La Saint Valentin



Marie et Pierre forment un couple idéal. Ils ont décidé de se marier dès qu’ils auraient fini leurs études, ensuite ils achèteront un appartement, puis quand ils seront bien installés dans leur vie professionnelle ils feront un enfant et achèteront une maison. Tout a été programmé.

Mais, Pierre est devenu rigide, il l’a toujours été, mais soudain, Marie ne voit plus que ses défauts, elle ne supporte plus l’ordre, la propreté et la routine. Tous les lundis il gère les papiers après son travail, le mardi il faut faire les courses, le mercredi c’est le ménage, le jeudi le sport, le vendredi le repassage…Marie a décidé de rompre, elle n’en peut plus.


Aujourd’hui c’est la Saint Valentin, le jour semble mal choisi, mais au moins cette soirée ne sera pas parasitée par une occupation plus triviale, il sera là, il ne pensera pas à autre chose, il sera bien obligé de l’écouter.

Marie, se penche sur sa garde-robe. Elle doit trouver une tenue appropriée, pas trop sexy, il ne faudrait pas qu’il lui saute dessus avant le dessert ; pas trop stricte, il ne doit pas se méfier, ou lui faire des remarques désobligeantes, elle se mettrait en colère, et la soirée tournerait très mal. Une petite robe noire, toute simple, élégante, raffinée, sobre. Un maquillage discret, pas de rouge à lèvre provocateur qui lui ferait penser qu’elle a un amant. Une tresse bien sage, Pierre déteste les filles échevelées. Des ballerines noires, Marie contemple son reflet, le résultat est concluant. Elle est prête !

Maintenant, il faut élaborer une stratégie, quand va-t-elle lui annoncer la nouvelle ? Avant le dîner ? Ça sera trop difficile, il faudra s’expliquer, se justifier, Marie n’a pas envie de discuter, elle ne le supporte plus, elle le quitte, c’est tout, fin de l’histoire. Elle lui parlera juste avant le dessert, pendant qu’il mangera, ainsi elle ne sera pas obligée de gouter à cette montagne de sucre qui va ruiner son régime, et les heures passées à la salle de sport.


Marie espère que Pierre va l’inviter au restaurant, c’est ce qu’il fait tous les ans. Elle ne supporte plus cet endroit, c’est toujours le même établissement, sa renommée n’est plus à faire : « La Glacière ». Quel drôle de nom ! Tout est traditionnel, la cuisine, le décor et Pierre ! Ce sera plus pratique au restaurant, elle pourra s’en aller, il n’osera pas faire de scandale, la station de taxi n’est pas loin, elle pourra prendre la poudre d’escampette.

Et s’il décidait d’organiser un dîner à la maison ? Ça compliquerait la situation, peut-être qu’il l’empêcherait de sortir, il a toujours cette manie de refermer la porte à clef et de mettre la chaîne de sécurité. Sa sortie serait moins digne, elle devrait lui demander la clef, en plus elle n’arrive jamais à défaire cette maudite chaîne ! Il faudrait qu’elle prépare son trousseau personnel et qu’elle le garde à portée de main. Il va peut-être devenir violent, Marie est en train de contrecarrer ses plans, il a tout prévu pour les cinquante années à venir, comment va-t-il réagir ? Son monde va s’écrouler.


Il faut vraiment qu’elle rompe avant la fin du repas, il va forcément lui amener un cadeau. En général il lui offre un bijou, il veut une femme élégante, son amour doit se voir, il a besoin de témoins. Il faut qu’elle parte loin de lui, qu’elle recommence une nouvelle vie, elle est trop jeune pour vivre comme une vieille, elle veut sortir, danser et s’amuser !

Cette soirée va lui paraître bien longue, Marie espère qu’il n’y aura pas trop de plats, ces menus de Saint Valentin n’en finissent pas, les amuses bouches, l’entrée, le plat, le sorbet au calvados, le fromage, le ….non elle a décidé d’échapper au dessert.


Elle imagine sa vie sans ce boulet attaché à sa jambe. Elle va pouvoir partir en vacances à l’aventure, sans rien préparer, elle va rester à traîner en jogging le dimanche, faire des grasses matinées, le BONHEUR !


Marie regarde l’heure, il est déjà 20h30, Pierre est en retard, ça ne lui ressemble pas. Il a peut-être eu un accident. La jeune femme commence à s’inquiéter, elle ne l’aime plus, mais ne lui veut pas de mal. Elle regarde son portable, il y a un message : « je t’ai écrit une lettre, elle est sur ta table de nuit ». Qu’est-ce que c’est que ces cachotteries, il a dû vouloir lui faire une surprise, ça tombe très mal. La lettre est bien là, l’encre est noire, l’écriture distinguée :


Ma très chère Marie,

Tu vas me trouver fou, mais j’ai pris une décision assez incroyable, je pars en Inde avec des amis, nous avons décidé de vivre ensemble et d’élever nos enfants dans une maison commune. Ce projet a mûri doucement au fil du temps, je ne t’en ai jamais parlé, tu es beaucoup trop raisonnable pour comprendre. C’est ce qui m’avait attiré chez toi, mais le quotidien me pèse de plus en plus, et j’ai envie de vivre ma vie. Je voulais te l’annoncer de vive voix, mais Aurélien mon petit ami du moment a trouvé une camionnette d’occasion et nous sommes partis en catastrophe. Je te trompe depuis un an, mais je pense qu’on peut avoir plusieurs relations sur des niveaux différents, je sais que ça ne cadre pas avec ta vision des choses, je ne suis pas un homme pour toi.

Je t’embrasse tendrement, j’espère que tu n’es pas fâchée, tu seras toujours dans mon cœur.

Pierre


Le salaud ! Il lui a volé sa rupture ! Comment peut-il lui faire ça ? Ça ne lui ressemble pas, c’est elle qui est fofolle et originale. Marie pleure, elle lit et relit sa lettre, machinalement elle remet les journaux en pile, enlève ses chaussures et range les patins le long du mur, bien parallèles.