent vers d’exquis souvenirs de mon tendre amour. Je me souviens de notre premier regard, de notre premier baiser, de notre promesse de nous aimer jusqu’aux confins de l’univers et de notre étreinte passionnée devant la statue d’Isis qui, de ses ailes déployées, protège notre amour.
Comme j’aimerais retrouver ces instants magiques et inoubliables ; comme j’aimerais revoir le doux visage de mon cher amour.
Parfois, la nuit, quand je ne parviens pas à trouver le sommeil, je peux ressentir sa présence à mes côtés, m’enivrer de son odeur indescriptible à m’en donner le vertige et apercevoir tel un mirage son visage dans la flamme d’une bougie vacillante qui, d’un souffle de vent, me plonge dans les ténèbres. Puis lorsque mon cœur devient trop lourd et que le chagrin m’envahit, je déserte ma sombre demeure et déambule comme une âme en peine dans les rues de ma cité, cherchant un refuge animé, un endroit où les amusements seraient roi, mais surtout où je pourrai tout oublier.
Lorsque la lune est pleine et que les étoiles scintillent dans un ciel obscur d’Orient, je peux déchiffrer son nom dans les constellations et soudain mon cœur ravive la flamme ardente que j’espérais si fortement éteindre pour toujours. Comme si le destin m’interdisait d’effacer son image de ma mémoire et de cesser de penser à lui.
Seule dans mon lit, allongée sur un drap de soie bleu, je prie secrètement pour qu’il me revienne, pour que la guerre se termine, pour que mon père décide finalement d’abandonner sa quête absurde du pouvoir absolu et que la paix s’introduise enfin dans nos foyers. Tout en fermant les yeux, quelques larmes perlent sur mon visage accablé et puis dans mon for intérieur, j’implore les dieux afin qu’un miracle se produise en ces temps funestes.
Doucement, j’ouvre légèrement les paupières. Les rayons timides du soleil caressent mes joues et illuminent ma chambre d’une auréole mystique. La vision un peu floue, je distingue furtivement une longue silhouette sombre figée comme du marbre sur le balcon de ma chambre. Etrangement, je relève la tête prise tout à coup d’une vive émotion qui ébranle tout mon être.
À cet instant, je le vois, mon aimé, regardant au loin les bateaux sur le Nil. Il se retourne comme s’il savait que j’étais réveillée. Mais soudain, je suis saisie par son image, car je retrouve un homme qui a quelque peu changé ; des cheveux blancs se mélangent dans sa longue crinière d’ébène, les rides marquent le contour de ses yeux fatigués et le côté droit de son visage est brûlé probablement durant la guerre. Ce n’est plus le jeune homme vigoureux qui m’a quitté, il y a de cela vingt ans, mais un homme tourmenté et vieilli qui a dû affronter mille souffrances pour revenir jusqu’à moi.
Eh oui, vingt longues années se sont écoulées depuis son départ pour la guerre ; vingt années à attendre son retour dans les pleurs, à trembler pour sa vie chaque jour et chaque nuit et à finir par admettre, avec le temps et contre mon gré, que plus jamais je ne le reverrai. Mais toutes ces interminables années n’ont rien détruit à la force de mes sentiments. Je ressens la même passion et le même amour qu’à nos jeunes années. Dans mon cœur, il demeure toujours le même et le reste n’a plus aucune importance.
Ne perdant plus une seconde, je tends ma main vers lui en lui offrant mon plus chaleureux des sourires. Puis d’un pas hésitant et timide, il s’avance vers moi tout en baissant la tête et en cachant ses yeux qui masquent son embarras. Je comprends alors toute la détresse de mon cher amour, il a peur… il a peur de m’effrayer à cause d’une brûlure qui défigure son si beau visage. Comment pourrai-je le rejeter après tout ce qu’il a enduré ? D’une main délicate, je relève son menton et je lui caresse en douceur sa brûlure, plongeant mes yeux de femme amoureuse dans ses prunelles foncées. Les larmes au bord des yeux, il vient poser sa tête épuisée contre mes cuisses qu’il sert fortement avant de laisser exploser sa tristesse par une rivière de larmes.
Il aura fallu beaucoup de temps avant que ce miracle se produise, mais il est enfin arrivé alors je souris tellement heureuse de nos retrouvailles.
©Audrey-Parme Estevant 3 Juin 2015
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