Cette année 1987 ressembla quelque peu à la précédente. Ma solitude était toujours très présente, je subissais toujours des brimades au quotidien et quelques humiliations, mais cependant, contre toute attente et sans plus d’efforts, mes résultats scolaires furent un peu plus acceptables. Aussi, Flora rentra à son tour au collège, tandis que Kamel le quitta avec une certaine avance. En effet, il avait été réorienté à cause de ses résultats scolaires désastreux, mais aussi de son comportement désolant. Mes parents qui n’avaient cessés de le menacer durant ces deux dernières années, avaient fini par le mettre dans un pensionnat de semaine. Kamel avait un sérieux avantage sur moi car il avait depuis son plus jeune âge une véritable passion. Il aimait les chevaux et rêvait de travailler dans ce domaine. C’est ainsi qu’il s’éloigna de chez nous pour intégrer un établissement privé, une Maison Familiale Rurale, située à Vimoutiers, dans l’Orne. Il y prépara dans un premier temps une quatrième professionnelle, puis une troisième et enfin, un brevet d’études professionnelles. J’étais ravi pour lui, mais surtout pour moi. En effet, notre chambre subitement, excepté le weekend, semblait n’appartenir qu’à moi. Je ne sais pas avec exactitude comment Flora a vécu sa première année au collège, mais je me souviens que nous passions pas mal de temps ensemble dès que nos emplois du temps nous le permettaient. J’étais du coup un peu moins seul. Et puis j’avais même réussi à trouver deux copains. Le premier, Pascal, était un peu gros et le second, William, avait les dents très en avant. Bien sûr, ils n’étaient pas très populaires, mais surtout, ils n’étaient pas bien méchants. A trois, je crois que nous formions un club de rebuts. La petite sœur de William était aussi devenue l’amie de Flora. Au fur et à mesure, tout en continuant de raser les murs du collège, je trouvais tout de même quelques marques. William m’invita même à sa boum, chez lui, pour son anniversaire. J’avais à présent un ami, mais pour autant, tous mes ennuis n’étaient pas résolus. Les cours de sport étaient un véritable supplice. Tout d’abord, il y avait le vestiaire où nous nous retrouvions seuls, sans adulte. Le chahut était à son paroxysme. Les plus forts terrorisaient les plus faibles, et le plus faible, le plus jeune aussi, évidemment, c’était moi. Il fallait se changer le plus rapidement possible et s’accrocher comme on le pouvait à son caleçon, au risque de le retrouver abaissé jusqu’à ses genoux. Aussi, les coups pouvaient pleuvoir de n’importe où. Toujours aussi efflanqué, je ne faisais jamais le poids contre ces garçons déjà pré-pubères, et surtout, je ne trouvais ni la force, ni le courage pour les affronter. La séance de sport pouvait alors commencer. Encore traumatisé par le passage au vestiaire, je restais le plus souvent totalement immobile. Lors des séances de sports collectifs, j’étais souvent le dernier appelé pour rejoindre une équipe. J’étais si mal dans ma peau que la pression m’était immense. Bien sûr, je haïssais les sports de contact et aussi tout ce qui me semblait être trop brutal. En fait, je détestais tout ce qui pouvait faire que l’on puisse m’observer en mouvement ou dans l’effort. Je crois que je me sentais encore plus ridicule qu’à l’habitude. J’avais tant de mal à habiter ce corps si long, telle une carcasse oscillante aux os qui semblaient si mal amarrés. Je voulais cacher mes membres presque décharnés, que l’on pouvait aisément imaginer comme dépourvus de muscles. Avec mes genoux qui se touchaient encore presque à chacun de mes pas et ma démarche toujours altérée, j’espérais en vain qu’on ne me remarque pas. Avec ma grande taille, il m’était d’autant plus difficile de passer inaperçu.
Ma première année en classe de quatrième fut celle du changement. Je crois qu’inconsciemment j’étais bien décidé à faire cesser le harcèlement que je subissais depuis maintenant plus de deux ans. Pourtant, je ne choisis pas de parler de ma situation avec des adultes. Inlassablement tourmenté par l’idée de me suicider, j’aimais, lorsque j’étais seul, m’asseoir sur le rebord de la fenêtre de ma chambre qui se tenait à l’étage. Je goûtais avec délectation au vertige que me procurait le vide sous mes pieds et j’imaginais alors la douleur et les châtiments que pourrait éventuellement engendrer ma mort. Je voulais punir tous ces gens qui, sans raison, me blessaient et me détestaient tant. Toutefois, jamais je ne sus rassembler tant de courage. Je me sentais désespérément lâche...
Alors que j’avais depuis longtemps remarqué qu’il était possible d’être populaire en attrapant des airs ou des attitudes rebelles, je me décidai pour sortir de ma détresse, à adopter ces nouveaux traits de caractère tout à fait contraires à ce que pouvait être ma véritable personnalité. Tant pis, en façade, il semblait bien plus facile de se faire accepter et pourquoi pas respecter, en mettant son intelligence au service de la stupidité, mais aussi, en se présentant de manière irrespectueuse et insolente face aux professeurs et aux adultes en général. J’allais faire d’une pierre deux coups car à présent je les détestais tous. Défaillants, ils ne daignaient pas me voir et ne voulaient pas m’entendre. Plutôt que le travail, j’allais choisir la déconne.
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