Même si je n'ai que peu de lecteurs et pas de commentaires, je continue, encore une ou deux fois à publier ici la suite de mon roman ; jusqu'au terme de son premier chapitre ; puis, si c'est toujours le désert, j’arrêterai...
Ma mère s'était acharnée : « Après l'avoir copieusement sermonné, nous allons fouiller sa chambre. Nous allons lui confisquer tous ses livres. Nous allons emmener ceux-ci à la Trouée, et les y jeter. Puis, dès le mois de Juillet, qu'il ait réussi son diplôme, ou pas, nous l'escorterons jusqu'à Besançon. Et il y restera jusqu'à la fin de ses études. Après tout, pourquoi s'échine t-il à s'abrutir avec ces fadaises ? C'est un raté ; et ce n'est pas en apprenant toutes ces choses inutiles que cela va modifier son destin. Crétin il est, crétin il demeurera! Et puis, depuis quand possédons-nous des livres chez nous ? », avait sèchement décrété ma mère. « C'est encombrant. C'est frivole. C'est inesthétique. Consacrer des pans de mur entiers à des étagères remplies de livres est une aberration ! Je préfère y accrocher des fresques de Van Haguen, de Varÿth le Sandarÿm, ou de Picasso. Leurs peintures sont plus convenables. Elles mettent davantage en valeur l'agencement de notre salon. A quoi servent ces ribambelles de bouquins poussiéreux, si ce n'est à nous affubler d'un mal de crâne dantesque ? Si ce n'est pour attirer poussières, toiles d'araignées, moisissures, ou nuisibles, que pourraient-ils nous apporter ? Notre femme de ménage valÿrienne s'en arracherait ses cheveux bleu-nuit ! Que se figureraient mes associés elfÿens de passage à Bordeaux ? Que confieraient mes collaborateurs à leurs contacts si, lors des cocktails que j'organise à l'appartement, ils n'avaient pas d'autre choix que d'admirer les tranches de centaines de publications indigestes ? Je ne pense pas qu'ils apprécieraient ! Il est sûr que ça nuirait à mon agence immobilière ; à sa réputation et à sa notoriété ! - Vous pesez la portée de vos mots ? », avait alors juré Maître Anthelme. « Comment voulez-vous que Nathanÿel ne soit pas replié sur lui-même s'il entend de telles sentences ? Comment voulez-vous qu'il ne se réfugie pas dans ses livres ? Vous le tuez insidieusement jour après jour. Vous... - Parfaitement ! Adulte, il me remerciera de l'avoir inscrit chez les bénédictins du collège Saint-Basile de Besançon. Il approuvera mon choix, je suis formelle. Et, surtout, il se félicitera de posséder les bases lui permettant de survivre dans le quartier des Chartrons. Pour un niais de son espèce, c'est une chance inopinée. Tous les indigents qui foisonnent là -bas n'ont pas cette aubaine ! - Une aubaine ? », s'était époumoné Maître Anthelme. « Connaissez-vous Besançon et ses environs ? Avez-vous déjà fréquenté les Chartrons ? Eh bien, moi, je vais vous éclaircir : Besançon s'élève à plus de deux-mille mètres d'altitude. Elle est ceinturée de falaises abruptes et de vallées encaissées. Les ravins et les précipices qui l'étreignent sont insondables ; ils sont colonisés par des hordes de Goblÿns et de Sans visages. Et ses escarpements sont habités par des lynxs à dents de sabre ou des ours géants. L'hiver, Besançon est généralement coupée du reste de la France. Les routes qui y mènent sont ensevelies sous des tonnes de neige. Un vent glacial parcourt ses avenues délabrées, ses rues accidentées, et ses esplanades mal pavées. Des tempêtes de neige l'assaillent régulièrement. Un brouillard épais condamne ses habitants à se terrer chez eux. La nourriture y est peu abondante, les brigands nombreux. L’Été, la chaleur y est excessive. Les rares arpents de terre recouverts d'herbages bordant le fief du Sieur Foulx sont crevassés. Les plantes qui y poussent sont jaunies et rabougries. Les paysans y cultivant blé, orge, lentilles ou haricots n'y moissonnent que de maigres récoltes. Ils y hébergent de petits troupeaux de moutons, de bovins ou de pourceaux. De quoi tenir durant la saison froide sans que la famine n'accule les populations du duché à se rebeller. Les forêts périphériques ne sont pas giboyeuses. Elles sont surtout le repaire de Goblÿns en maraude, de Dévoreurs, ou d'Arpenteurs Renégats. Elles ressemblent plus des amas disparates d'arbres rachitiques. Et leur glèbe est caillouteuse. - Qu'est-ce-que cela peut bien me... », l'avait hargneusement interrompue ma mère. « Attendez ! Je n'ai pas terminé ! », avait alors aussitôt menacé Maître Anthelme d'une voix orageuse. « ...Le collège Saint-Basile, pour sa part, n'est pas doté d'une excellente notoriété. Les bénédictins qui le régentent sont très sévères avec leurs étudiants. Ils leur attribuent des cellules qui n'ont ni chauffage ni commodités. Seule une minuscule lucarne autorise la lumière du jour à y pénétrer. Et une mince couverture revêtant un sommier de pierre, ainsi qu'un plafonnier, sont mis à leur disposition. Leurs professeurs les réveillent à cinq heures du matin afin qu'ils les assistent à la messe de vigiles. Puis, à six heures trente, ils leur accordent une collation, avant qu'ils ne leur ordonnent de gagner leurs salles de classe. Leur y sont transmis notions d'arithmétique appliquée, de bio-médication, d'Internet augmentée, d'éco-technologie, d'elfÿen, de néo-catholicisme... A midi-trente, une demi-heure leur est concédée, avant qu'ils ne reprennent leur instruction jusqu’à dix-huit heures. Dès lors, ils sont sommés de seconder leurs précepteurs à la messe de vêpres. Ils dînent. Ils ont le droit à une demi-heure de repos. Et ils réintègrent leurs chambrées pour y réviser leurs exercices encore une heure avant, finalement de se coucher. - Que… - Je n'ai pas achevé mon exposé ! », avait tancé Maître Anthelme à ma mère. « Au cours de son adolescence, une de mes relations à la Citadelle Tellurique de Toulouse a séjourné au collège Saint-Basile. Il m'a relaté les pénitences auxquelles il a été soumis. Et ce, uniquement parce qu'il avait du mal à s'adapter à son nouvel environnement. Il a été fouetté nu devant l'ensemble de ses condisciples. Il a été privé d'alimentation pendant cinq jours. Afin qu'il assimile le règlement, il a été empêché de dormir trois nuits durant. Il a été contraint de débiter des bûches de bois presque aussi grandes que lui par moins quinze degrés ! Il n'avait que treize ans ! Ces méthodes d'éducation l'ont marqué au point que son sommeil est, aujourd'hui, peuplé de cauchemars. Or, il a quarante-trois ans ! Et c'est là que vous songez à interner Nathanÿel ?
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