Vision
Sous le cèdre, dans la loggia de verre Une étole de soie ambre Glisse mollement du banc de fer Elle distille un parfum de septembre Et exhale un troublant mystère Sur les peintures de la Verrière.
Derrière la marquise Ouvrage d'art coupe-brise Qui filtre la tendre lumière Les vitraux de gemmail Protègent l'ambiance de serre. Baignée d'un soleil jaune corail Peint sur le verre, ors, et siennes mordorés Tressent sous un nuage de glycine Un fort et noueux pampre natté, Qui élève son ombre satine Et porte une vaporeuse chevelure. Mousse ceinte de fines dorures. Nuage de mille fleurs violet mauve Création sucrée de tendre guimauve Que des éclats solaires capturent Élégante et gracieuse guipure Que la douce beauté suave sauve.
Dans la grande véranda La lumière rasante vient jouer, Elle illumine, de face, la longue paroi Qui porte sur le verre gravé Du malicieux maitre Alfonse Mucha La troublante "Dame au camélia". Précieuses sur la patine satinée Des losanges de parquet ciré, Délicat séjour des brodeuses, Une conversation, une boudeuse, Sont ça et là , disposées, Couvertes de toiles anciennes, Là , une élégante méridienne. Tissu broché et riches bayadères. Qui resplendit telle une lumière. Au centre un gracieux Récamier, Tendu de rouge velours panné, A l'abri d'un paravent trois feuilles, Délice de fleurs de nacre et d'ivoire incrustés. Sur une laque brillante noire, comme le deuil.
Au mur adossée une crédence Porte fière les plats d'argent, Un sublime bronze de Paons Immenses Entourés, De biscuits de talent. Un haut chandelier fige sur ses branches De longs pleurs de bougie, larmes molles Une coulée blanche, fragile avalanche Explosée en nuée de gouttes sur le sol. Des soleils de dahlias, de pervenches Partout sur des guéridons et des consoles Offrent dans de charmants vases Des rondes de fleurs folles. Des boules bleues d'hortensia Mariées aux faïences bleutées de Delf. Piquées de perles, de rubans, de poinsettias. Le gracieux compotier de cristal Décoré de grassouillets petits elfes Expose l'exotique ananas royal. Et sur la marqueterie de la table Le bouchon gravé, le carafon extra Cristal de Murano ou Baccarat Et un flacon de précieux vin de sable. Ici et là , vibrent, fantaisie de grâce Une subtile foison de lampes colorées Doux flamboiement parsemées dans l'espace Tulipes d'esthète en pâte de verre doré., Témoin d'art nouveau, audace, fontaine Wallace, Et lumineux champignons signés Emile Gallé.
Vers le fond de ce jardin d'hiver Une fontaine chante, un roucoulis craché Sur un profond évier de pierre Qui se reflète dans la haute psyché. Un chèvrefeuille s'enroule Sur une gloriette de fer forgé Un écritoire chef d'œuvre de Boulle Et un bonheur du jour au tiroirs secrets, Exhalent l'eau de rose et l'entêtante violette, Le musc, l'Ilang, le jasmin, le muguet suranné, Les effluves de pétales de fleurs sur des assiettes Et l'odeur entêtante des lianes de rosier. Sur la chaise longue en rocaille Se balance la crinoline abandonnée, Les longs gants, la capeline de paille, Deux souliers de satin, un éventail moiré La longue robe de shantung de soie Brillant bleu camaïeu de lune levée Couleur de la douce nuit sur le toit.
L'ombre s'étale dans le jardin, La porte vitrée s'ouvre avec lenteur Quatre griffes du divin félin Poussent et entre dans la lueur, En quête de son douillet coussin Paisible symbole du bonheur. Lent, il rampe danse, avance Précieux habitant de douceur En silence, yeux en observance Le Persan est un empereur Le doux souffle d'air entre avec lui Fait voleter les pétales, la charmille Et voici d'un coup son pelage fleuri Les éclats de lune scintillent Et maquillent de bijoux, doux Mistigri. Fauve aimé au parfum de vanille, Qui agile, d'un seul bond précis Se soulève, éclair souple, ombre qui brille Ses muscles habiles jamais ne vacillent Et s'élèvent sans que le parquet ne crie. Dans l'ombre légère de lapis-Lazuli S'étire, baille, indolent, sensuel et tranquille, Se couche, se toilette, enfin s'assoupit, Ferme ses yeux d'or aux fascinantes pupilles, Dans le parfum d'une calme et tiède nuit.
Loriane Lydia Maleville .
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